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Implication des ganglions de la base et de l'insula antérieure

Chapitre II Perception des émotions d'autrui chez les patients Huntington

II. Déficit spécifique pour le dégoût : rôle des ganglions de la base et de l'insula

II.2. Implication des ganglions de la base et de l'insula antérieure

En parallèle de la découverte du déficit de reconnaissance de la peur associé à des lésions de l'amygdale, celle d'un potentiel déficit de reconnaissance du dégoût dans la maladie de Huntington a amené l'hypothèse d'une double dissociation peur/amygdale – dégoût/striatum et insula. Les paragraphes suivants exposent les arguments en faveur de cette hypothèse, en démontrant l'implication spécifique des GB et de l'insula dans le traitement du dégoût.

II.2.1. Les ganglions de la base

La MH étant avant tout considérée comme une atteinte des ganglions de la base (Vonsattel et al., 1985), le déficit de reconnaissance du dégoût a été attribué en premier lieu au dysfonctionnement de cette structure (Gray et al., 1997; Sprengelmeyer et al., 1996; Wang et al., 2003). De plus, d'autres pathologies des ganglions de la base ont été associées à des difficultés de reconnaissance des émotions : la maladie de Parkinson (Jacobs et al., 1995a; Sprengelmeyer et al., 2003), avec un niveau de performance particulièrement bas pour le dégoût (Pell and Leonard, 2005), comme dans la maladie de Wilson (Wang et al., 2003). Les études portant sur des patients victimes d'AVC indiquent que les ganglions de la base ont un rôle important dans la reconnaissance des émotions (Cancelliere and Kertesz, 1990) et du dégoût plus spécifiquement (Calder et al., 2000a; Phan et al., 2002). En imagerie fonctionnelle, le striatum ventral droit est préférentiellement activé par les odeurs dégoûtantes (Heining et al., 2003), et les expressions faciales de dégoût ont été associées à une activation accrue du putamen, globus pallidus et noyau caudé (Phillips et al., 1998b; Phillips et al., 1997; Sprengelmeyer et al., 1998).

II.2.2. L'insula

En plus de l'implication des ganglions de la base, l'insula a été décrite comme une structure impliquée spécifiquement dans le traitement du dégoût. En effet, il s'agit d'un carrefour d'intégration somatosensorielle qui reçoit des informations venant de régions gustatives,

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olfactive et viscérales (Mesulam and Mufson, 1982) et qui a été associée aux goûts désagréables (Small et al., 1999), sa partie antérieure en particulier (Yaxley et al., 1990). L'insula pourrait donc avoir un rôle dans la simulation d'états corporels liés à l'aversion (Adolphs et al., 2003; Calder et al., 2001). Les études lésionnelles montrent que des lésions au niveau de l'hémisphère gauche, localisées dans l'insula antérieure et postérieur ainsi que dans le putamen et le globus pallidus (Calder et al., 2000a) entraîne un déficit multimodalitaire du traitement du dégoût (mimiques faciales, sons non-verbaux, prosodie). Viennent s'ajouter à cela des preuves venant d'études en neuroimagerie (Figure 2-11). Phillips et al. (1997) montrent que la visualisation de visages exprimant le dégoût active l'insula antérieure avec une activité accrue lorsque l'intensité de l'expression augmente. De plus l'insula serait active à la fois pendant l'observation et l'expérience du dégoût (Wicker et al., 2003). Ces résultats sont en faveur de l'hypothèse que l'insula est impliquée dans le traitement du dégoût via la stimulation d'états sensoriels.

Le rôle de l'insula chez les patients MH est cohérent avec la réduction de matière grise dans l'insula décrite dans cette population (Thieben et al., 2002). Cette réduction est d'ailleurs corrélée avec le mauvais niveau de performance de reconnaissance du dégoût sur les visages (Kipps et al., 2007). De plus, l'activité de l'insula antérieure gauche est réduite lors du traitement de visages exprimant le dégoût chez les patients MH (Hennenlotter et al., 2004).

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FIGURE 2-11 : ACTIVATIONS DU CERVEAU AU COURS DE LA PERCEPTION DE VISAGES EXPRIMANT LE DEGOUT PAR RAPPORT A L'EXPRESSION NEUTRE.

Les images du haute correspondent à l'observation de visages exprimant le dégoût avec une intensité de 75%, celles du bas avec une intensité de 150%. L'intensité 75% induit une activation dans l'insula droite (I) et le cortex frontal médial droit (BA 32). L'intensité 150% de dégoût active l'insula antérieure droite et gauche (I), le cortex frontal inférieur droit (BA 44), le putamen droit (P) et le gyrus temporal moyen droit (BA 21).

Tiré de Phillips et al. (1997).

II.2.3. Rôle des ganglions de la base et de l'insula dans la reconnaissance du dégoût

Si insula et ganglions de la base sont deux structures impliquées dans le traitement du dégoût, quel est le rôle spécifique de chacun ?

