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Chapitre I L'empathie

II. Pourquoi, pour quoi être empathique ?

Comme il a déjà été mentionné, pour certains auteurs, le rôle de l'empathie est une de ses caractéristiques principales et sa définition devrait évoquer l'empathie comme un processus motivationnel qui aboutit à des comportements, des réponses empathiques vers les autres, qui servent les interactions sociales (Ainslie and Monterosso, 2002). A quoi sert l'empathie ? Il est possible de distinguer deux aspects explicatifs : (i) pourquoi l'empathie a-t-elle été sélectionnée à travers l'évolution et (ii) quel est le rôle de l'empathie, une fois que ce processus a émergé ?

La première question fait référence à la fonction adaptative de l'empathie et la réponse réside dans l'analyse d'autres espèces (Preston and de Waal, 2002). La deuxième question fait référence à son rôle dans la vie de tous les jours et la réponse réside quant à elle dans l'étude des troubles de l'empathie, comme par exemple par l'étude de la psychopathie, mais aussi par l'étude psychologique développementale et sociale.

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II.1. Pourquoi ? Empathie et évolution

Concernant la fonction adaptative de l'empathie, certains auteurs ont suggéré que l'empathie a été sélectionnée pour développer le lien mère-enfant (Darwin, (1872 reprinted

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2002)) ainsi que l'altruisme avec réciprocité (Alexander, 1974). Ainsi l'empathie est souvent associée aux comportements prosociaux comme l'entraide. Du point de vue des théories évolutionnistes, l'empathie aurait ainsi évolué pour contribuer à la sauvegarde génétique de la descendance et des congénères en général, grâce à ces comportements d'aide qui y sont associés.

On constate en effet une évolution de la complexité des liens sociaux avec le développement du cortex cérébral (Figure 1-2). De plus si l'on considère les processus mentionnés dans la partie précédente, certains apparaissent chez les mammifères, d'autres chez les grands singes et d'autres encore, comme la théorie de l'esprit, ou l'empathie cognitive, n'appartiendraient qu'aux humains, selon certains auteurs. Pour illustrer cette évolution de la complexité des capacités sociales, mentionnons par exemple que les rats sont capables d'appuyer sur un bouton pour mettre fin à la détresse d'un congénère suspendu (Rice and Gainer, 1962) ; les grands singes sont capables de se reconnaître dans un miroir, témoignant d'une conscience de soi, alors que les autres espèces de singes n'en sont pas capables (Gallup and Platek, 2003) ; de même, les grands singes uniquement, sont capables de réconforter un congénère victime d'agressions (De Waal and Aureli, 1997).

Notre capacité à comprendre les autres irait donc de paire avec le développement cérébral. Au cours des 5 à 7 millions d'années qui se sont écoulées depuis notre distinction d'avec la lignée des hominidés, le volume de notre cerveau a augmenté de façon considérable (Figure 1-2). Cette augmentation concerne essentiellement les régions associatives du cortex frontal et des régions temporo-pariétales. Nous verrons que ces deux régions cérébrales jouent un rôle important dans les mécanismes qui nous permettent de comprendre que nous avons, comme les autres personnes, des états mentaux qui sont à l'origine de nos comportements, et plus particulièrement dans la compréhension empathique.

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FIGURE 1-2:NOTRE CERVEAU EST-IL SPECIALISE POUR LA COGNITION SOCIALE ?

Alors que le hérisson, espèce insectivore primitive montre déjà un comportement maternel qui permet le bon développement de sa descendance, les primates non-humains (comme les chimpanzés) vivent dans des sociétés extensives pouvant être composées d'une douzaine d'individus ; l'Homme moderne a quant à lui créé des sociétés composées de millions de personnes interactives. D'ailleurs, notons qu'il existe une corrélation à travers les primates, entre la taille du groupe social et le volume du néocortex. Tiré de Adolphs (2003)

D'un autre côté, si l'on se place du point de vue très restrictif de l'empathie, et que l'on considère ce phénomène uniquement comme le partage de représentations émotionnelles (Singer, 2006), alors l'empathie aurait pu évoluer seulement comme le produit dérivé d'un mécanisme plus général d'apprentissage par association (Keysers and Perrett, 2004). Certains, vont même plus loin et avancent que l'empathie est un processus mal adapté et coûteux, puisque, par exemple, se sentir triste chaque fois qu'une tierce personne est triste n'apporte pas de bénéfice en soi (voir de Vignemont et Singer (2006)). Néanmoins, l'empathie dans le sens "résonnance émotionnelle" est un processus qui trouve son intérêt en partie dans le fait qu'il s'effectue de manière automatique et rapide, pouvant ainsi constituer le chemin le plus efficace pour atteindre les motivations et prévoir les intentions d'autrui (de Vignemont and Singer, 2006).

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II.2. Pour quoi ? Le rôle de l'empathie

Le rôle prédominant de l'empathie est un rôle social. L'empathie serait impliquée dans les comportements prosociaux, la coopération, l'altruisme, la moralité et la justice (Eisenberg and Morris, 2001). Cela est confirmé par le fait que les individus qui présentent un déficit d'empathie sont plus susceptibles d'avoir des comportements agressifs et antisociaux que le reste de la population (Hoffman, 2000).

De plus, la capacité à partager les expériences émotionnelles des autres permet de réagir de manière appropriée au contexte et aux individus, ce qui facilite la communication et crée une cohérence sociale (de Vignemont and Singer, 2006). Par exemple, imiter les actions des autres, appelé "effet caméléon", c'est-à-dire la tendance à adopter les gestes, les postures et les manières des autres, favorise l'attachement et l'affection (Lakin and Chartrand, 2003). De manière similaire, percevoir l'empathie d'une autre personne à son égard favorise le développement du lien affectif avec cette personne. Ainsi, grâce à l'empathie il est possible d'observer des cycles d'interaction sociale : "tu comprends que je comprends ce que tu ressens". Dans le cas d'une interaction réussie, c'est-à-dire où les deux personnes ont le sentiment d'avoir compris et d'avoir été comprises, ces cycles seraient constitués d'une succession de comportements empathiques (pouvant être simplement la reconnaissance des émotions sur un visage).

La fonction de l'empathie n'est pas uniquement sociale. L'empathie fournit aussi des connaissances importantes sur notre environnement. Par exemple, en voyant quelqu'un être brûlé par une machine, nous accordons une valeur négative d'évitement à cette machine, sans avoir eu soi-même, au préalable l'expérience de la douleur provoquée par la machine (Keysers and Gazzola, 2006). En ce sens, l'empathie est un outil d'évaluation efficace pour l'acquisition de nouvelles connaissances sur le monde qui nous entoure (Preston and de Waal, 2002).

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III. Les processus constitutifs de l'empathie et leurs