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Les évolutions de l'organisation du temps de travail des cadres 

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Academic year: 2021

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M B A M a n a g e m e n t d e s R e s s o u r c e s H u m a i n e s –

Octobre

15

Les évolutions de l'organisation du temps

de travail des cadres: opportunité ou

contrainte pour l'entreprise?

Réflexions croisées des cadres et DRH

Valeria Biggio

Naziha Boukhorssa Garcia

Boris Papin

Sous la direction de Hélène Tissandier

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REMERCIEMENTS

Ce mémoire d’expertise est l’aboutissement d’un long travail commencé en février 2014. Notre participation au MBA RH de Paris Dauphine nous a permis d’accroitre nos connaissances et nos compétences dans le domaine des Ressources Humaines, mais il nous a également permis de rencontrer des personnes qui ont contribué à notre évolution professionnelle. Nous tenons à les remercier.

Nous souhaitons tout d’abord remercier chaleureusement Mme Hélène TISSANDIER, notre Directrice de mémoire, pour ses conseils soutenus, son appui indéfectible et les nombreux échanges engagés sur le thème de notre mémoire. Merci.

Merci aux 20 professionnels (DRH, Directeur Général, chefs d’entreprise et professeurs de l’Université de Dauphine) qui ont joué le jeu de l’interview en toute simplicité et conviction. Leur parole a été libre et la richesse de leurs propos a permis de renforcer notre étude.

Nous tenons à remercier les professeurs du MBA RH de l’Université Paris Dauphine pour la qualité de l’enseignement dispensé tout au long de ce cursus.

Un remerciement particulier à notre directeur de MBA, Monsieur Fabien BLANCHOT, d’abord pour nous avoir sélectionnés pour ce MBA (vous avez eu raison !) et pour nous avoir guidés avec ses conseils dans les moments difficiles.

Une pensée chaleureuse va à Marie Camille Delacroix et Florence Lafeuille pour avoir pris soin de nous tout au long de notre parcours.

Nous adressons nos chaleureux remerciements à toutes les personnes qui nous ont aidés et soutenus pendant ce long travail, nos proches, nos familles et nos amis qui, par leur contribution active et leurs conseils, nous ont permis de le réaliser. Un remerciement particulier au Docteur Michela Fanzecco, de l’Université de Cagliari, pour son support et son assistance dans la réalisation de notre enquête quantitative.

Et enfin, merci à l’ensemble de la promotion 12 du MBA RH pour nos échanges dynamiques et fructueux tout au long de ce parcours.

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RESUME

Depuis plus de vingt ans, les formes des organisations du travail ont évolué, au point de reconfigurer les situations de travail et de réinterroger le rapport au temps de travail des salariés et des entreprises, sous l’effet conjugué de facteurs économiques, technologiques, sociologiques qui changent notre rapport au travail.

Nous faisons l’hypothèse, dans ce mémoire, qu’une entreprise à la culture organisationnelle "constructive", qui permet à ses collaborateurs de se réaliser personnellement, est plus efficace. L’organisation du temps de travail, en particulier celle des cadres, est un facteur d’efficacité de l’entreprise et doit être entendue comme un outil au service de celle-ci.

Dans une première partie, nous montrons que nous sommes aujourd’hui face à un nouveau paradigme : allier performance collective et satisfaction des exigences individualisées des salariés, de plus en plus prégnantes. L’enjeu pour les entreprises est de tenir compte des impératifs économiques, des innovations technologiques, des attentes de la clientèle et des aspirations des salariés grâce au meilleur usage possible du cadre légal. L’effet de levier de ce type de politique est important. La condition du respect du contrat social et psychologique entre l’entreprise et ses salariés cadres est primordiale.

Les évolutions, que nous mettons en exergue, recèlent certes des contraintes mais aussi des opportunités. Dans une deuxième partie, l’analyse croisée des résultats d’un questionnaire que nous avons diffusé auprès de salariés cadres avec les interviews de DRH que nous avons réalisées, nous le confirme. Nous avons identifié 3 modèles de comportements. Des entreprises réussissent à mettre en place une organisation du temps de travail dérivée d’une analyse fine à la fois des exigences quantitatives pour l’entreprise et qualitatives pour les personnes.

