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Chapitre I L'empathie

III. Les processus constitutifs de l'empathie et leurs corrélats neuronaux

III.2. Comprendre ce que ressent autrui

III.2.1. Empathie et théorie de l'esprit

La théorie de l'esprit est une capacité (on possède une théorie de l'esprit) qui fait référence au processus permettant d'adopter le point de vue d'autrui3.

Ainsi, si l’on considère que l’empathie permet d’obtenir une source de connaissances sur l’état psychologique de l’autre, on peut dire qu’elle est très proche de ce qu’on appelle la "théorie de l’esprit", qui renvoie à la capacité à imaginer l’état mental d’autrui. Plus précisément, le concept de théorie de l'esprit se réfère à l’aptitude à comprendre que nos semblables ont également des états d’esprit, des désirs, des émotions, des croyances, des intentions et de pouvoir préciser le contenu de ces représentations.

Ce concept a été amené par Premack et Woodruff (1978) chez les primates non humains "Does the chimpanzee have a theory of mind ?". Cette aptitude d'attribuer des états mentaux à soi-même et aux autres (penser, vouloir, savoir, ressentir, etc.) repose sur un système d’inférences, alors considéré comme une théorie car les états mentaux ne sont pas directement observables mais aussi parce qu’ils permettent l’élaboration de prédictions quant au comportement d’autrui. Le terme "théorie de l’esprit" a été retenu par les psychologues avec notamment Baron-Cohen et al. (1985) qui ont ensuite posé la question : "Does the autistic child have a theory of mind?".

De manière consensuelle, la théorie de l'esprit se définit par deux fonctions essentielles : - Elle se réfère aux capacités d’une personne à former des représentations des états mentaux des autres, aussi appelées méta-représentations (Leslie and Frith, 1987).

- Elle permet d’utiliser ces méta-représentations pour comprendre, prédire, et juger le comportement des autres. Cette étape doit passer par une récupération des connaissances relatives à ces représentations permettant ainsi de constituer une théorie qui elle-même permet d'interpréter le comportement social de façon rapide et flexible (Thomassin-Havet, 2007).

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En anglais plusieurs termes désignent les processus reliés à la capacité à attribuer des états mentaux à autrui, plus vulgairement de se mettre à la place d'une autre personne : perspective taking, mentalizing ou encore mind reading.

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La théorie de l'esprit est essentielle à l’accomplissement normal des interactions sociales. C’est en effet grâce à cette capacité que nous pouvons coopérer, négocier avec quelqu’un ou au contraire nous opposer et mentir (Thomassin-Havet, 2007). Pour cela, il faut pouvoir imaginer ce que pense l’autre, ce qu’il veut, ce qu’il désire, tout en tenant compte de son propre état mental. La théorie de l'esprit permet donc d’anticiper le comportement des autres. Baron-Cohen (1995) insiste particulièrement sur cet aspect car l’adaptation sociale dépend de la théorie de l'esprit. En effet, la "réussite" d'une interaction sociale repose en partie sur l'adaptation aux états mentaux d’autrui, de façon appropriée selon chaque situation. La théorie de l'esprit permet aussi de distinguer réalité et apparences, et d'être capable de cerner un décalage entre ce que nous savons ou croyons et le monde intérieur des autres. Prendre en compte les différences intersubjectives apparaît ainsi primordial pour adopter un comportement social adapté.

On peut alors de poser la question légitime : Comment la théorie de l'esprit s'intègre-t-elle

dans le phénomène d'empathie ?

Pour Decety and Lamm (2006), nous l'avons vu, la théorie de l'esprit est un des processus qui définit l'empathie. En effet si l'on reprend la définition citée précédemment, "comprendre ce que ressent autrui" nécessite d'adopter le point de vue d'une autre personne et de se représenter son état mental. Néanmoins, contrairement à l'imitation motrice par exemple (le nourrisson qui reproduit l'expression du visage de sa mère), cet aspect de l'empathie se développe plus tardivement et vraisemblablement parallèlement au développement des fonctions exécutives (Zelazo et al., 2004). La possession de la théorie de l'esprit n'est pas identique à l'empathie mais est nécessaire pour aboutir à une empathie complète dans le sens où elle se termine normalement par un comportement prosocial.

Au contraire, d'autres auteurs distinguent ces deux processus. Pour Hein and Singer (2008) l'empathie et le changement de point de vue sont deux processus distincts puisque qu'ils impliquent différents réseaux neuronaux (Figure 1-6). Ces auteurs mettent l'accent sur le fait que lire dans l'esprit d'autrui est le résultat d'un raisonnement cognitif. Par opposition, l'empathie est alors définie comme un état affectif causé par le partage des émotions ou des états sensoriels d'une autre personne. Bien que distincts selon ce point de vue, ces deux processus restent interactifs aussi bien sur le plan des réseaux et des mécanismes cérébraux

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qu'au niveau du développement des capacités au cours de l'enfance et de l'adolescence (Singer, 2006).

FIGURE 1-6:LES RESEAUX NEURONAUX IMPLIQUES DANS LA COMPREHENSION D'AUTRUI.

Les régions impliquées dans l'attribution d'état mental (en vert) sont typiquement distinctes de celles impliquées dans l'empathie (en rouge), ces-dernières proviennent d'études menées sur la douleur, le dégoût, le toucher et le goût. MPC, cortex préfrontal médian; ACC, cortex cingulaire antérieur; AI, insula antérieure; SII, cortex somatosensoriel secondaire; TP, pôles temporaux; STS, sulcus temporal supérieur; TPJ, jonction temporo-pariétale. Tiré de Hein and Singer (2008).

Les études en neuroimagerie qui portent sur la capacité à "lire dans l'esprit d'autrui" utilisent des histoires, des bandes dessinées, des images et des séquences d'animation de formes géométriques (voir Figure 1-7 et Figure 1-8 pour des illustrations de ces tâches) qui diffèrent dans la mesure où elles représentent les intentions, les croyances ou les désirs des autres (pour une revue, voir Siegal et Varley (2002)). Toutes ces études ont apporté des preuves convergentes de la participation de trois régions cérébrales, illustrées dans la Figure 1-6 : les pôles temporaux (TP), le sillon temporal supérieur postérieur (STS) et de manière très systématique, le cortex préfrontal médian (mPFC). Nous évoquerons dans les paragraphes suivant le rôle des ces trois structures dans l'empathie et de manière plus générale dans la cognition sociale.

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