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La nécessaire prise en compte des attentes des salariés

Chapitre 5 : Les pratiques organisationnelles en entreprise liées au temps de travail

5.1 La nécessaire prise en compte des attentes des salariés

La tendance à l’individualisation du temps de travail comme une volonté des salariés, se décline concrètement dans un certain nombre d’entreprises. Un certain nombre d’entreprises mettent en place une individualisation du temps de travail pour faire écho à la volonté de leurs salariés. Ces nouvelles approches visent à réorganiser le modèle traditionnel de la semaine où le travail se fait de 9h à 17h dans les locaux de l’organisation. Et le but, avoué, de la plupart de ces organisations est d’influer positivement sur la satisfaction des salariés en leur permettant de concilier les exigences de leur emploi et celles de leur vie familiale et personnelle. Car de plus en plus de personnes réclament cet équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, et cherchent des employeurs plus compréhensifs à l’égard des réalités familiales. Pour Patrick Caré, président du Medef Bretagne (Travail et changement, 2011) cette conciliation des temps est nécessairement à prendre en compte par les entreprises, pour leur avenir : « Opter pour certaines formes d’organisation comme le nomadisme ou le télétravail relève de vrais choix stratégiques pour chaque entreprise. Certaines ont intégré cela comme facteurs de performance. Car un salarié parvenu à équilibrer sa vie privée et sa vie professionnelle est plus efficace. »

Les exemples significatifs d’entreprises qui innovent, dans ce domaine, en France et à l’étranger, sont nombreux.

- Areva (Famili, 2014) propose à ses salariés parents d’être en congés en même temps que leurs enfants. Les salariés qui optent pour un temps partiel annualisé, 9/10e de temps, s’arrêtent une semaine complète à chaque période de vacances scolaires, en plus des congés payés et des RTT. La majorité des salariés qui en bénéficie sont des hommes. A la différence du 4/5e de temps (généralement avec le mercredi libéré), cette formule n’a pas vraiment l’image d’un temps partiel. Cela véhicule une image moderne, positive, qui contribue à casser les stéréotypes. Un ingénieur témoigne: « Je travaille à 100% (…) mais je peux consacrer du temps à chacun de mes enfants, partager des loisirs avec eux. Bien sûr je perds un dixième de mon salaire. Mais c’est en partie compensé par le fait que les enfants ne sont pas inscrits au centre de loisirs lorsque je suis à la maison. »

- Renault (magazine Famili, 2014), depuis l’accord télétravail de 2007, propose à tous ses salariés (cadres, employés, sans restriction de métiers) de travailler une partie du temps à leur domicile. Leur seule obligation : venir au bureau au moins un jour par semaine pour maintenir le lien. Les enquêtes internes faisaient apparaître une très forte demande des salariés. Dans les faits, 88% ont choisi de le faire un jour ou deux par semaine.

- Capgemini (magazine Famili, 2014), met en place depuis 2013, 2 fois par an, des conférences sur la parentalité à destination des collaborateurs. Le taux de satisfaction enregistré pour les conférences est entre 90 et 100%. Une responsable RH à la direction des affaires sociales témoigne des grandes attentes chez les salariés de l’entreprise d’un meilleur équilibre des temps : « Nous recrutons beaucoup de jeunes qui veulent équilibrer vie de famille et carrière. Nous avons installé plusieurs dispositifs dans ce sens : encadrement des réunions (pas avant 9h et après 18h), télétravail, etc. ». Pour une Managing Consultante, mère de 3 enfants, « c’est important de sentir que l’entreprise est consciente de la difficulté qu’il peut y avoir à concilier les contraintes de la vie familiale et celles de la vie professionnelle. Et j’apprécie d’être reconnue en tant que mère de famille. Ça m’aide à me sentir bien au travail, plus détendue, plus efficace. »

Pour Frédéric Goux, DRH opérationnel de la Banque Postale, que nous avons rencontré, la qualité du travail va primer de plus en plus sur la quantité. A ce titre, l’entreprise ne peut faire l’économie de la réflexion sur la prise en compte des attentes des salariés pour qu’ils soient en condition de faire du bon travail. Il est par ailleurs conscient des enjeux liés à l’articulation vie privée/vie professionnelle, et des changements générationnels dans ce cadre : « Pour les jeunes, il n’y a pas que le boulot dans la vie. » C’est ce qui explique la signature à la Banque Postale d’un accord télétravail expérimental négocié en 2 mois avec les partenaires sociaux et signé en février 2014. « C’était dans l’air du temps, c’est une tendance forte que je ne pouvais pas ignorer et de fait la négociation avec les partenaires sociaux a été rapide. » La prise en compte des attentes des salariés n’est pas réservée aux grandes entreprises qui en ont les moyens. Dans le secteur des PME (Petites et Moyennes Entreprises) aussi, des innovations voient le jour. L’entreprise familiale de boucherie Lesage et Fils par exemple (hors-série Liaisons sociales, 2014), qui emploie 77 personnes dans un secteur très rural, s’est interrogée sur l’organisation du temps de travail de ses salariés, en faisant du potentiel d’innovation qu’elle induit, le principal levier de la pérennisation de son activité. « C’est dans le cadre de ces réflexions que nous avons décidé de mettre en place un dispositif de télétravail pour nos opérateurs de commande », explique François Lesage, co-gérant. Chaque soir, les commandes émanant de restaurateurs et de détaillants affluent vers l’entreprise qui doit les préparer pour le lendemain. Jusqu’à présent, l’organisation interne contraignait les opérateurs de saisie à venir traiter les commandes en pleine nuit pour, ensuite, revenir dans la matinée prendre leur poste de jour. « Que ce soit au plan de la vie familiale, de la fatigabilité, des transports, de la sécurité, cette situation n’était satisfaisante à aucun égard. Grâce au télétravail, ces collaborateurs organisent leurs tâches comme ils l’entendent, à domicile, et ne viennent plus que 4 jours par semaine dans l’entreprise, ce qui leur épargne les déplacements nocturnes », poursuit François Lesage.