En conclusion de notre étude, nous sommes en mesure de tirer des enseignements, sur la manière, pour les DRH, d’appréhender l’organisation du temps de travail des cadres de leur entreprise.

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SOMMAIRE

REMERCIEMENTS ... 2 RESUME ... 3 SOMMAIRE ... 4 TABLE DES ILLUSTRATIONS ... 6 INTRODUCTION ... 7 PARTIE 1 – REVUE DE LA LITTERATURE ... 10 Chapitre 1 : L’évolution de l’organisation du temps de travail à l’heure de la mondialisation ... 10 1.1 Une mutation radicale de la société dans son rapport au temps ... 10 1.2 Les principaux facteurs de pression : causes ... 11 1.3 Des organisations du temps de travail qui évoluent : conséquences ... 14 Chapitre 2 : L’influence des TIC sur l’organisation du temps de travail : entre libération et aliénation ... 16 2.1 Les TIC : de quoi parle t-on ? ... 16 2.2 Les organisations, les salariés et les TIC : quels impacts ? ... 17 2.2.1 Les impacts sur les organisations ... 17 2.2.2 Les impacts sur les salariés ... 18 2.2.3 Des TIC ou des TOC ? ... 20 Chapitre 3 : La demande sociale d’une individualisation de l’organisation du temps de travail ... 22 3.1 Une tendance chez l’ensemble des salariés occidentaux ... 22 3.1.1 Le temps : un bien rare et précieux ... 22 3.1.2 La maîtrise du temps prime sur sa réduction ... 23 3.2 Des spécificités en France ... 24 3.3 Une profonde mutation de notre société et du rapport des individus au travail 25 3.3.1 L’affirmation de l’individualité ... 25 3.3.2 L’importance de la prise en compte du péri-travail ... 26 Chapitre 4 : Organisation du temps de travail et facteurs de risque pour les salariés et les entreprises ... 28 4.1 Les risques pour l’individu ... 28 4.1.1 Fatigue et santé ... 28 4.1.2 Fatigue et performance ... 29 4.1.3 Fatigue et sécurité ... 30 4.1.4 Risques pour les liens sociaux ... 31 4.2 Les risques pour l’entreprise: ... 33 4.2.1 Risques juridiques ... 33 4.2.2 Risques financiers ... 35 4.2.3 Risques sur la performance ... 36 4.2.4 Risques sociaux ... 36 Chapitre 5 : Les pratiques organisationnelles en entreprise liées au temps de travail ... 38 5.1 La nécessaire prise en compte des attentes des salariés ... 38 5.2 Une corrélation forte avec les intérêts propres de l’entreprise ... 40 5.3 L’importance du contrat social et psychologique entre le salarié et l’entreprise ... 42 CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE ... 49 PARTIE 2 – ENQUETE EMPIRIQUE ... 51

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Chapitre 1 - L’enquête quantitative ... 51 1.1 Définitions de la satisfaction au travail ... 52 1.2 Le questionnaire ... 52 1.3 Analyse statistique : méthodologie ... 53 1.4 Résultats du questionnaire ... 55 1.4.1 Analyse des fréquences ... 55 1.4.2 Les corrélations avec les aspects intrinsèques et extrinsèques. ... 63 1.4.2.1 Les corrélations avec les aspects intrinsèques ... 64 1.4.2.1.1 L’aspect générationnel ... 64 1.4.2.1.2 La situation familiale ... 67 1.4.2.2 Les corrélations avec les aspects extrinsèques. ... 68 1.4.2.2.1 La situation professionnelle ... 68 1.4.2.2.2 Le type de forfait et tailles de l’entreprise ... 70 Chapitre 2. Exploitation des interviews menées ... 72 2.1 Méthodologie ... 72 2.2 Consolidation et restitution ... 72 2.2.1 Quelques mots sur l’étude ... 72 2.2 Introduction de la typologie : descriptif des 3 modèles ... 73 2.2.1 Les Agiles : 38 % des interviewés ... 73 2.2.2 Les Vigilants : 31% des interviewés ... 76 2.2.3 Les Contraints : 31% des interviewés ... 78 CONCLUSION ... 80 Annexes ... 82 Annexe 1 : Panorama des lois relatives au temps de travail en Droit du travail ... 83 Annexe 2 : Méthodologie du questionnaire ... 87 Annexe 3 : Questionnaire ... 90 Annexe 4 : Guide d’entretien ... 96 Annexe 5 : Lexique ... 98 Bibliographie ... 101

