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Caractérisation du secteur de la formation professionnelle et champs théoriques

Position 3 : dans cette catégorie se retrouvent des organismes de formation positionnés sur un besoin récurrent en compétences et bénéficiant d’un bon niveau de prise charge au regard du

1.2. De la normalisation à la théorie de la Tétranormalisation : le rôle et la (l’in)cohérence des normes rôle et la (l’in)cohérence des normes

1.2.1. Norme : définition et intention

A la base des travaux de recherche dans le courant de la tétranormalisation se pose la question de la place des normes dans notre société. Pour le Larousse, la norme se définit comme une règle, un principe, un critère auquel se réfère tout jugement, mais également un « Ensemble des règles de conduite qui s'imposent à un groupe social ». Appliquée à l’industrie, il s’agirait d’une « Règle fixant les conditions de la réalisation d'une opération, de l'exécution d'un objet ou de l'élaboration d'un produit dont on veut unifier l'emploi ou assurer l'interchangeabilité ». La définition de la norme dépend donc du champ considéré. C’est « un concept qui permet d’englober aussi bien les lois et règlements que les manières de se comporter ou les modalités techniques d’utilisation d’un objet ou de réalisation d’un service » (Cappelletti, Pigé & Zardet 2015).

D’un point de vue général, la promulgation et la mise en œuvre des normes est au centre de la régulation sociale (Brunsson & Jacobsson, 2002). Elle est le produit de la connaissance qui contribue à configurer et à réorganiser les pratiques des acteurs au niveau local (Higgins & Larner, 2010). L’intention de la norme est de construire une uniformité à travers le temps et l’espace sur la base de règles reconnues. Elle cherche à englober différentes communautés de pratiques et différents lieux d’activité, à faire fonctionner ensemble des éléments indépendamment de la distance qui les séparent ou de l’hétérogénéité des mesures (Timmermans & Epstein, 2010). Dans sa forme idéale, la norme se fixe ainsi comme noble objectif de supprimer les complications, d’apporter de la rationalité méthodologique et technologique et elle est guidée par 3 principes : adapter, simplifier et rationaliser (Péron, 2010). Au sens large, la définition de la norme peut inclure « les lois, réglementations, normes incitatives, prélèvements obligatoires, impôts, règles du jeu sociales, économiques, sanitaires et de protection de l’environnement écologique qui ont un effet structurant sur les comportements et les stratégies des acteurs du jeu économique, social, culturel : citoyens, consommateurs, producteurs, entreprises et organisations, réseaux et institutions publiques et privées » (Savall & Zardet, 2005).

Pour l’Organisation internationale de normalisation (ISO), la norme vient répondre à une question fondamentale : « Quelle est la meilleure façon de faire ceci ? ». En ce sens, la norme aide « les régulateurs et les gouvernements » à « développer une meilleure régulation » en se basant sur l’implication d’experts reconnus25. Cette explication relève, au moins en partie, de la promotion par l’ISO de sa propre action, et découle de son travail de lobbying pour que les normes ISO deviennent les normes de régulations étatiques. Mais lorsque l’on y réfléchit, l’ISO vient proposer uniquement une solution-produit à la problématique gouvernementale de contrôle et de régulation des comportements des acteurs économiques, en proposant des « standards » qui ont la vertu d’avoir une portée internationale, et sont ainsi susceptibles de favoriser les échanges commerciaux.

