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Cadre méthodologique, objet d’analyse et cadre théorique

4.4. Présentation des Orateurs

4.1.5. De l’ordre du discours aux idéologies du ressentiment

Nous faisons référence à cette théorie de Michel Foucault parce que l'institution confère solennité aux discours, qu'elle les entour (e) d'un cercle d'attention, et qu'elle leur impose, comme nous allons le signaler plus loin, des formes ritualisées. C’est ainsi que tout discours, révèle son lien avec le désir et avec le pouvoir. En d’autres termes, il n'est pas simplement ce qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s'emparer.

Parallèlement à l’ordre du discours, Angenot (1994) soutient que le ressentiment a été et demeure une composante de nombreuses idéologies de notre siècle, tant de droite (nationalismes, antisémitisme) que de gauche, s'insinuant dans diverses expressions du socialisme, du féminisme, des militantismes minoritaires, du tiers-mondisme. L’auteur précise que le ressentiment s'appuie sur quelques paralogismes principiels :

➢ La supériorité acquise dans le monde empirique, dans le monde tel qu'il va, est en soi et sans plus un indice de bassesse « morale » ;

➢ Les valeurs que les dominants reconnaissent et prônent sont dévaluées en bloc, qu'elles sont méprisables en elles-mêmes et non pas seulement injustes les bénéfices matériels et symboliques qu'inégalement elles procurent ;

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➢ Toute situation subordonnée ou infériorisée donne droit au statut de victime,

➢ Tout échec, toute impuissance à prendre l'avantage dans ce monde peut se transmuer en mérite et se légitimer ipso facto en griefs à l'égard des prétendus privilégiés permettant une totale dénégation de responsabilité.

De l’avis d’Angenot (1994), l'essence du ressentiment réside en une transmutation des valeurs, c'est-à-dire dévaluation des valeurs prédominantes et transmutation des stigmates, des échecs, des signes mêmes où les autres voient votre faiblesse, votre médiocrité ou votre servilité, en valeurs. On peut citer en exemple Cellou Dalein à propos du massacre du 28 Septembre 2009 qui affirme : « ce sont mes militants et moi-même en ma personne qui ont été visés c’est-à-dire

le peulh encore ». (Dans son discours prononcé à Bambéto et son discours du petit

roi).

Au cœur de la construction idéologique, on trouve donc une axiologie invertie ou renversée, retournée. Se connaître des mérites non reconnus, se heurter à des obstacles qui bloquent l'épanouissement de ce potentiel, se révolter contre l'injustice de cette situation. C’est qu'Albert Memmi (1982) voyait comme le mouvement même de la genèse de l'idéologie de la négritude par exemple : s'acceptant comme séparé et différent, le colonisé s'empare de cette négativité qu'est l'exclusion colonialiste-raciste, il en fait un élément essentiel de sa reprise de soi et de son combat, il va l'affirmer, la glorifier jusqu'à l'absolu.

L'être du ressentiment va vivre dans le monde et le juger en cultivant en son sein des griefs, détournements narcissiques de la volonté de justice. Le grief remâché devient son mode exclusif de contact avec le monde, tout s'y trouve rapporté, il sert de pierre de touche, de grille herméneutique. Il donne une raison d'être et un mandat social qui permettent cependant de ne jamais sortir de soi-même. Le grief détermine une sorte de privatisation des universaux éthiques et civiques, un détournement ethno-égotiste des valeurs. Le grief est cultivé pour lui-même, la masse de griefs se gonfle, d'avanies en échecs et en accrochages avec les Autres, et occupe tout l'horizon mental.

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L'être de ressentiment est tellement préoccupé par l'évidence de ses griefs qu'il conçoit mal que ses interlocuteurs ne soient pas possédés par les mêmes obsessions. Le ressentiment se développe dans des états de société qui, à force de déstabiliser leurs membres, de leur faire sentir leur impuissance à maîtriser le monde et son sens, de les priver de repères, de les étourdir de contre-vérités, d'obscurcir ce qu'il pouvait y avoir de valeurs collectives, d'entretenir des conflits endémiques, stimulent le ressentiment de tous et de chacun, incitent à trouver des anesthésiques face aux frustrations et aux douleurs qu'inflige la désorganisation sociale. Une telle position axiologique et le zèle mis à la défendre nourrissent une pensée du grief d’où l’existence d’un rapport direct entre les idéologies et la quête d'émancipation, la volonté de justice, des états d'esprit (« ressentiment » proches de la frustration, rancœur, convoitise, envie, désir de vengeance...) qui entretiennent un rapport de l’ethno-stratégie.

Traiter du ressentiment-comme-idéologie, suppose de mettre en lumière la genèse de celle-ci. En effet, aucune idéologie n'est ni le produit des peuples ni des masses, mais elle est plutôt le produit d'idéologues self-appointed, auto-légitimées, de « fondés de pouvoir » idéologiques, de tribuns et rhéteurs de rancunes toujours stimulables à profit, d'intellectuels de nation, de classe ou de groupes, qui parlent au nom des leurs, à travers le silence des entités collectives dont ils s'instituent les porte-paroles.

Autrement dit, les idéologies de ressentiment ne sauraient être abordées comme un authentique « cri du peuple », elles sont la production d'oligarchies d'idéologues ayant reçu ou prétendant avoir reçu délégation des leurs qui, en raison de la charité bien ordonnée, se servent de l'idéologie qu'ils prônent en vue de bénéfices personnels (ce qui implique notamment : recours à l'effet de facilité, surenchère, recherche d'approbation, nivellement des argumentations par le bas...) Si on considère le ressentiment comme idéologie : le critère central, est celui de la fausse conscience. Rappelons-le d'abord dans sa définition originelle : « L'idéologie est un processus que le prétendu penseur accomplit bien avec conscience, mais avec une conscience fausse ». F. Konstantinox (1966 : 25-39).

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La notion de ressentiment s'inscrit dans la conception générale de l'idéologie comme l’expression d'une conscience à la fois intéressée (mue par des intérêts, reconnus ou inconscients) et faussée. Elle invite à extrapoler, interpréter et comprendre ces intérêts mal compris qui ne se laissent connaître indirectement que par le zèle collectif mis à défendre des constructions sophistiques et une axiologie dénégatrice. C'est une manière de penser justement et précisément idéaliste et crypto-religieuse quoique se parant souvent d'oripeaux rationalisés que de poser qu'il serait, en dépit de tout, méritoire de s'illusionner sur ses mérites, ses mobiles, ses moyens et ses fins, ses chances de réussite, et d'être aveugle à certaines données pourvu que ce soit pour une « Bonne cause ».