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Figure 1 : lien entre fatigue et sécurité selon Williamson et al. ... 30

Figure 2 : Répartition selon l’âge, le sexe et la situation familiale ... 55

Figure 3 : Répartition selon le type de forfait, contrôle des horaires et taille de l’entreprise .. 56

Figure 4 : heures moyennes travaillées et représentation des changements de l’OTT en cours ou à venir dans les entreprises interrogées ... 56

Figure 5 : Fréquences des réponses aux questions Q1, Q2, Q3 et Q4 ... 57

Figure 6 : fréquences des réponses aux questions Q5, Q6, Q7 et Q8 ... 58

Figure 7 : fréquences des réponses aux questions Q9, Q10, Q11 et Q12 ... 59

Figure 8 : fréquences des réponses aux questions Q13 et Q14 ... 60

Figure 9 : analyse croisée de la question Q1 ... 61

Figure 10: analyse croisée de la question Q6 ... 62

Figure 11 : analyse croisée de la question Q10 ... 63

Figure 12 : Relation entre l’âge et la situation familiale ... 64

Figure 13: Relation entre l’âge et le management ... 65

Figure 14 : réponses selon l’âge aux questions Q3 et Q11 ... 65

Figure 15: Représentations des rythmes de travail et de loisir de la génération X et Y ... 66

Figure 16: réponses selon l’âge à la question Q14d ... 66

Figure 17: Répartition du management et du type de forfait selon la situation familiale ... 67

Figure 18 : Réponses selon la situation familiale aux questions Q1, Q6 et Q11 ... 67

Figure 19 : réponses selon la situation familiale. (respectivement p=,017 ; p=,035 ; p=,031 ; p=,042) ... 68

Figure 20 : réponses selon la situation familiale à la question Q14 ... 68

Figure 21 : répartition Hommes/ Femmes selon le management ... 69

Figure 22 : réponses à la question Q3 et répartition du type de forfait selon le management . 69 Figure 23 : réponses selon le management à la question Q14; (respectivement p=,006 ; p=001 ; p=,034 ; p=,053 ; p=,004) ... 70

Figure 24 : réponses selon le type de forfait à la question Q3 ... 70

Figure 25 : répartition du type de forfait et réponses à la question Q3 selon la taille de l’entreprise ... 71

Figure 26 : schéma de positionnement des Modèles par rapport aux principales politiques OTT ... 73

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INTRODUCTION

" Le temps est une invention, ou il n'est rien du tout. " Henri Bergson A l’époque préindustrielle, la nature guide le temps de travail et en impose une conception cyclique, discontinue et qualitative : l’alternance du jour (où l’on travaille) et de la nuit (où l’on se repose) et l’alternance des saisons caractérisent l'activité productive de l'agriculture et, plus généralement, les temps sociaux des hommes de cette époque.

Distance matérielle réduite entre espace de travail et espace privé, faible différenciation des temps du travail et de ceux de la vie familiale, du temps des activités et de ceux de la fête, bref temps du travail et temps de vie, sont étroitement liés. Artisans et paysans travaillent avec leurs propres outils, à leur propre rythme.

Mais avec la Révolution industrielle, le temps devient mécanique, imposant une conception linéaire, continue et quantitative. Va naître l’adage "le temps c'est de l'argent"… Parce que le temps détermine le salaire de l'ouvrier, il devient une chose mesurée avec précision, reposant sur la synchronisation des hommes et des machines. On constate une unité de temps entre tous les travailleurs -on commence, on fait une pause et on finit tous à la même heure. Le cadre temporel est contraignant, rigide et collectif.

