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Chapitre I L'empathie

III. Les processus constitutifs de l'empathie et leurs corrélats neuronaux

III.4. Un modèle cérébral de l'empathie

Les processus que nous venons de décrire, et les régions qui y sont impliquées, ne sont pas indépendants les uns des autres, au contraire, c'est leur interaction qui permet d'aboutir à l'empathie. Adolphs (2003) propose un modèle général de la cognition sociale qui est également bien explicatif des processus empathiques (Figure 1-10).

Pour Adolphs (2003), la complexité qui unit les différents processus se situe au moins à trois niveaux. Premièrement, on trouve les réseaux de traitements parallèles. Par exemple, les voies impliquant l'amygdale et les structures sous-corticales peuvent déclencher rapidement des réactions affectives, alors que les réponses émotionnelles plus tardives reposent sur les cortex préfrontal et pariétal qui impliquent des processus d'autorégulation. Deuxièmement, il existe un important rétrocontrôle entre les différents niveaux de traitement, de telle sorte qu'il devient difficile d'attribuer des niveaux de hiérarchie. Troisièmement, les stimuli sont traités dans le cadre d'un mode de fonctionnement de base du cerveau qui pourrait déjà introduire des biais. Par exemple, les jugements sémantiques de mots qui décrivent des personnes, par rapport à des jugements concernant des objets, activent de nombreuses régions mentionnées dans le modèle décrit Figure 1-10 (Mitchell et al., 2002). Cependant, cette différence d'activation provient d'une forte activation de base dans ces régions au repos, par rapport à leur désactivation lors du traitement d'objets non-humains. Cela indique que l'activité basale du cerveau, son mode par défaut, pourrait refléter un mode de fonctionnement qui est déjà vers l'interprétation et la catégorisation du monde social (Mitchell et al., 2002).

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FIGURE 1-10: PROCESSUS ET STRUCTURES CEREBRALES IMPLIQUEES DANS LA COGNITION SOCIALE.

Les structures décrites partagent certaines caractéristiques de base d'un système de traitement de l'information sociale: la sélectivité (distinction entre différents types d'informations), la catégorisation et généralisation, et l'intégration de l'expérience passée. Plusieurs des composantes de la cognition sociale (à l'intérieur de la zone grisée) contribuent à la connaissance sociale. La réévaluation et l'autorégulation sont des mécanismes de régulation par rétrocontrôle par lesquels l'évaluation et la réponse émotionnelle à des stimuli sociaux peuvent être modulées de manière volontaire. Tiré de Adolphs (2003).

Le modèle de la Figure 1-10 est toutefois une représentation très simplifiée des processus cérébraux impliqués dans la cognition sociale. En effet, bien qu'il soit possible d'attribuer un ensemble de structures cérébrales à différents niveaux de traitement de l'information, un processus donné est implémenté dans un ensemble modulable de structures et une structure participe à plusieurs processus, souvent à des moments différents. De plus, les voies de traitement sont multidirectionnelles et récursives, elles diffèrent entre elles par leur niveau d'automatisme, leur rapidité d'exécution et le niveau de détail traité (Adolphs, 2003).

Le deuxième modèle que nous allons présenter (Decety and Lamm, 2006) représente les interactions entre les processus essentiels qui définissent l'empathie : le partage des représentations, la distinction soi/autrui et la compréhension de l'état mental d'autrui. Nous

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avons apposé à ce modèle les structures cérébrales vraisemblablement impliquées dans les processus mentionnés par ces auteurs.

Ce modèle (Figure 1-11) est la représentation schématique de processus bottom-up (correspondance directe entre perception et action) et top-down (régulation et contrôle) impliqués dans l'empathie. Ces deux niveaux de traitement sont interdépendants. Les structures de bas niveau sont automatiquement activées (à moins d'être inhibée) par les informations perceptives, induisant le partage émotionnel. Cela conduit à la reconnaissance implicite que les autres sont comme nous. Les fonctions exécutives, mises en œuvre partir du cortex préfrontal, servent à moduler cognition et émotion, notamment grâce à l'attention sélective et l'autorégulation. Ce méta-niveau est continuellement mis à jour par l'information bottom-up et, en retour, il contrôle le niveau inférieur par des processus top- down. Ainsi, la régulation de type top-down, module les informations bottom-up et procure une flexibilité des réponses et une certaine indépendance de l’individu par rapport aux informations extérieures. Le rétrocontrôle métacognitif joue un rôle crucial dans la prise en compte de ses propres compétences mentales et du contexte général afin de réagir, ou non, aux états affectifs d'autrui.