La norme n’est donc pas un objet créé de manière opportuniste ou émergeant spontanément d’une convention sociale ou professionnelle. Elle dépend d’une dynamique de formalisation, d’un accord commun, ou d’une intention normalisatrice. Selon plusieurs auteurs, ladynamique de création, certains diront de prolifération des normes, et du phénomène de normalisation sont intrinsèquement liées à la modernité (Timmermans & Epstein, 2010 ; Brunsson & Jacobsson, 2002), au point de devenir une caractéristique centrale de la vie sociale et culturelle actuelle (Lampland & Star, 2009). Ce n’est pas tant un mouvement technocratique lié aux Etats modernes qu’une nécessité liée à la réalité du monde actuel. On retrouve l’idée selon laquelle les normes favorisent la coordination et la coopération à l’échelle mondiale car elles sont vectrices d’homogénéité et créatrices de similarités parmi les peuples et organisations, quelle que soit la distance géographique qui les sépare (Brunsson et Jacobsson, 2002). Quoi qu’il en soit, les normalisateurs sont prolifiques : on évalue à 1 200 000 le nombre de normes au niveau mondial et environ 33 000 en exercice en France26. Cette expansion normative est d’autant plus impressionnante qu’elle échappe au domaine du droit pour englober quasiment tous les domaines (Thibierge, 2009, 2014) provoquant un phénomène de « densification normative » (Thibierge, 2014, 2017). Mais ce nombre impressionnant cache une réalité : prise séparément, chacune des normes a son utilité et il est difficile de trouver des normes qui soient réellement périmées (Cappelletti, Pigé & Zardet 2015). Une autre réalité est que le travail de création des normes reste souvent invisible (Lampland & Star, 2009). Cela peut restreindre leur effet en rendant plus difficile la compréhension de leurs intentions par les acteurs qui appliquent

25 Iso: the main benefits of ISO standards - https://www.iso.org/benefits-of-standards.html

26 Claude Revel, Développer une influence normative internationale stratégique pour la France, Rapport remis à Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, 31 janvier 2013.

localement les normes. Et même en considérant que ce chiffre est impressionnant, il reste à relativiser si l’on considère les « normes invisibles », comportementales, organisationnelles, managériales qui sont autant de contraintes sur les comportements des individus. En parallèle, les « normes techniques » représentent des « ressources utiles » au fonctionnement des organisations (Le Goff & Onnée, 2017). Mais la frontière entre normes invisibles et techniques a déjà été franchie. C’est le « pari impossible » réussi par l’ISO avec la publication de la norme ISO 26000 « Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale ». Une norme privée, par nature technique, peut-elle être porteuse d’une éthique de gouvernance ? La norme semble elle-même y répondre en partie en remplaçant la notion d’éthique par celle de « comportement éthique ». Une norme de management ne semble pas avoir le pouvoir de pénétrer la moralité des hommes, « l’éthique relevant de la conscience de chacun ». Elle restera une règle normative, là où l’éthique est avant tout une question de standard de comportement. Cependant, cet exemple illustre le potentiel de technification des normes par le travail des normalisateurs, les rendant ainsi auditables et certifiables, même si « La rédaction d’une norme de comportement, par des organismes privés de normalisation, est loin d’être neutre » (Cadet, 2017).

Pour comprendre cette différence entre les normes invisibles et techniques, il faut nous intéresser à la manière dont, en langue anglaise, le terme de « standard » est différencié de celui de « norm » (Péron, 2010). Le dernier étant une norme de comportement, en général non écrite et laissant une certaine marge de manœuvre à l’acteur, le premier étant une prescription de comportement ou de possession de caractéristiques qui demande généralement un effort à l’acteur pour s’y conformer (Brunsson & Jacobsson, 2002 ; Boje, Smith & Vendette, 2015). Se détachant de la lecture étymologique anglo-saxonne, la différence entre standard et norme peut être éclairée par leur origine et leur portée pour ceux qui considèrent que ces deux termes ne peuvent être considérés comme synonymes, en français. Ainsi les normes sont « issues d’une coordination institutionnalisée qui peut prendre la forme d’une délibération, d’une collaboration ou, au minimum, d’une concertation entre des acteurs – parlementaires, industriels, groupes d’intérêt, etc. », alors que les standards n’émanent pas d’un processus d’élaboration institutionnalisé mais d’une coordination dont la nature est informelle (Ruwet, 2017). Il y a donc une approche qui considère l’étymologie anglo-saxonne dans laquelle la « norm » est une règle informelle de comportement et le « standard » une règle formalisée et, une autre vision dans laquelle la norme est le produit « officiel » des normalisateurs (sens porté par l’Association française de normalisation) et le standard, une détermination du prescrit dans

un environnement de concurrence pure et parfaite, le fruit de la « main invisible » du marché. La notion de « norm » anglo-saxonne et de standard francophone se rejoignant dans le fait qu’ils découlent de « l’expérience tirée des interactions entre l’organisation et son environnement » et « sont mis continuellement à l’épreuve » (Boje, Smith & Vendette, 2015). Quoi qu’il en soit, nous comprenons que la norme peut être issue d’une intention normative ou d’un fait social.

