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Chapitre II Reconnaître les émotions d'autrui par les expressions de son visage

I. Qu'est-ce qu'une émotion

I.3. Classification des émotions

I.3.1. Emotions positives et négatives

La première façon de classifier les émotions réside dans une distinction fondamentale entre les émotions positives (agréables) et les émotions négatives (désagréables), qui se base sur les descriptions subjectives des émotions proposées par des sujets de différentes cultures (Watson and Clark, 1992; Watson and Tellegen, 1985). Cette distinction entre émotions positives et négatives est congruente l'idée de l’existence de deux systèmes de comportement distincts : un système orienté vers le rapprochement et la recherche du plaisir, poussé par une émotion positive et un système de comportements aversifs, orientés vers l’évitement, poussé par une émotion négative (Lang, 1995).

I.3.2. L’approche dimensionnelle des émotions

L’approche dimensionnelle se propose de décrire les états émotionnels en les décomposant en deux (Figure 1-12), trois, parfois même quatre facteurs, selon les auteurs. En particulier, pour les expressions faciales, il existerait un "nuage" d'expressions définissables par leur position dans un espace à plusieurs dimensions. La plus utilisée aujourd'hui est la théorie tridimensionnelle de Lang (1980) qui se définit selon trois axes : la valence (plaisant/déplaisant), l'intensité (calme/excité) et la dominance (contrôlé/incontrôlé).

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Cette approche dimensionnelle est critiquée, car il est difficile de savoir si les dimensions obtenues correspondent au matériel expérimental utilisé, à la nature des émotions ou aux limites du vocabulaire dont nous disposons pour en parler (Scherer, 1984).

I.3.3. Emotions de base, émotions universelles

Opposée à l'approche dimensionnelle, l'approche catégorielle soutient que l'ensemble des émotions peut être catégorisé par un petit ensemble d’émotions basiques, primaires ou fondamentales, qui seraient innées, non réductibles et communes à toute l’espèce humaine. Elles seraient représentées distinctement en mémoire, et seraient associées à des informations, idées et souvenirs également organisés de façon catégorielle (Petropoulou, 2006).

Cette approche de classification des émotions s'est développée en parallèle de l'étude des expressions faciales. En effet, c'est à partir de l’examen des expressions faciales que Ekman et Friesen ont déduit que certaines émotions étaient indépendantes de la culture puisqu'elles sont exprimées et reconnues sur le visage d'autrui, quelle que soit la culture considérée, même chez une population reculée de nouvelle guinée sans contacts avec d'autres cultures (Ekman et al., 1982). Ils ont ainsi identifié six émotions dites universelles, primaires ou basiques : la colère, le dégoût, la peur, la joie, la tristesse et la surprise. Ces émotions apparaîtraient très tôt au cours du développement humain et seraient alors exprimées à partir des mimiques du visage. Il s'agit des six émotions les plus étudiées dans le domaine de la neurobiologie.

En 1999, Ekman identifie 15 émotions de base. Il utilise alors le terme "basique" pour faire référence à trois significations.

La première met en avant le fait qu'il existe un nombre d'émotions distinctes les unes des autres qui différent de manière importante. De ce point de vue, le mépris, la peur, la colère, le dégoût, et la tristesse c'est-à-dire l'ensemble des émotions négatives, diffèrent notamment dans leur évaluation, les événements qui les suscitent, la réponse comportementale engendrée, et la réaction physiologique associée. De la même manière, l'amusement, la fierté, la satisfaction, le soulagement et le contentement, l'ensemble des émotions positives, diffèrent les unes des autres. Cette vision est très différente de la vision

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dimensionnelle qui décrit les émotions comme étant fondamentalement les mêmes entités, différant uniquement en termes d'intensité ou de valence.

La seconde signification de l'adjectif "basique" fait référence au fait que les émotions ont évolué pour leur valeur adaptative dans le traitement spécifique de tâches fondamentales de la vie. Ces tâches fondamentales correspondent à des situations humaines universelles telles que les pertes, les réalisations, les frustrations (Johnson-Laird and Oatley, 1992). Chaque émotion nous amène donc une solution qui, au cours de l'évolution, s'est révélée être la meilleure solution, dans des situations récurrentes et relatives à un but à atteindre.