Les caractéristiques du temps de travail sont donc alors:

- qu'il est long (le capitaliste -voir Marx- faisait une plus-value lorsqu'il faisait travailler sa main d'œuvre plus que cela n'était nécessaire, d’où la naissance de la lutte syndicale en réaction pour réduire le temps);

- qu'il influence les autres temps sociaux -notamment ceux de la famille et de la communauté locale dans son ensemble;

- qu'il est uniforme et rigide;

- qu'il est quantitatif donc mesuré avec précision. (Jean-François Chanlat et al., 2000) La révolution industrielle a fait exploser la durée du temps de travail pour accompagner la production de masse : nait ainsi le rythme collectif du travail. Au nom d’une amélioration des conditions de travail et des conditions de vie des ouvriers, va naître une demande de baisse du temps de travail. En France les lois promulguées depuis 1841 s’inscrivent dans cette quête de l’amélioration des conditions de vie des ouvriers, d’abord avec des lois pour la sauvegarde des enfant et des femmes, puis à partir de 1906 sur les amplitudes horaires journalières et hebdomadaires et les droits au repos et au congés. A partir des années 1970, le législateur accompagne l’évolution économique en introduisant le concept d’horaire individualisé (loi du 27 décembre 1973).

L’ordonnance du 16 janvier 1982 apporte plusieurs innovations en matière de durée de travail. En premier lieu, elle abaisse la durée légale à 39 heures par semaine et institue la 5ème semaine de congés payés (la troisième et quatrième semaine ayant été instituées en 1956 et 1968). Cette loi accroit la flexibilité en matière d’heures supplémentaires, qui peuvent désormais être réalisées sans l’accord préalable de l’inspecteur du travail dans la limite du « contingent », enveloppe annuelle disponible pour l’employeur après consultation des délégués du personnel. Les 39 heures par semaine deviennent donc un seuil -de déclenchement des heures supplémentaires- et non plus une durée légale impérative. Cette ordonnance ouvre également la voie à l’annualisation du temps de travail.

Dans son prolongement direct, la loi du 19 juin 1987, dite « «loi Seguin » est axée sur la flexibilité : possibilité de recourir au travail en continu pour raisons économiques,

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assouplissement du régime des repos compensateurs. Elle consacre l’éclatement du module hebdomadaire, jugé trop rigide pour permettre aux entreprises de faire face à leurs variations d’activités.

Le législateur fait aussi progressivement du temps de travail un outil pour la lutte contre le chômage : la loi du 20 décembre 1993 dite « loi quinquennale » est la première loi qui participe au débat sur le lien entre réduction du temps de travail et la création d’emploi. A partir de ce moment les lois (notamment les lois de Robien et Aubry) seront orientées vers le partage de travail pour lutter contre le chômage et favoriser la création d’emplois (voir annexe 1 pour plus de détail).

Depuis plus de vingt ans, les formes des organisations du travail ont aussi évolué, au point de reconfigurer les situations de travail et de réinterroger le rapport au temps de travail des salariés et des entreprises, sous l’effet conjugué de facteurs économiques, technologiques, sociologiques qui changent notre rapport au travail.

Des changements de l’environnement économique, marqués par le passage d’un univers stable à instable, d’un monde bipolaire à un monde multipolaire caractérisé par un environnement économique ouvert, mondialisé, interconnecté, concurrentiel. Ces changements ont d’importantes conséquences sur l’organisation du travail et la gestion des temps, en accroissant la demande de flexibilité et de davantage de réactivité...

Son corollaire: des changements technologiques importants qui ont profondément changé l’organisation du travail et le temps dédié à chaque tâche. La rapidité d’exécution, l’hyper sollicitation caractérisent aujourd’hui le travail, dans un environnement ouvert, mondialisé et interconnecté. La frontière vie professionnelle et vie privée devient alors plus poreuse et le travail s’invite, via les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication), dans le salon du salarié ou encore sur son lieu de vacances.

Des changements sociologiques qui ont un impact sur les demandes des salariés aspirant à une organisation du temps de travail individualisée, en phase avec leurs aspirations et leur situation du moment.

Parmi les salariés, les cadres semblent être une population particulière : d’abord parce qu’elle semble celle qui subit le plus ces changements (horaires variables ; phénomène de “saturation mentale” lié au flux d’informations reçues en temps réel par différents médias; facteurs de stress venant de la difficulté de répondre en temps et en heures aux objectifs fixés…) mais aussi, paradoxalement, parce qu’elle semble les impulser (par exemple, citons l’aspiration des cadres à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et familiale ou encore évoquons les contentieux sur ce sujet, tel l’arrêt de la Cour de Cassation de 29 juin 2011). Aussi est-ce fort naturellement que nous avons choisi de nous focaliser sur la population « cadres » aux fins de tester notre problématique.