Figure 14 - La normalisation située par rapport aux standards et aux autres familles de normes (Ruwet, 2017)

L’intention normative peut, par ailleurs, se comprendre sous le prisme de la théorie de l’agence. La normalisation offre l’opportunité de standardiser le comportement de l’agent et favorise ainsi la délégation de fonctions. Le résultat recherché est de « normaliser le comportement de l’agent, de l’inciter à agir dans le sens souhaité par le principal » (Cappelletti, Pigé et Zardet, 2015). La norme peut jouer un double rôle :

- Assurer le principal que le comportement de l’agent est normalisé et fidèle à l’intention de ce dernier ;

- Réduire l’asymétrie d’information : la norme porte souvent une exigence de « reporting », soit sur l’action de l’agent, soit sur les informations entourant les décisions de l’agent.

De manière plus générale, l’essor de la normalisation peut être éclairé par la compréhension de la « puissance de la norme ». Tout en reconnaissant le risque « de la surabondance sinon de la contradiction » des normes, les auteurs de cette théorie avancent que : « Une telle propagation [des normes] ne se comprend que si l’on ramène la norme à ce qu’elle représente en termes de contrôle et de domination pour l’entité qui s’en empare, que ce soit au niveau microscopique (le groupe social) ou macroscopique (l’organisation, l’État) » (Le Goff & Onnée, 2017).

Un dernier aspect à considérer dans l’expansion normative, outre le fait d’avoir généré un « bazar des normes » (Pesqueux, 2010), est que la normalisation est un marché (Cochoy, 2000). Les producteurs de normes fournissent des « normes marchandises » (Zardet & Bonnet, 2010) et les entreprises, en proie à des injonctions paradoxales, se retrouvent parfois en situation de choix entre différentes normes (Le Goff & Onnée, 2017). Le marché de la normalisation est un écosystème économique avec des consultants, des auditeurs, des contrôleurs, des formateurs où même les institutions publiques, sans intérêt économique apparent, peuvent trouver matière à justifier leur propre existence ou matière à motiver une décision d’allocation de moyens supplémentaires en créant des normes.

Ce qui est certain, c’est que les normes ont un impact sociétal et social de plus en plus important et qu’elles affectent le comportement de tous les acteurs de la société : industriels, consommateurs, pouvoirs publics (Péron, 2010). Quelle que soit la vision du phénomène grandissant de la normalisation, mondialiste ou pragmatique, il n’est pas possible d’ignorer la manière dont la norme est reçue par l’agent / l’acteur. Comment va-t-il réagir ? Quelles sont les conséquences de la normalisation sur le comportement des acteurs ? L’étude du phénomène de normalisation reste un champ d’étude sous-évalué pour l’analyse de certains aspects centraux des sociétés modernes, surtout si l’on considère la difficulté à faire en sorte que les normes « fonctionnent », atteignent leur objectif initial (Timmermans et Epstein, 2010). Pourtant, l’étude des pratiques des acteurs face aux normes est cruciale pour nourrir notre compréhension de la manière dont se passent réellement les choses sur le lieu de travail (Lampland & Star, 2009). Trop peu de travaux se concentrent sur la manière dont les normes sont censées fonctionner au niveau local et sur les conséquences concrètes de leur mise en œuvre (Higgins & Larner, 2010). Développer une compréhension de la manière dont interagissent les acteurs,

les objets, les normes, au sein d’un ordre moral, est difficile. Un corps de connaissance, riche, se développe en étudiant la manière dont les acteurs s’organisent et se réorganisent lorsqu’ils considèrent que les circonstances de leur activité ne correspondent pas à une catégorie ou à une norme prescrite (Bowker & Star, 1999).