Ces processus de réévaluation et de représentation de soi (Figure 1-10), de rétrocontrôle, d'activation et d'inhibition (Figure 1-11), sont les processus par lesquels la réaction empathique va pouvoir être modulée en fonction de divers facteurs, en particulier le contexte dans lequel se situe l'interaction sociale susceptible de provoquer l'empathie. Ces aspects de modulations seront développés dans le chapitre II de cette 1ère partie.

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FIGURE 1-11:INTERACTIONS DES PROCESSUS IMPLIQUES DANS L'EMPATHIE.

A gauche sont représentés l'ensemble des processus et leurs interactions, au centre les régions cérébrales correspondant à ces processus et à droite la circulation d'information de bas niveau et de haut niveau. La région du sulcus temporal supérieur, est indiquée ici pour son rôle crucial dans la perception des informations sociales, mais elle intervient aussi dans l'attribution d'états mentaux (voir Zilbovicius et al (2006)). Adapté de Decety et Lamm (2006).

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Nous avons choisi dans ce travail de considérer l'empathie comme la capacité à ressentir et à comprendre ce que ressent autrui sans confusion avec soi-même. Cette définition implique l'existence de trois processus relatifs à l'empathie dont nous avons décrit les corrélats neuronaux et leurs probables interactions : le partage des représentations avec autrui, l'adoption du point de vue d'autrui et la distinction entre soi et autrui. Nous avons fait ce choix en partie par rapport au rôle prosocial que l'ensemble des auteurs s'accordent à donner à l'empathie. Cette définition n'exclue pas une réponse comportementale en lien direct avec l'empathie, sans toutefois y inclure des processus qui iraient dans le sens d'un éloignement de l'autre. Pour illustrer ce dernier point, prenons le point de vue de Preston and de Waal (2002) dont la définition de l'empathie inclut nombre de processus, dont la contagion émotionnelle. Ce genre de processus, comme la détresse personnelle, même s'ils peuvent résulter de l'empathie, ne peuvent être considérés comme des réponses empathiques car ils n'aboutissent pas à des comportements faisant évoluer les rapports sociaux. D'autre part, à l'opposé, Singer (2006) exclut de sa définition la part des processus relatifs à l'attribution d'état mental, tout en considérant que le rôle de l'empathie est centré sur l'entraide et la coopération (de Vignemont and Singer, 2006). Cependant, est-il possible de réaliser ce genre de comportements prosociaux sans se mettre à la place d'autrui, sans lui prêter des émotions, des intentions et des désirs ? Nous pensons que non. Pour ces raisons nous avons considéré que la définition de Decety et Lamm (2006) est un bon compromis. Pour autant, d'autres classifications existent. Par exemple, Blair (2005) considère que l'empathie inclut une variété de processus neurocognitifs dissociables ; les trois divisions principales étant identifiées comme l'empathie cognitive, motrice, et émotionnelle, chacune dépendant au moins partiellement de systèmes neuronaux distincts. Selon ce modèle, l'empathie cognitive fait référence à la capacité de se mettre à la place d'autrui, d'inférer ses états mentaux, de deviner ses intentions et d'anticiper son comportement, il s'agit donc de la théorie de l'esprit. L'empathie motrice a lieu lorsqu'un individu reproduit en miroir les réponses motrices observées chez une autre personne. L'empathie émotionnelle fait référence essentiellement à la reconnaissance des émotions chez autrui, via les indices véhiculés par le langage, les gestes, les attitudes, le regard et les expressions du visage. C'est ce dernier point que nous allons développer dans le chapitre suivant.

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