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Chapitre I L'empathie

III. Les processus constitutifs de l'empathie et leurs corrélats neuronaux

III.1. L’empathie comme couplage

III.1.4. Des neurones miroirs sensoriels ?

Plusieurs auteurs défendent l'idée d'un système miroir, de nature motrice et sensorielle, pour l'empathie (Avenanti et al., 2005 671; Iacoboni, 2009; Leslie et al., 2004 669; Wicker et al., 2003 450). De nombreux résultats convergent vers cette idée et suggèrent que les mêmes circuits de neurones sont stimulés lorsque l'on ressent des émotions et lorsqu'on les perçoit chez les autres. Par exemple, l'AI est activée en réponse à l'observation d'expressions du visage exprimant le dégoût, ainsi que par le ressenti du dégoût (Wicker et al., 2003). Une autre étude a montré que l'observation d'actions de la vie de tous les jours, des mains ou du visage, guidées par une émotion (en l'occurrence la colère) recrute des régions impliquées dans la perception et l'expérience de l'émotion (Grosbras and Paus, 2006). Les auteurs de cette étude soutiennent l'hypothèse que, en plus d'induire une résonance dans le programme moteur nécessaire pour exécuter une action, l'observation d'une action réalisée avec émotion induit une résonance émotionnelle dans le système responsable de la modulation affective du programme moteur, en particulier dans l'insula. Un tel mécanisme pourrait également être une clé pour comprendre les intentions associées à ce que l'autre personne ressent.

Ce mécanisme qui couplerait action et perception et que l'on observe dans le partage des émotions, contribue également à la perception de la douleur chez autrui, avec deux structures clés dans ce mécanisme, 1) le cortex cingulaire antérieur rostral (ACC) et 2) l'AI (Figure 1-5).

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FIGURE 1-5:L'EMPATHIE POUR LA DOULEUR : RESULTATS ET EXEMPLE DE MATERIEL DE STIMULATION. (a) activation des régions du cerveau communes à l'expérience de la douleur et à la perception de la douleur chez une autre personne, ACC : cortex cingulaire antérieur (Singer et al., 2004). (b) Exemples de visages exprimant la douleur (Saarela et al., 2007), de photos et de dessins de parties du corps dans des situations douloureuses (haut (Lamm et al., 2007b) ; bas (Gu and Han, 2007)). (c) Modulation des réponses cérébrales empathiques : les hommes (contrairement aux femmes) ne montrent pas d'activation de l'insula antérieure lorsque l'autre personne est perçue comme malhonnête (Singer et al., 2006). Tiré de Hein and Singer (2008).

La majorité des études sur les corrélats neuronaux de l'empathie sont ciblées sur l'empathie pour la douleur perçue chez une autre personne (Cheng et al., 2007; Gu and Han, 2007; Jackson et al., 2006; Lamm et al., 2007a; Lamm et al., 2009; Morrison et al., 2007). En particulier, deux études en imagerie par résonnance magnétique (IRMf), menées par Singer et al. (2004; 2006), ont examiné l'empathie pour la douleur de manière interactive et in vivo. Dans ce paradigme, le participant dans l'imageur IRMf reçoit soit la douleur lui-même ou bien il observe la douleur ressentie par une autre personne, cette douleur étant délivrée via

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des électrodes à l'arrière de la main. L'autre personne est assise à côté du scanner et un système de miroir permet au participant, à l'intérieur du scanner, de voir sa propre main ainsi que celle de l'autre personne. La première étude évaluait l'empathie chez des couples : l'épouse était dans le scanner et recevait la douleur elle-même ou percevait celle de son mari (Singer et al., 2004). Les résultats montrent que les régions communes entre ressentir et observer la douleur, sont des régions connues du réseau de la douleur, qui sont impliquées dans le traitement de la composante affective de la douleur, c'est à dire la façon subjectivement désagréable dont la douleur est ressentie, en particulier au niveau de l'AI bilatérale, et de l'ACC. L'activation de l'AI et de l'ACC n'est pas limitée à l'observation de la douleur chez une personne proche, mais on la retrouve également face à une personne inconnue (Singer et al., 2006) et même simplement en observant des photos ou des vidéos de visages exprimant la douleur (Lamm et al., 2007a; Saarela et al., 2007), ou simplement de parties du corps dans une situation douloureuse (Gu and Han, 2007; Jackson et al., 2006; Lamm et al., 2007b; Morrison et al., 2007) (voir Figure 1-5), et cela indépendamment du lien affectif entre la personne empathique et l'autre personne.

Le réseau IA-ACC n'est toutefois pas le seul à être impliqué dans la résonnance neuronale de la douleur ; le cortex somatosensoriel serait également impliqué. Des études en magnétoencéphalographie (MEG) (Cheng et al., 2008) et en potentiel somatosensoriels (PES) (Bufalari et al., 2007) ont révélé que l'empathie pour la douleur module également les composantes de l'activité cérébrale générée dans le cortex somatosensoriel primaire (SI) et secondaire (SII), c'est-à-dire des régions liées à l'expérience-même de la douleur. En outre, les potentiels évoqués moteurs (PEM), induits par stimulation magnétique transcrânienne (TMS), sont inhibés lorsque les participants observent une aiguille pénétrant un muscle (Avenanti et al., 2005; Avenanti et al., 2006). Une étude en IRMf a également montré que lorsque les participants se concentrent sur l'intensité de la douleur ressentie par d'autres personnes, on observe une activation controlatérale (à la main qui subit le stimulus douloureux) au niveau de SI (Lamm et al., 2007b).

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Il convient également de noter que ce réseau de neurones (ACC, IA et cortex somatosensoriel), impliqué dans la simulation d'états sensoriels, n'est pas limité à l'empathie pour la douleur. Ce réseau est également impliqué dans le dégoût, et plus généralement dans les situations aversives qui provoquent des réactions viscérales et somatosensorielles (Decety and Lamm, 2006). De même, l'activation de l'ACC en liaison avec l'aire motrice supplémentaire n'est pas nécessairement spécifique à l'expérience émotionnelle de la douleur, directe ou indirecte, mais est liée à divers autres processus, tels que le contrôle somatique, l'évaluation négative des stimuli ou encore la sélection et l'exécution de mouvements face à une situation aversive (Isomura and Takada, 2004). Notons également que les patients atteints de lésions des aires somatosensorielles primaire et secondaire ainsi que de l’insula, essentiellement à droite, présentent une altération significative de leur capacité d’empathie évaluée par leur capacité à reconnaître les émotions sur les visages (Adolphs et al., 2000). Ainsi, il semble probable que le phénomène de résonnance affective et motivationnelle que l'on observe dans la douleur ne soit pas spécifique aux qualités sensorielles de la douleur, mais il serait plutôt associé à des mécanismes de survie plus généraux tels que l'aversion et le retrait (Decety and Lamm, 2006).

De manière générale, l'insula antérieure semble donc avoir un rôle crucial dans le relais d'informations sensorielles et motrices "miroirs" vers les régions limbiques émotionnelles, dont l'amygdale, qui pourrait permettre de ressentir ce qu'une autre personne ressent, et vers l'ACC pour adapter son comportement en conséquence.

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