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service sectorielle dans un organisme de formation

2.3. Protocole de recherche, outils déployés et recueil des données

2.3.3. Modalités de recueils et d'exploitation des données

2.3.3.1. Le recueil des données dans le cadre de l’intervention et de l’évaluation du changement

La question des modalités de recueil des données est intimement liée à celle du protocole de recherche. C’est en effet dans le cadre de son protocole d’intervention que le chercheur-intervenant récolte les données en documentant ses observations (documents écrits, l’expression orale et les actions des acteurs), en recueillant des documents et en réalisant des entretiens (Savall, 2018). De manière générale, il est de reconnu que la variété des sources de données concoure à la qualité de l’étude de cas (Yin, 2018) même si la gestion des diverses sources de données constitue un défi pour le chercheur (Yin, 1981).

Le tableau suivant illustre le processus de production et de récolte de données dans le cadre d’une Recherche-Intervention :

Tableau 7 - Le processus méthodologique de collecte et de production de données (Nobre, 2006)

L’outil central de la Recherche-Intervention a été le référentiel qualité proposée par le GIE Datadock pour la mise en conformité des organismes de formation aux 6 critères du décret du 30 juin 2015. Nous l’avons décliné dans un tableau permettant d’effectuer un diagnostic du fonctionnement de l’organisation et permettant de suivre son évolution. Ce même outil a servi à réaliser l’audit préalable au dépôt de la demande de reconnaissance de conformité. Grâce à son contenu, il constitue le cœur des données : les descriptions des pratiques et du fonctionnement de l’organisation, l’identification des documents utilisés, les outils de l’organisation et la définition, avec les acteurs, des actions à mener pour mettre en conformité le système qualité de l’organisation.

Pour compléter cet outil, nous avons adopté la posture de l’auditeur. L’audit consiste à réunir deux acteurs, avec d’un côté celui qui formule des questions de façon impartiale (l’auditeur) et de l’autre, celui qui, acceptant le jeu des questions-réponses, y répond (l’audité). Ainsi, l’audit est un constat partagé qui ne propose pas de sanction. La démarche d’audit implique l’utilisation de l’effet miroir qui peut se traduire en 4 conditions : une volonté de l’organisation de se regarder, un éclairage basé sur des informations factuelles, l’utilisation de l’auditeur et de ses

outils comme un miroir, la mise en interaction de ces éléments sur un champ donné. « L’audit est […] orienté sur l’écoute de l’objet ou de l’entité auditée, afin d’en comprendre le fonctionnement, par une évaluation attentive. Bien que l’on puisse également parler d’audit produit, l’audit est […] plutôt orienté vers l’évaluation de l’organisation d’un organisme » (Madoz & Note, 2018). C’est la raison pour laquelle cette posture nous a paru pertinente. Elle permet de récolter des données, des faits, des documents dans un échange qui se veut factuel. C’est l’occasion de provoquer une interaction portant sur les dispositifs et les outils qui sont les deux objets essentiels de l’organisation, et donc les objets d’études privilégiés des sciences de gestion (Moisdon, 1997 & 2010).

L’audit n’est pas une inspection et il repose sur la compréhension commune d’un référentiel et sur une description minutieuse du fonctionnement de l’organisation dans le champ fixé par le référentiel. Ainsi, l’interlocuteur est plus enclin à la coopération, étant débarrassé de toute impression d’évaluation de son travail. Pourtant, cette démarche ne signifie pas que l’échange permet de récolter uniquement des données factuelles. L’audit est également un espace d’expression pour l’audité et nous avons pu noter les réactions et les appréciations associées aux réponses. Par exemple, à la question de l’existence d’un règlement intérieur de formation, l’audité répond qu’il existe, mais le qualifie de « dégueulasse ». L’autre intérêt de l’audit, est sa dimension prescriptrice. L’audit, basé sur un référentiel, est vecteur d’idéaux de rentabilité, de performance, de qualité… L’audit agit donc moins « comme une pratique de vérification que comme un instrument de changement explicite » (Power, 1997). L’audit permet d’offrir une photographie de l’organisation en récoltant les données et les documents sur son fonctionnement, mais donne également une direction vers un « mieux », exprimé dans le référentiel utilisé, et communiqué aux acteurs lors de la démarche d’audit et du suivi de ses résultats. En ce sens, cette méthode s’inscrit parfaitement dans le protocole de Recherche-Intervention.