Les ganglions de la base pourraient avoir un rôle dans la sélection conceptuelle d'une émotion parmi un ensemble de connaissances conceptuelles autour des émotions. En effet, les ganglions de la base pourraient avoir un rôle générique dans les processus de sélection (Fan et al., 2008; Grahn et al., 2008). Aucune étude ne montre de déficit concernant la joie car elle n'est pas en "compétition" avec les autres émotions. En effet, à l'intérieur des deux grandes catégories de valence positive ou négative, une seule sous-catégorie représente la valence positive alors que quatre sous-catégories représentent la valence négative, parmi lesquelles il faut faire une sélection. Le dégoût pourrait être une émotion plus difficile à

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traiter à cause du chevauchement conceptuel avec d'autres émotions. Il a effectivement été suggéré que certaines émotions demandent au sujet une classification à un niveau inférieur comparé à d'autres (Adolphs, 2002b; Rapcsak et al., 2000) et que la frontière entre certaines (notamment le dégoût et la colère) est particulièrement floue (Adolphs, 2002b). Au niveau des indices visuels, seule la joie est caractérisée par un sourire alors que le froncement de sourcils par exemple est partagé par la colère et le dégoût et les yeux écarquillés sont à la fois caractéristiques de la surprise et de la peur. Ajouté à cela, la tâche la plus fréquemment utilisée (Emotion Hexagon Task) montre un mélange entre deux types d'émotions (par exemple 30% tristesse et 70% dégoût), nécessitant un processus de catégorisation pour déterminer quelle est l'émotion la plus vraisemblablement exprimée (similaire aux processus de classification phonologique). Le rôle des ganglions de la base, et du striatum en particulier, dans la reconnaissance des émotions pourrait donc être de sélectionner parmi plusieurs réponses possibles et lorsque la sélection n'est pas automatique (comme pour la joie par exemple qui est la seule émotion positive présentée), un fonctionnement normal du striatum est nécessaire pour réaliser la tâche correctement.

Concernant le rôle de l'insula, Wang et al. (2003) ne l'attribuent pas directement à l'identification du dégoût. Son rôle serait plutôt d'associer des stimuli primaires (dégoûtants) à des renforçateurs secondaires (sociaux). Cette association passerait par un apprentissage à des stades précoces du développement. Le dégoût est considéré comme inné, et comme une réponse émotionnelle prototypique à des goûts et des odeurs agressives, l'expression faciale a quant à elle une valeur de communication dans la société humaine et tient lieu de renforçateur secondaire (Phillips et al., 1997; Rolls et al., 1996).

L'insula pourrait également constituer une région permettant de simuler, de se représenter la sensation de dégoût. En effet, les résultats d'imagerie fonctionnelle (Wicker et al., 2003) suggèrent l'existence d'un système de neurones miroirs dans le cortex insulaire antérieur qui représenterait le support neuronal commun entre voir et ressentir le dégoût. A l'appui de ce point de vue, l'ensemble des résultats comportementaux et des données issues de la neuropsychologie et de la neuroimagerie amènent à la possibilité qu'un déficit de reconnaissance des émotions dans la MH reflèterai une inhabilité à ressentir le dégoût et donc une capacité altérée pour simuler le dégoût (Hayes et al., 2007). Ces résultats pourraient également être interprétés d'une manière différente. L'insula serait nécessaire

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pour ressentir du dégoût ; en conséquence, le dysfonctionnement de cette région entraînerait avec le temps l'altération des liens entre la sensation de dégoût et les indices extérieurs. Au final, cela rendrait la tâche d'indentification du dégoût sur les visages plus ardue.

Enfin, comme nous l'avons souligné dans la section précédente, ganglions de la base et insula font partie d'un circuit commun comprenant également les cortex orbitofrontal, cingulaire antérieur, somatosensoriel, entorhinal, supérieur temporal et l'amygdale. Ainsi, l'insula, particulièrement son secteur antéro-ventral, constituerait un point de convergence de différentes modalités (venant entre autres du striatum ventral) qui contribueraient à l'identification du dégoût à différents degrés (Kipps et al., 2007). Ce circuit est impliqué dans les traitements émotionnels dans différentes modalités sensorielles, c'est-à-dire dans la perception, l’indexation et la génération supra-modales d’états émotionnels. Les défaillances de ce système mettent en évidence des troubles de reconnaissance des signaux émotionnels délivrés par autrui ainsi que des ressentis émotionnels propres à l'individu, sans perte de la connaissance des concepts liés à ces mêmes émotions (Calder et al., 2000a). Ce dernier point explique le fait que les questionnaires verbaux relatifs au dégoût, et à l'ensemble des émotions, sont souvent bien réussis par les patients MH.

Un autre rôle du système insula-striatum pourrait être de détecter les informations aversives de l'environnement (Hayes et al., 2007). Cette hypothèse a été émise après la découverte du rôle de l'amygdale dans la détection d'indices menaçants dans l'environnement et, plus spécifiquement s'agissant des visages, dans la direction de l'attention vers les yeux (élément du visage qui se modifie le plus et qui est le plus spécifique à l'expression de peur) (Adolphs et al., 2005). Ainsi, alors que l'amygdale pourrait-être vue comme un "détecteur d' yeux" (Vuilleumier, 2005), le système insula-striatum pourrait être qualifié de "détecteur de nez et de bouche" (Hayes et al., 2007), puisque le relèvement de la lèvre supérieure et le plissement du nez sont caractéristiques du dégoût.

La théorie qui vient d'être présentée défend l'idée de structures cérébrales indépendantes et spécifiques pour le traitement de chaque émotion. En particulier, l'insula et les ganglions de la base sont décrits comme des structures centrales dans le traitement du dégoût, ce qui

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justifierait les déficits spécifiques relatifs à cette émotion observés dans la MH. Toutefois, toutes les études n'observent pas une telle spécificité ; ce qui infirmerait au moins le fait que les ganglions de la base sont différentiellement impliqués dans le traitement du dégoût. Les arguments allant à l'encontre d'un déficit spécifique du dégoût, et plutôt dans le sens d'un déficit de reconnaissance de toutes les émotions négatives, sont développés dans la partie suivante.