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service sectorielle dans un organisme de formation

2.1. La posture du chercheur dans une recherche intervention

2.1.3. Les piliers épistémologiques de la Recherche-Intervention

Comme nous l’avons vu précédemment, la Recherche-Intervention se prête particulièrement bien à un doctorat dans le cadre d’une CIFRE en ce que le chercheur intervenant agit sur le réel pour l’améliorer (Rasolofo-Distler & Zawadzki, 2011). Ce cadre méthodologique a par ailleurs fait ses preuves en ce qui concerne l’exploitation des pratiques professionnelles dans une recherche en audit et contrôle, et au-delà en gestion (Cappelletti, 2007). Cependant, l’enjeu n’est pas tant l’exploitation des pratiques professionnelles, que l’établissement d’un cadre épistémologique rigoureux qui servira de support à la production de connaissances scientifiques. La plupart des auteurs s’accordent sur le fait que la Recherche-Intervention est soutenue par 3 piliers épistémologiques (Cappelletti, 2007, Savall, 2018) :

- La contingence générique : tout d’abord, il s’agit de reconnaître que toute recherche est soumise à des facteurs de contingence. Cependant la multiplication de l’identification de ces derniers nuirait à toute démarche scientifique. La Recherche-Intervention ne s’appuie pas sur l’idée de l’existence « d’invariants prétendument universels » et protège le chercheur d’un « abus au recours de la théorie de la contingence » qui l’engagerait dans une quête de variables éphémères (Savall et Zardet, 2004).

Une attention particulière doit être accordée aux facteurs de contingence propres au secteur étudié qui est celui de la formation. D’abord, sur la particularité du cadre qualité propre à la formation professionnelle, qui insiste moins sur l’existence de processus et de procédures, ou sur une recherche de la qualité totale, que sur un ensemble de bonnes pratiques spécifiques à la délivrance de prestations de formation. Ensuite, à travers le lien fort entre le champ normatif étudié et le financement des organisations concernées. La part du chiffre d’affaires des organismes de formation liée à la formation professionnelle est certainement variable. Mais, quel que soit le public visé, sauf à offrir des formations uniquement destinées à des étudiants à temps plein, tous les modèles économiques s’appuient sur cette source de financement : l’alternance à travers les contrats de professionnalisation, les reconversions via Pôle Emploi et le Compte Personnel de Formation (CPF) et les OPACIF, les salariés via les fonds réservés des entreprises, et les prises en charge des OPCA (qui deviendront les OPCO suite à la réforme de 2018). Nous sommes donc face à un pôle normatif dont l’accueil par les acteurs a une influence sur la performance et la croissance même de l’organisation au-delà du « risque élevé de désagrégation interne » auquel l’exposerait sa passivité dans la gestion de l’intégration de cette

norme (Zardet & Bonnet, 2010). Ce lien entre norme qualité de la formation professionnelle et enjeu économique pour chaque organisme de formation, terrain de la recherche, nourrit le caractère contingent de ces travaux. Ainsi, l’analyse du phénomène de normalisation du management de la qualité dans les organismes de formation est soumise à des facteurs de contingence structurels, environnementaux et culturels (Mintzberg, 1990, Brennmann et Sapari, 2001) et propres à l’activité des organisations observées (Chapellier, 1993). Il s’agit d’un cadre qualité spécifique à une activité légalement identifiée, qui s’inscrit dans une culture métier et dans un secteur spécifique avec des organisations très variées en taille et statut juridique. La description de l’organisation étudiée, et de son mode de fonctionnement, permettra de faire ressortir les facteurs de contingences, d’une part, et les caractéristiques qui permettraient de projeter les résultats obtenus dans une autre organisation, d’autre part. En effet, selon ce principe de la contingence, si toute situation est contingence, une analyse approfondie permet de relever un ou plusieurs éléments génériques que l’on retrouvera dans d’autres situations (Savall, 2018).

- L’interactivité cognitive : l’échange de points de vue avec les acteurs du terrain est l’occasion de récolter, par la prise de note, les réactions des acteurs dans leur processus de compréhension de la démarche mise en œuvre. Ces échanges prennent notamment place dans les cadres interactifs offerts par les phases de diagnostic et de projet. Dans le cadre d’un dispositif CIFRE, l’interactivité est continue et il est délicat de capturer par écrit l’intérêt de certains échanges. Soit à cause du caractère complètement informel du cadre où se situe l’échange (discussion de couloir, pause repas, afterwork), soit lorsqu’un échange, une conversation, acquiert du sens car il s’inscrit dans une problématique continue qui n’avait pas précédemment été identifiée comme cruciale. C’est notamment le cas des échanges qui ont lieu lors de la réunion de direction de l’entreprise qui se déroule chaque mercredi matin sur une période de 1h30 à 3h. Beaucoup de discussions s’y sont déroulées sur la question des actions de formations délivrées par le cabinet. Décrypter cet espace de négociation entre la direction opérationnelle et commerciale, et les managers dans le cadre de l’attribution des missions s’est avéré particulièrement intéressant. Nous avons fait le choix, pour éclairer tout ce qui avait pu être « capté » dans l’observation de la vie de l’organisation et lors des actions liées au protocole de Recherche-Intervention, de procéder à une phase d’entretiens semi-directifs avec 4 consultants ayant eu la particularité d’être intervenus comme formateurs dans le cadre de leurs missions. Cette phase a été complétée par une phase de restitution et d’échanges avec les deux

directeurs associés. Cela nous amène au troisième pilier épistémologique de la Recherche-Intervention.

- L’intersubjectivité contradictoire : le chercheur valide ses observations auprès des acteurs. Il recherche différents points de vue et recueille les vues des acteurs lors du déploiement du protocole de recherche, ou dans le cadre d’entretiens dédiés.

Comme nous l’avons expliqué précédemment, le chercheur recueille des données dans 3 situations principales : l’observation, des interventions (transformation de l’organisation) et un échange avec les acteurs sur les résultats observables et analysés. L’organisation étudiée a permis d’avoir différents points de vue sur le processus de formation qui a fait l’objet de notre étude. Les intervenants sur ce processus comptent : la fonction commerciale (démarchage, négociation), la direction (validation), la fonction administration / comptabilité (émission facture, validation début de mission), les managers (attribution), les consultants (exécution). Outre l’objectif commun visé, propre au processus de réalisation, toutes ces fonctions ont un intérêt propre et sont influencées ou impactées de manière différente par le cadre qualité étudié. Cette dynamique a pu s’observer lors des réunions de direction et lors des échanges avec les acteurs. Deux facteurs ont pu être identifiés : la fonction et l’expérience. Par exemple, l’avis d’un manager sans expérience de la formation, qui a accepté et réalisé lui-même l’action de formation, offre un éclairage différent d’un consultant qui s’est vu attribué une mission de formation, et qui était déjà expérimenté en la matière. Ces différences rendent d’autant plus significatives les récurrences dans les analyses des discours et des comportements des acteurs.

Figure 25 - La Recherche-Intervention et ses piliers épistémologiques