Nous faisons l’hypothèse qu’une entreprise à la culture organisationnelle "constructive", qui permet à ses collaborateurs de se réaliser personnellement, est plus efficace. L’organisation du temps de travail, en particulier celle des cadres, est un facteur d’efficacité de l’entreprise et doit être entendu comme un outil au service de celle-ci.

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Deux exemples qui s’opposent nous ont inspirés.

En Allemagne, l’expérience chez Bosch, qui a converti plus de 500 managers au temps partiel (Le Nouveau Management, avril 2014) en leur permettant de choisir de travailler différemment. Il leur était offert soit de rester une journée par semaine chez eux et de poursuivre leur tâche depuis la maison (80% ont retenu cette solution), soit de réduire leur temps de travail. Cette organisation du temps de travail concilie la satisfaction des salariés et l’attractivité de l’entreprise avec les exigences du business. En France, l’arrêt du 29 juin 2011 de la Cour de Cassation condamne une entreprise à payer des heures supplémentaires à un cadre au forfait jours (Soc. 29 juin 2011, pourvoi n°09-71.107) au nom de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

Ces deux appréhensions de l’organisation du temps de travail, qui seront développées dans notre mémoire, montrent d’un côté les effets positifs qu’une démarche proactive peut produire et d’un autre côté, les risques de ne pas en avoir. Nous y reviendrons dans les chapitres suivants.

Sous cet éclairage certes encore tamisé, il convient de s’interroger : comment les DRH peuvent-ils se saisir de l’organisation du temps de travail pour améliorer l’efficacité de l’entreprise ? Comment, dans ce contexte, l’organisation du temps de travail des cadres peut-elle être pilotée par les DRH ? Et qupeut-elles sont les pratiques des entreprises ?

Parce que nous avons souhaité explorer ce sujet dans ses dimensions tant théoriques que pratiques, nos développements, complémentaires, s’organisent en deux temps.

Dans une première partie, « théorique », à travers une synthèse de nos recherches documentaires, nous montrerons comment l’organisation du temps de travail en entreprise est au centre de pressions et d’influences multiples provenant de différents facteurs.

Dans une seconde partie, « empirique », nous analyserons les résultats d’un questionnaire que nous avons diffusé auprès de salariés cadres ainsi que les interviews de DRH que nous avons réalisées. Puis, nous croiserons la perception (ce qui est le plus signifiant à leurs yeux) que les cadres ont des changements évoqués plus haut avec celle des DRH. Nous mettrons en évidence ce que ces derniers nous disent de l’influence de ces facteurs sur les pratiques des entreprises.

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PARTIE 1 – REVUE DE LA LITTERATURE

Les changements de l’environnement économique (Chapitre 1) avec, pour corollaires, les évolutions technologiques (Chapitre 2) ainsi que les changements socio-culturels (Chapitre 3) modifient le cadre temporel du travail en entreprise. Cela n’est pas sans risque pour l’équilibre des entreprises elles-mêmes ainsi que celui des salariés (Chapitre 4). Pourtant, de nouvelles pratiques, liées à ces changements, émergent (Chapitre 5).

Chapitre 1 : L’évolution de l’organisation du temps de travail à l’heure de

la mondialisation

" Nous sommes à une époque où les hommes n'arriveront jamais à perdre assez de temps pour conjurer cette fatalité de passer leur vie à en gagner. " Jean Baudrillard L’évocation du temps de travail et de son organisation est souvent propice aux métaphores: la

métaphore du temps qui s’écoule (semblable au fleuve), la métaphore du temps qui s’accélère, se compresse (vision plus contemporaine partant du constat que l’individu

cherche à dominer le temps), ou encore celle du temps associé à l’argent (« le temps c’est de l’argent »). Cette dernière correspond à une vision plus occidentale et capitaliste du temps (Norbert Elias, 1997). Il apparaît évident, aujourd’hui, que l’organisation du temps de travail au sein des entreprises subit une pression forte des marchés financiers, de la quête de la performance économique et financière à tout prix.

