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Les risques pour l’entreprise:

FOCUS SUR LE CO-WORKING

4.2 Les risques pour l’entreprise:

4.2.1 Risques juridiques

Les articles L.3121-1 et suivants du Code du Travail posent le cadre de la durée du travail, sa répartition et l’aménagement des horaires. Les articles R3135-1 à 6 du Code du Travail prévoient des dispositions pénales en cas de non-respect des durées maximales de travail et des droits à repos. L’employeur peut être puni de l’amende prévue par des contraventions de la quatrième ou cinquième classe selon le type d’infraction commise.

Un exemple récent est celui d’un groupe bancaire français11 qui, en avril et juillet 2014, s’est

vu reproché par l’Inspection du travail les heures excessives travaillées par ses cadres du service Risque et Finance. L'exercice des Assets Quality Review avait en effet entraîné une surcharge de travail en début d'année, qui avait poussé les syndicats à alerter l'inspection. L’inspecteur reprochait au groupe bancaire un manque de contrôle des temps de repos quotidiens et hebdomadaires et des charges de travail excessives (avec un exemple de temps de présence hebdomadaire dans les locaux de l'entreprise de 78 heures).

Les résultats de notre enquête montrent que le contrôle des horaires, bien que juridiquement obligatoire, est effectué dans seulement 18% des entreprises représentées.

FOCUS JURIDIQUE SUR LE FORFAIT EN JOURS

Crée en 2000, cette convention de forfait a vu la part de salariés en forfait jours passer de 4% en 2001 à 13,3% en 2014, selon une enquête de la DARES12. 47% des cadres sont soumis au forfait jours.

11 Les Echos du 23 septembre 2014, « Horaires excessifs : BPCE contraint de revoir son accord sur le temps de

travail ».

12 DARES Analyses : « Les salariés au forfait annuel en jours. Une durée du travail et une rémunération plus

La convention de forfait en jours est prévue par le Code du Travail selon les dispositions de l’article L. 3121-43 à 48. Cette convention permet de décompter la durée du travail en jours et peut être mise en place pour les cadres autonomes dans leur organisation du temps de travail, par accord collectif de branche ou d'entreprise, combiné à une convention individuelle. Cette possibilité concerne les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l ‘exercice des responsabilités qui leur sont confiées. Le nombre maximal de jours travaillés reste limité à 218 jours (ou jusqu’à 235 jours si, en accord avec son employeur, le salarié renonce à une partie de ses jours de repos en contrepartie d’une majoration de son salaire). Les articles L3121-44 et L3121-46 du Code du Travail énoncent notamment les obligations de l’employeur quant au nombre de jours travaillés et de la charge de travail du cadre soumis au forfait en jours : « Le nombre de jours travaillés dans l'année fixé par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39 ne peut excéder deux cent dix-huit jours » et « Un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié ».

Pour rappel, un avenant à la convention de forfait conclue entre le salarié et l'employeur détermine le taux de la majoration applicable à la rémunération de ce temps de travail supplémentaire, sans qu'il puisse être inférieur à 10 %.

Le 29 juin 2011, dans un arrêt de chambre sociale de la Cour de Cassation, un salarié cadre autonome s’est vu reconnaître le paiement des heures supplémentaires qu’il avait effectuées dans le cadre de son forfait en jours. Ce cadre avait notamment reproché à son employeur diverses insuffisances quant au contrôle du nombre de jours travaillés et quant au suivi de son organisation et de sa charge de travail. Il avait formé des demandes au titre d’heures supplémentaires impayées et de travail dissimulé. L’arrêt de la Cour de Cassation, n’a pas invalidé le forfait en jours mais il a eu le mérite d’entourer le recours à ce dispositif d’un certain nombre de garanties destinées à préserver le droit des salariés à la santé et au repos clarifier certaines règles :

« l’accord collectif qui fixe le cadre des conventions de forfait en jours sur l’année doit préserver le droit des salariés à la santé et au repos. Pour cela, il doit comporter des mesures concrètes de nature à assurer le respect du décompte effectif des jours et demi-journées travaillés ainsi que des repos, journaliers (11 heures) et hebdomadaires (24 heures, auquel s’ajoute le repos quotidien, soit 35 heures au total) ;