Enfin, le terme "basique" a également été utilisé pour décrire des éléments élémentaires qui se combinent pour former des composés plus complexes. Ainsi, l'arrogance par exemple, pourrait être considérée comme un mélange de deux émotions basiques, la joie et le mépris. D’après Ekman (1992; 1999), chaque émotion basique a des propriétés spécifiques qui la distingue, d'une part, des autres émotions basiques, et d'autre part, des autres expériences affectives (Tableau 1-3).

TABLEAU 1-3

CARACTERISTIQUES QUI DISTINGUENT LES EMOTIONS DE BASE ENTRE ELLES ET QUI LES DISTINGUENT DES AUTRES EXPERIENCES AFFECTIVES.Traduit de Ekman (1999).

1. Signaux universel spécifiques 2. Physiologie spécifique 3. Evaluation Automatique

4. Evénements déclencheurs universels spécifiques 5. Apparition ontogénique spécifique

6. Présence chez les autres primates 7. Déclenchement rapide

8. Courte durée

9. Survenue inopportune

10. Pensées et souvenirs distincts 11. Expérience subjective distincte

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Il n’existe pas de consensus quant au nombre et à la nature des émotions fondamentales. Ce nombre varie de cinq à quinze selon les auteurs, les différentes données empiriques et les critères qui sont utilisés dans leur définition. Dans notre étude, nous considérerons six émotions fondamentales, les plus utilisées dans le milieu neuroscientifique, qui sont la colère, le dégoût, la peur, la joie, la tristesse et la surprise.

Finalement, les émotions peuvent soit être représentées comme des entités distinctes, soit être représentées selon un continuum. Ces deux approches, respectivement dimensionnelles et catégorielles, ne sont toutefois pas contradictoires. Une approche mixte peut-être considérée, selon laquelle une émotion peut prendre la forme d'un état homogène, d'une région, à l'intérieur d'un continuum (Figure 1-12)(Adolphs, 2002b).

FIGURE 1-12: STRUCTURE DIMENSIONNELLE DES CATEGORIES EMOTIONNELLES.

A gauche les émotions classées en catégories : joyeux, surpris, effrayé, en colère, dégoûté, triste, et l'état neutre, sont réparties selon deux dimensions, représentées à droite : la valence (plaisant/désagréable) et l'intensité ou niveau d'excitation (faible/élevé). Ce graphique a été réalisé à partir d'un test basé sur les expressions faciales, représentées par les points de couleur. La distance entre ceux-ci représente leur degré de dissemblance. Les deux dimensions sont une interprétation de cette répartition. Tiré de Adolphs (2002b).

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I.3.4. Les émotions sociales

Parmi les émotions dites secondaires, ou complexes, qui résulteraient de la combinaison d'émotions de base, se trouvent les émotions dites sociales ou morales. Parmi elles, on peut trouver par exemple la honte, l'embarras, la fierté et la culpabilité. Comparées aux émotions dites de base, ressentir une émotion morale exige de plus grandes capacités dans l'attribution d'états mentaux. En effet ce genre d'émotions implique de se représenter soi- même dans une relation sociale et exige de se représenter l'état mental des autres individus (par exemple, se représenter ce que les autres pensent de soi-même). Ces émotions ont la fonction explicite de réguler le comportement social, en incitant la production de certains comportements plutôt que d'autres (Adolphs, 2002b), elles sont donc essentielles au bon déroulement des interactions sociales. Cependant, malgré leur intérêt primordial dans les relations inter-personnelles, les émotions sociales sont rarement prises en compte dans les modèles explicatifs du traitement des émotions (Adolphs, 2002b). Il s'agit là d'un défi majeur pour les recherches futures, et pour le relever, une étroite collaboration entre la psychologie sociale et les neurosciences sera probablement nécessaire.