Nous constatons aujourd’hui une transformation de la société dans son rapport au temps (1.1). Cette mutation trouve son origine, en partie, dans la pression qu’exercent les marchés sur les acteurs économiques (1.2). Il conviendra, in fine, de tirer les principales conséquences de cette mondialisation sur l’organisation du temps de travail des salariés (1.3).

1.1 Une mutation radicale de la société dans son rapport au temps

L’époque contemporaine se caractérise par une mutation radicale qui touche notamment la question du temps, son appréhension et son organisation au sein des entreprises (Nicole Aubert, 2003). Cette mutation se traduit, entre autres, par une transformation de l’organisation du temps de travail et les méthodes de travail des salariés. Les salariés ont le sentiment de ne plus avoir le temps, que tout va très vite et d’être parfois impuissants à ralentir cette spirale, qui peut être source d’angoisse. Pour Hartmut Rosa (2013), il s’agit à la fois d’une accélération technique (voir chapitre 2), sociale mais aussi une accélération des rythmes de vie.

Qui ne peut, de nos jours, mener plusieurs tâches en même temps ? Traiter ses emails tout en répondant à un collaborateur au téléphone est devenu courant. Cette juxtaposition des temps est possible grâce aux innovations techniques (par exemple : les mails, les achats sur Internet, etc.). S’y superpose l'accélération du rythme de vie qui se traduit par le fait de ne plus supporter la lenteur, quel que soit le domaine concerné. Par exemple, on ne supporte plus

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d’attendre une minute que s'ouvre une page web ! Hartmut Rosa (2013) souligne également le paradoxe lié au fait qu’alors que le temps libre augmente, le sentiment de manquer de temps augmente lui aussi. Nous avons le sentiment que nous n'avons plus le temps de ne rien entreprendre. L’auteur étaye ses propos du constat que le vocabulaire du temps libre lui-même est imprégné d’un vocabulaire normatif et d’injonctions pour le remplir : « il faut que je lise les journaux », « que je me mette au violon », « que je prenne des vacances »... On ne s’autorise plus à prendre le temps de s’ennuyer.

Les salariés, quant à eux, font également part d’un sentiment d’urgence dans leurs activités professionnelles. Ils sont pris dans le tourbillon de l’instantanéité et de l’immédiateté au niveau de l’exercice de leurs tâches, ou dans leurs relations interprofessionnelles et interpersonnelles. L’urgence est quasiment devenue un mode d’organisation du travail : il faut répondre dans l’heure à un mail, il devient nécessaire de produire des reporting à des rythmes tendus. Désormais, les salariés doivent travailler en « temps réel ». La superposition de certaines pratiques organisationnelles aidées de certaines technologies et services renforcent la généralisation de cette instantanéité où se cofondent l’urgent et l’important (Nicole Aubert, 2003). Ces nouveaux modes d’organisation incitent à davantage de flexibilité du temps de travail : par exemple, une adaptation du temps de travail à la production en fonction du cycle du produit, ou encore un temps de travail compressé et densifié, renforcé par le passage aux 35 heures - qui s’est traduit par une charge de travail accentuée.

C’est alors vers une dissociation du temps de travail collectif du temps de travail individuel que l’on s’oriente. «Non seulement les horaires ne sont plus réguliers dans de nombreux cas, mais ils ne sont même plus prévisibles. Les entreprises dont la gestion est basée sur des principes de flux tendus, veulent une adaptation rapide aux variations du marché de plus en plus imprévisibles. Elles traduisent alors cet impératif en modifiant les horaires de travail dans des délais très courts (…) souvent ramenés à une semaine » (Liaisons sociales, 1999).

1.2 Les principaux facteurs de pression : causes

Les entreprises agissent dans un environnement dont les caractéristiques principales sont la mondialisation et la grande ouverture des marchés, une concurrence accrue et une importante innovation technologique1.

Cet écosystème est à la fois porteur d’opportunités mais aussi de contraintes fortes lesquelles ont des impacts sérieux sur les organisations du temps et des méthodes de travail, notamment celles des cadres. Cela se traduit par une pression forte qui s’exerce sur les entreprises, leurs salariés et les cadres en particulier.