L’employeur doit s’assurer du respect des stipulations de l’accord collectif et des garanties prévues par la loi. Le repos quotidien et hebdomadaire doit être effectif ; l’entretien annuel mentionné ci-dessous doit effectivement avoir lieu, porter sur des points précis (exemple : organisation, charge de travail et amplitude des journées d’activité) et, si nécessaire, donner lieu à des décisions si un dysfonctionnement est constaté ; un décompte précis des journées ou demi-journées travaillées ainsi que des jours de repos (congés payés, congés conventionnels, etc.) doit être établi par l’employeur, de même qu’un contrôle effectif de la charge de travail du salarié, etc. »13

Si ces principes ne sont pas respectés, la convention de forfait en jours sera, selon la Cour de cassation, privée d’effet : le salarié sera alors en droit de prétendre au paiement d’heures supplémentaires dont les juges devront vérifier l’existence et le nombre.

Le Comité européen des droits sociaux (CEDS), suite à une réclamation de la CFE-CGC et de la CGT, par deux décisions du 23 juin 2010 déclare que le forfait en jours du Droit du Travail français n’est pas conforme à l’article 2, paragraphe 1 de la Charte Sociale Européenne14 concernant dans la mesure où il ne garantit pas au salarié une durée hebdomadaire maximale de travail raisonnable :

Article 2 § 1 : fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire, la semaine de travail devant être progressivement réduite pour autant que l'augmentation de la productivité́ et les autres facteurs entrant en jeu le permettent;

Le temps de travail maximum (78 heures par semaine en théorie) pour les salariés soumis au régime de forfait annuel en jours est manifestement excessif et ne peut pas en conséquence être qualifié de raisonnable au sens de l’article.

De même, le CEDS considère que le forfait jour n’est pas conforme à l’article 4 paragraphe 2 de la Charte au motif que les heures de travail effectuées par les salariés soumis au système de forfait jours qui ne bénéficient d’aucune majoration de rémunération, sont anormalement élevées.

Article 4 § 2 : à reconnaitre le droit des travailleurs à un taux de rémunération majoré pour les heures de travail supplémentaires, exception faite de certains cas particuliers;

Dans son dernier rapport de décembre 2010, le CEDS réitère que le dispositif français du forfait jours est en contradiction avec les dispositions de la Charte sociale européenne.

Un autre risque juridique important est identifié par l’article 4121-1 du Code du Travail: « l’employeur prend la mesure nécessaire pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». L'employeur qui ne satisfait pas à son obligation générale de sécurité de résultat, engage sa responsabilité civile et le cas échéant sa responsabilité pénale. Au vu des problématiques de santé qui découlent d’une organisation du temps de travail défaillante et des risques accrus d’accidents qui en dérivent, une attention particulière doit être portée au nombre d’heures travaillées par jour et par semaine pour éviter les dérives sur la santé des travailleurs. Pour rappel, le salarié victime d'un accident de trajet, ou ses ayants droit, en cas de décès, disposent d'un recours de droit commun contre l'employeur et peuvent ainsi, s'ils rapportent la preuve de sa faute, obtenir l'indemnisation de préjudices non couverts par la sécurité sociale.

4.2.2 Risques financiers

Les accidents de travail ou les maladies professionnelles, répercutés sur le taux AT/MP, mais aussi, de manière plus cachée, l’absentéisme ou les absences maladie à cause des effets chroniques de la fatigue cumulée, voire les autres pathologies qui peuvent en dépendre, font courir à l’entreprise des risques financiers importants.

Le surcoût financier de l’absentéisme est lié notamment : au versement du complément de salaire garanti et indemnités complémentaires, au coût d’embauche de travailleurs intérimaires et de remplaçants, au recours à des contrats de travail à durée déterminée, à la diminution de la productivité et de la position concurrentielle de l’entreprise.