Figure 15 - La dynamique de normalisation : des normes plus ou moins intégrées qui interagissent dans une communauté d’acteurs

Le comportement de l’acteur qui reçoit la norme doit être analysé. Pour certains, la notion de norme au sens du « standard » anglosaxon n’est pas compatible avec celle d’acteur dans l’organisation car elle le prive de sa capacité à faire ses propres choix, de ses qualités et de son unicité (Brunsson et Jacobsson, 2002). Une vision plus nuancée propose d’interpréter la réaction de l’acteur à la norme soit comme une action intelligente, soit comme une action aveugle, selon qu’il prend en compte la norme en intégrant son objectif et en comprenant son historique et sa dynamique ou, simplement, qu’il cherche à modifier ses pratiques à partir d’une situation A - avant la norme - pour aller vers une situation B - après la norme (Smith, Boje & Foster, 2013, Boje, Smith & Vendette, 2015). Cette vision permet d’éclairer l’intérêt de la différence entre « standard » et « norm ». Car le « standard », qui prend la forme d’une normalisation impérative, offre moins d’espace pour l’action intelligente et l’innovation. Un frein à l’innovation qui se ressent également quand la norme fige les caractéristiques de marché d’un produit (Thevenot, 1995). Le produit que la norme définit et protège aux yeux, par exemple, des consommateurs ou de « l’industriel qui a participé activement à ses spécifications », est dans le même temps privé de son potentiel d’évolution ou d’innovation. Pour reprendre l’opposition entre « norm » et « standard » dans le secteur de la formation professionnelle continue, il pourrait exister une confrontation entre la « norm » qualité du secteur, préexistante à la réglementation, et le « standard », prescrit par la loi, de ce que doit être la qualité au sein des organismes de formation.

Higgins & Larner (2010), offrent trois pistes pour étudier la façon dont la mise en œuvre d’une norme peut se faire dans l’organisation : l’hybridation, l’adaptation et la soumission. Cette approche demande beaucoup de nuance entre ces trois types d’implémentation de la norme. Il n’y a pas de consensus sur une classification comportementale des acteurs de l’organisation face à une ou plusieurs normes exogènes et endogènes. La première des questions à se poser reste celle de la conformité. La norme est-elle respectée, mise en œuvre selon ses propres exigences ? La conformité, en elle-même, peut être considérée comme une stratégie d’intégration de la norme par les acteurs, même si elle est interprétée de diverses façons par les auteurs. L’acteur recherche la conformité, soit qu’il estime ne pas avoir à modifier ses pratiques pour satisfaire à la norme (Brunsson et Jacobsson, 2002) soit que, selon un phénomène que certains qualiticiens qualifient de « dérive », l’acteur ne cherche pas, ou plus, à manager la norme [qualité] mais à se conformer aux exigences d’un service [qualité] (Doucet, 2010). Cependant, pour les participants aux recherches sur la tétranormalisation, la conformité est un élément-clé du « cadre institutionnel qui pose les conditions du développement des normes [et]

permet aux acteurs d’exercer leurs responsabilités » (Cappelletti, Pigé et Zardet, 2015) et mérite à ce titre de ne pas servir de simple classification comportementale.

Ces efforts pour affiner la compréhension de la réaction des acteurs à la norme constituent l’un des liens entre la théorie des normes et les travaux de recherche dans le champ de la tétranormalisation. Tout l’enjeu de la tétranormalisation est d’étudier la réponse des acteurs à la question simple posée par les sociologues Timmermans et Epstein (2010) : « When standards conflict, which ones should prevail27 ? ». Dans tous les cas, les acteurs sont souvent à l’origine d’un phénomène de distorsion entre l’objectif de conformité et la mise en œuvre de la norme à travers le mécanisme d’appropriation. Cela dénote une certaine difficulté à s’approprier directement le « standard » pour en faire une « norm » (Segrestin, 1997). Cela met également en exergue la problématique liée à la construction et au développement d’un mimétisme légal (Bensimhon & Levy 2009). Ainsi, une des idées principales de cette théorie est que, face à la forte production normative des Etats modernes (Cappelletti, 2013), le chercheur en gestion doit s’intéresser aux ambiguïtés et aux conflits issus de la rencontre des champs normatifs au sein des organisations, et contribuer à la définition des solutions innovantes et des bonnes pratiques (Pesqueux, 2005).

1.2.2. Théorie néo-institutionnelle et logiques institutionnelles : la