FOCUS JURIDIQUE

Définition du statut Cadre selon l’Article 4 de la CCN de retraite et de prévoyances des cadres du 14 mars 1947:

Le régime de prévoyance et de retraite institué par la présente Convention s'applique obligatoirement aux ingénieurs et cadres définis par les arrêtés de mise en ordre des salaires des diverses branches professionnelles ou par des conventions ou accords conclus sur le plan

1 Nous analyserons ce dernier point dans le chapitre suivant, compte tenu du fort enjeu surl’organisation du

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national ou régional en application des dispositions légales en vigueur en matière de convention collective et qui se sont substitués aux arrêtés de salaires. Sont considérés comme ayant la qualification et les prérogatives d'ingénieurs ou cadres, (…), les voyageurs et représentants qui répondent à l'un au moins des trois critères suivants :

- avoir une formation technique, administrative ou commerciale équivalente à celle des cadres de l'entreprise (ou à défaut de cadre dans l'entreprise, équivalente à celle des cadres de la profession) et exercer des fonctions requérant la mise en œuvre des connaissances acquises - exercer par délégation de l'employeur un commandement sur d'autres représentants ;

- exercer des fonctions impliquant initiative, responsabilité́, et pouvoir être considérés comme ayant délégation de l'autorité́ du chef d'entreprise.

Définition du statut Cadre selon l’Article 4 bis de la CCN de retraite et de prévoyances des cadres du 14 mars 1947:

Pour l'application de la présente Convention, les employés, techniciens et agents de maîtrise sont assimilés aux ingénieurs et cadres visés à l'article précèdent, dans les cas où ils occupent des fonctions :

- classées par référence aux arrêtés de mise en ordre des salaires, à une cote hiérarchique brute égale ou supérieure à 300 (1);

- classées dans une position hiérarchique équivalente à celles qui sont visées au a) ci-dessus, dans des classifications d'emploi résultant de conventions ou d'accords conclus au plan national ou régional en application des dispositions légales en vigueur en matière de convention collective.

Tout d’abord, les entreprises sont soumises à une exigence de produire plus vite pour rester compétitives et efficaces. Elles doivent dégager des bénéfices et accroître leurs performances financières pour assurer leur survie et satisfaire les différentes parties prenantes (actionnaires, partenaires financiers, clients, etc.). Les cadres, par leur rôle dans les différentes strates de l’entreprise, sont alors censés comprendre les impératifs du marché et être les relais auprès des autres salariés et /ou de leurs équipes. Ils doivent accompagner les mutations des entreprises. D’ailleurs, ils se retrouvent parfois exposés à des tensions diverses et contradictoires (François Dupuy, 2006).

De nombreux facteurs accentuent cette pression sur l’entreprise. Nous ne présenterons dans cette analyse que les principaux, à savoir ceux qui créent une évolution de l’organisation du temps de travail. Ces facteurs, perçus comme des impératifs ou des injonctions faites aux entreprises pour rester dans la course de la compétitivité, sont les suivants :

= > L’impératif du client : les entreprises évoluent dans un environnement ultra-concurrentiel caractérisé par une forte volatilité du client. Le client « Roi » est en position d’imposer ses exigences de réduction de prix et pousse les producteurs et/ou les fournisseurs à augmenter la qualité des produits ou services proposés. C’est alors à une inversion des relations de pouvoir entre les fournisseurs et les clients qu’ont conduit la globalisation et la mondialisation. Pour gagner des parts de marché et augmenter la satisfaction du client, les entreprises imposent de nouvelles règles du jeu - par exemple en offrant à leur clientèle des horaires d’ouverture plus étendus et en adaptant, dès lors, le temps de travail de leurs salariés. = > l’impératif de productivité : pour gagner ou survivre dans cet écosystème, les entreprises doivent être capables de prendre une avance sur leurs concurrents et de l’exploiter

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de manière optimale. Cette course ou vitesse devient « un impératif absolu et incontournable pour les affaires » (Hartmut Rosa, 2013). Les entreprises vont rentabiliser les équipements par leur utilisation maximale et ajuster la production au plus près des demandes du marché. En résulte une accélération de la production et une flexibilité du temps de travail. Dans ce type de contexte, les organisations peuvent compter sur les cadres, réputés être surinvestis dans leurs activités professionnelles, pour réguler et absorber la charge de travail. (Philippe Askenazy, 2004).