Pourtant, ces coûts indirects peuvent être évités grâce à une politique de prévention santé au sein de l’entreprise pour améliorer la santé des salariés tout en étant favorable au fonctionnement de l’entreprise. Le contrôle de l’organisation du temps de travail peut être un outil important pour évaluer et préserver la santé des salariés.

Comme nous l’expliquerons ci-dessous, les erreurs causées par la fatigue des salariés peuvent provoquer un dysfonctionnement opérationnel qui, selon le secteur d’activité et les tâches effectuées par les salariés, peuvent avoir un impact sur le rendement et la performance économique de l’entreprise.

4.2.3 Risques sur la performance

Pour Norbert ALTER, dans son livre Donner et prendre, le bon fonctionnement de l'entreprise repose sur la coopération et la coopération repose sur la création de liens sociaux. Il y a donc un risque pour l'entreprise si l'organisation du temps de travail ne permet pas la création de lien entre les personnes (exemple de personnes qui se croiseraient avec des horaires de travail individualisés, mais au final sans jamais se rencontrer...)

L’entreprise est confrontée à des risques importants liés aux dysfonctionnements organisationnels: perte de qualité, retard dans les livraisons, perte de temps pour gérer la désorganisation induite, insatisfactions des clients. Le caractère imprévisible de ces absences/dysfonctionnements oblige à des ajustements de plannings ou à la prise de mesures pour remplacer le travailleur manquant, ou encore pour réparer les éventuelles défaillances dans les tâches accomplies.

4.2.4 Risques sociaux

La perte de performance qu’une organisation de travail non pilotée peut engendrer, peut se répercuter également sur le climat social de l’entreprise. Le salarié qui ne compte pas ses heures et qui voit sa performance remise en question par le management, sera démotivé et ne tardera pas à se désengager. L’absentéisme ou le présentéisme feront alors leur apparition. De même, en cas d’absence, la charge de travail est réorganisée et parfois redistribuée parmi les salariés présents, entraînant une surcharge de tâches et une démotivation. La pression sur les managers est finalement plus grande : l’encadrement doit gérer les conséquences du poste inoccupé, gérer les effectifs, et pallier aux retards éventuels des délais de production, etc. L’urgence dans l’urgence sera alors génératrice du stress qui s'ajoutera à la fatigue. Pour l’entreprise, la gestion d’une situation de ce type, devient de plus en plus fréquente.

Un DRH d’une grande enseigne de distribution nous explique que « du fait de la réduction des effectifs, des arrêts maladie… on ne remplace pas ceux qui ne sont pas là… or, comme l’amplitude horaire d’ouverture d’un magasin ne change pas, il faut bien être présent et faire le job… et ce sont les cadres qui s’y collent. La ligne managériale est surbookée. »

Tandis que les DRH s’efforcent de promouvoir un travail collectif et le développement de liens qui permettent de créer une performance collective, les cadres aspirent à des modes d’organisation plus individualisés.

C’est un paradigme de l’organisation : garantir la performance collective et satisfaire les exigences individualisées des salariés.

Le DRH d’UGC, nous a fait part de ce paradoxe très actuel dans son entreprise au sein de laquelle les salariés aimeraient la mise en place du télétravail. Mais, lui, nous explique ses réticences en ces termes:

« Ce qui marche dans la société est la collaboration entre les salariés et l’intelligence collective. Avec le télétravail les salariés seront éloignés, l’activité intellectuelle risque d’être moins performante. Le télétravail comme outil d’organisation du travail n’est pas la bonne solution puisque la dématérialisation du travail provoque une déstructuration des rapports entre les personnes ».

UGC a néanmoins réussi la mise en place d’un accord sur le télétravail dans des cas particuliers (condition pré-pathologique en cas de grossesse, grève des transports, enfant malade).

Nous verrons dans le chapitre suivant que des pratiques innovantes arrivent à surpassent ce paradigme et qu’elles peuvent allier les exigences de performance collective et d’exigences personnelles.

Chapitre 5 : Les pratiques organisationnelles en entreprise liées au temps