D’autres sources de données ont été utilisées :

- Les échanges avec les acteurs-clés formalisés par des prises de notes et des échanges de mails, incluant leurs réactions et leurs façons de procéder ;

- Les documents « pré-intervention », étudiés lors du diagnostic : conditions générales de vente, convention de formation, programme, supports de formation… ;

- Les documents produits dans le cadre de la mise en conformité du système qualité, se basant sur l’existant ou impliquant un changement : procédure, organigramme, questionnaire qualité, programmes de formation, site internet… ;

- La description de l’organisation, les données chiffrées liées à l’activité, les observations annexes et les comptes-rendus de réunion.

Nous avons complété nos données par des entrevues avec les acteurs. Nous avons utilisé la technique des « entrevues semi-structurées » composées de questions ouvertes mais structurées par les thèmes tirés du protocole de recherche (Gagnon, 2011). Dans le cadre de la Recherche-Intervention, les entretiens avec les acteurs constituent un moyen de réunir un maximum d’informations concrètes sur leur vécu quotidien dans l’organisation (Plane, 2018) et pour recueillir une description détaillée des situations qu’ils ont expérimentées (Noguera, 2018). Les entretiens ont été positionnés lors de la phase finale d’évaluation (phase 4 – retour d’expérience des acteurs). Ils se sont déroulés en deux étapes. D’abord, avec les acteurs impliqués dans l’application de la norme pour avoir été en charge d’une mission de formation. Ensuite, dans un exercice de restitution des résultats auprès des deux directeurs associés, indépendamment l’un de l’autre. Cette seconde étape a consisté à « actionner l’intersubjectivité contradictoire » (Krief & Zardet, 2013) entre les opérationnels, le chercheur et la direction de l’organisation. Nous avons voulu illustrer les différentes sources de données dans l’infographie ci-dessous en fonction des phases du projet de recherche.

Figure 27 - Sources de données au cours de l'évolution du projet de recherche

2.3.3.2. Exploiter les données issues de la Recherche-Intervention

Se pose à présent la délicate question du traitement de ces données, multiples de par leurs sources et leur temporalité.

Comment nous l’avons précisé précédemment, la Recherche-Intervention implique nécessairement une analyse longitudinale en ce qu’elle vise à mener une démarche d’évaluation du changement de l’organisation avec laquelle le chercheur à interagit (Moisdon, 2010). Une analyse longitudinale peut traditionnellement s’effectuer selon deux approches : la mise en lumière des différences observées, à travers le temps, d’un phénomène, ou l’étude des séquences d’événements décrivant « comment le phénomène se développe et change dans le temps, afin d’en saisir le processus d’évolution » (Vandangeon-Derumez & Garreau, 2014). La Recherche-Intervention offre la possibilité de concilier ces deux approches par une collecte de données en temps réel au cours de la transformation de l’organisation (Ibid). Il s’agit à la fois d’étudier l’évolution d’un phénomène de normalisation qui, constituant une contrainte extérieure, aurait nécessairement pris place dans l’organisation, et les conditions de sa mise en

place dans l’organisation en agissant directement pour en maîtriser au maximum les variables. Il va donc convenir d’adopter une approche à la fois descriptive et explicative, par la maîtrise des variables et par l’identification des causes de variations ou de non-variations de l’état de l’organisation et du comportement des acteurs suite à l’intégration de la norme. Les causes viendront répondre au « comment » de la problématique. En effet, le traitement de notre problématique n’est en rien dépendant de la « réussite » du projet d’intégration de la norme qui se traduirait par une invariable conformité, inaltérable dans le temps.

L’analyse longitudinale implique, selon Menard (1991) :

- Des données recueillies sur au moins deux périodes distinctes ;

- Des sujets identiques ou au moins comparables sur les périodes considérées ;

- Une comparaison des données entre les périodes ou une documentation de l’évolution observée.

Une première voie d’exploitation des données va consister à comparer l’organisation sur deux périodes définies : lors de la phase de diagnostic, et à l’issue d’une période de fonctionnement indépendante de l’intervention du chercheur. Notre intervalle-temps est constitué de deux années (période de diagnostic au T1 2017 et évaluation du changement au T1 2019). L’interaction avec les acteurs, et notamment les entretiens, permet d’identifier les dysfonctionnements et les régulations mises en œuvre (Noguera, 2018) sur ces deux périodes. Une seconde voie, quant à elle, va consister à documenter les étapes du phénomène d’intégration et de « vie » de la norme sur l’intervalle de temps séparant ces deux périodes afin de décrire et de comprendre son processus d’évolution.