Nous avons rencontré Alexis Garcia, dirigeant d’une TPE, un cabinet d’expertise comptable de 13 personnes. A cette échelle, l’organisation du temps de travail passe davantage par de l’ajustement mutuel et de l’arrangement informel. Mais les enjeux n’en sont pas moins grands. Alexis Garcia a mis en place un système individualisé destiné à ses deux plus proches collaborateurs. Tous les deux sont au forfait heures hebdomadaires. Ils font 39h par semaine. L’un a demandé, plutôt que d’être payé en heures supplémentaires sur une base

35h, à bénéficier d’une semaine de congés en plus. Cette demande date d’il y a quelques années, à une période de sa vie où le collaborateur a souhaité privilégier du temps pour sa famille plutôt que son niveau de vie. L’autre salarié est payé des heures supplémentaires qu’il fait chaque mois (incluses dans son forfait d’heures).

Une entreprise à la culture organisationnelle "constructive", qui permet à ses collaborateurs de se réaliser personnellement, de concilier les exigences de leur emploi et celles de leur vie familiale et personnelle, « tend donc vers davantage d'efficacité qu'une organisation à la culture passive-défensive ou agressive-défensive » (John R.Schermerhorn Jr et al., 2010). Or, une organisation proactive du temps de travail peut faciliter la réalisation de soi dans le travail mais aussi à l'extérieur, et accroître la performance des individus dans l'entreprise. Cela influe sur la motivation, la satisfaction dans le travail, avec des salariés qui, au final, collaborent mieux et présentent un rendement supérieur. Cette interaction entre le "dedans et le dehors", entre le travail et le hors-travail, certaines entreprises l'ont bien identifié comme étant « un levier d'efficacité fonctionnelle et de satisfaction professionnelle, c'est-à-dire le sentiment favorable qu'inspirent aux individus leur emploi et leur milieu de travail » (John R.Schermerhorn Jr et al., 2010).

Par exemple, l'organisation du temps de travail chez Bosch en Allemagne est un facteur de satisfaction pour les salariés. C'est donc pour rendre ses cadres plus performants, que la multinationale allemande a converti plus de 500 managers au temps partiel (Le Nouveau Management, avril 2014). Dans le cadre du programme More (Mindset ORganization Executives) mis en place en 2012, 500 cadres de l'équipementier industriel ont en effet choisi de travailler différemment : soit ils restent une journée par semaine chez eux et poursuivent leur tâche depuis la maison (80% ont retenu cette solution) soit ils réduisent leur temps de travail. C'est ce qu'a choisi Christian Gebauer, ingénieur, qui pilote avec 4 chefs de service, un département de 80 personnes dans le secteur de la logistique. A la question de savoir s'il est possible de manager à 80%, il répond: « Sans problème. Il suffit d'un peu de bonne volonté et de beaucoup d'organisation. Il faut d'abord savoir déléguer un maximum de tâches à ses subordonnés et les responsabiliser. Supprimer toute démarche inutile, réduire à l'essentiel concertation et décision. Les réunions durent moins longtemps, on réfléchit à l'utilité de certains rendez-vous. (...) Et mes meilleures idées me viennent lorsque je me détends le week- end en taillant mes rosiers. J'ai retrouvé une énergie que certains cadres stressés n'ont plus. » Cette pratique du temps partiel qui, d'ordinaire, concerne assez peu les managers, semble aussi satisfaire, par déclinaison, les subordonnés à qui l'on accorde plus de confiance, qui sont plus autonomes et plus motivés. Un représentant du syndicat IG Metall témoigne: « Le monde du travail est devenu plus flexible et, d'après nos études, les salariés souhaitent eux aussi plus de flexibilité. Il nous faut juste vérifier qu'on ne leur demande pas de travailler autant en moins d'heures. »

Sur ce sujet, il semble donc qu'il y ait un lien fort entre les attentes des salariés cadres et les intérêts de l'entreprise.