Une fois identifiées l’ampleur et la nature des changements, il est nécessaire de se pencher sur leurs conséquences et sur leurs causes internes comme externes (Moisdon 2010). L’ensemble des données recueillies devra permettre de définir les principaux facteurs de changement : ceux liés au processus d’intervention du chercheur et ceux ayant une source différente.

Une attention particulière devra être portée au recoupement des propos des acteurs avec les données factuelles recueillies sur l’organisation (observation). Le chercheur doit être vigilant afin d’éviter « le piège qui consiste à prendre pour argent comptant les discours des acteurs, dont les perceptions de l’ensemble sont souvent autant limitées que celles de l’observateur »

(Moisdon, 2010). Un autre phénomène auquel le chercheur immergé dans l’organisation est exposé, est celui de la manipulation. Soit qu’il y ait un motif caché dans la commande initiale, soit que ses « informateurs » ne cherchent à faire passer leurs idées (Barth, 2018). Cependant, le temps conséquent passé dans l’organisation, la taille réduite de cette dernière, ainsi que l’accès libre aux données constituent une assurance solide contre ce type de phénomène. Ce processus d’analyse des données s’inscrit en miroir de la méthode de production de connaissance ou « d’apprentissage » qui suit une démarche projet respectant 4 étapes, telles que décrite par Smith, Boje et Foster (2013) : Diagnostic, Projet, Mise en œuvre, Evaluation.

 Le diagnostic permet une description de l'état initial d’organisation ;

 La phase de projet permet une compréhension des conditions du changement et du protocole de « consultance scientifique » (Savall & Fière, 2014) ;

 L’implémentation, ou mise en œuvre, correspond à la description des actions permettant la vie de la norme : c’est la mise en place du système qualité et de son maintien ;  L’évaluation permet à la fois la description de l'état de l'organisation au terme de la

période de terrain et l’identification de l’impact du chercheur sur cette dernière. L’ensemble de ces éléments et des données traités doit permettre d’identifier les variations et les absences de variations de l’organisation et du comportement des acteurs, et permettre aussi d’isoler les variables en cause. Ce travail va nous servir à interroger la notion même de causalité face à des phénomènes multifactoriels. D’une certaine manière, les conclusions issues de l’exploitation des données sont, au final, fondées sur l’intime conviction du chercheur intervenant qui a eu cette opportunité sans égale d’« éprouver lui-même les champs de force qui traversent l’organisation et qui la mettent en tension » (Moisdon, 2010).

2.3.3.3. Le partage des données entre le chercheur-praticien et le praticien

La question de la méthodologie de la Recherche-Intervention a soulevé une question particulière : le fait que l’organisation permette à des chercheurs, eux-mêmes praticiens à travers la Recherche-Intervention, d’accéder à des données sensibles. Question particulièrement pertinente lorsque l’organisation est une société de conseil et que le chercheur-intervenant peut être assimilé à un acteur du monde du conseil. Cette situation pose-t-elle un problème ? Au premier niveau, la réponse est non car le cadre de la collaboration est celui de

la CIFRE. Le chercheur est salarié de l’organisation et ne peut pas « profiter » des données recueillies pour exercer des « missions » similaires dans d’autres organisations, ou auprès de clients potentiels de l’organisation.

Cependant, concernant le Directeur de recherche, cette question a dû être traitée. Existait-il un risque que ce dernier soit perçu comme un concurrent de l’organisation, et que, par conséquent, son accès à des données internes pose un problème éthique ? Nous avons considéré les champs d’expertise et les méthodologies en jeu. En premier lieu, notre Directeur intervient dans les organisations sur la base de la théorie du management socio-économique des organisations (Buono & Savall, 2007, Cappelletti, 2010). Cette approche des organisations ne correspond en rien à l’expertise de l’organisation ni à la nature de son offre (structuration de l’offre de formation, étude emploi-compétences, démarche qualité de la formation). En second lieu, la nature de la Recherche-Intervention menée : la démarche, les outils et les méthodes ont été convenus avec l’organisation et ne correspondent pas aux méthodes et aux outils utilisés dans le cadre des Recherche-Intervention de notre Directeur de recherche. Enfin, notre recherche ne couvrait pas l’offre de conseil de la société mais le périmètre d’activité correspondant au processus de formation professionnelle.

Plus tôt, nous avons expliqué la manière dont nous avons rendu notre travail de recherche « transparent » pour les dirigeants de l’organisation. Cette transparence inclut le rôle du Directeur de thèse, rôle auquel nous avons fait référence dans des mails de compte-rendu de rendez-vous organisés avec ce dernier, et adressés aux dirigeant de l’organisation.

Il nous est apparu important de soulever cette question et de fournir notre analyse de la situation.