= > L’impératif des stock-options qui contribue également à accroître cette pression sur les entreprises. Certains dirigeants, bénéficiaires de ces stocks options, peuvent être tentés par une vision stratégique à court terme. Ce package de rémunération peut créer une déviance dans le pilotage de la performance en fonction d’objectifs individuels.

= > L’impératif de l’actionnaire : cette partie prenante exige un retour sur investissement conséquent - c’est le fameux « 15% de rentabilité sur fonds propres ».

= > L’impératif de publier des résultats trimestriels, en communicant de l’information plus régulièrement aux actionnaires. Cela a deux conséquences : d’une part de bouleverser les cycles (ce rythme de publication n’est pas approprié dans le cadre de la gestion d’entreprise qui nécessite des cycles longs) et d’autre part, d’accroître la volatilité des marchés du fait d’une information plus fréquente et du coup plus sensible en termes d’analyse et d’arbitrage. Par exemple, aujourd’hui, pour consolider les données et permettre une communication financière trimestrielle dans les temps, les équipes (notamment comptables et financières) doivent moduler leur temps de travail : amplitudes horaires importantes, travail de nuit et les week-ends pour assurer les clôtures des comptes et traiter le reporting. Cette question est un point saillant, notamment dans les banques qui sont tenues aujourd’hui de publier trimestriellement leurs comptes et de remonter des informations financières aux autorités de tutelle.

On observe que ce nouvel ordre économique exerce une pression sans précédent sur les salariés et les cadres. Ces derniers voient leurs champs de responsabilité s’élargir, tout particulièrement pour les cadres avec management. Il leur est demandé d’absorber et de répondre à toutes les sollicitations (François Dupuy, 2005). De surcroît, pour satisfaire les différentes parties prenantes, les organisations incitent leurs équipes à travailler de plus en plus dans l’urgence. Les entreprises sont pilotées « le pied sur l’accélérateur ». Le temps de travail et son organisation deviennent un élément fondamental de la gestion capitaliste (Hartmut Rosa, 2013).

FOCUS JURIDIQUE

Les 35 heures mises en place par les lois de Robien et Aubry en France, pour sauvegarder et créer de l’emploi, n’ont pas eu l’effet escompté. Les entreprises n’ont pas embauché autant que les estimations. Pour compenser la réduction des heures, il a fallu travailler différemment en réfléchissant à l’adaptation de l’organisation du temps de travail. On travaille alors plus vite pour produire les biens et / ou services. La productivité devient la variable sur laquelle on agit pour moduler et répondre aux commandes. On observe ainsi une accélération des rythmes de travail notamment celui des cadres. Cela se traduit par des amplitudes de travail plus grandes et un accroissement des temps segmentés. La charge de travail des cadres croit mécaniquement (Philippe Askenazy, 2004). L'accord du 11 janvier 2008 sur la modernisation

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du marché du travail (signé par quatre syndicats de salariés sur huit introduit le terme de «flexisécurité» (contraction de flexibilité et sécurité). Elle désigne un dispositif social autorisant une plus grande facilité de licenciement pour les entreprises (volet flexibilité) et des indemnités longues et importantes pour les salariés licenciés (volet sécurité).) Dans d’autres cas, les entreprises ont négocié l’augmentation du nombre d’heures sans toucher à la rémunération de base de leurs salariés. C’est le cas de Smart France (Moselle), dont 93% des 800 salariés ont voté pour la semaine des 39 heures payées 37 afin de préserver leurs emplois jusqu’en 2020. Cette prise de position s’inscrit dans le cadre du pacte de compétitivité en cours de négociation au sein de cette entreprise (Les Echos, sept 2015).

1.3 Des organisations du temps de travail qui évoluent : conséquences

Pour s’adapter à ce nouvel ordre économique, les entreprises font évoluer leurs modes d’organisation du travail et celle du temps de travail. François Dupuy (2005) qualifie cette mutation de seconde révolution d’ordre organisationnel. Il devient déterminant pour les entreprises de penser leur organisation de leur temps de travail. Ainsi, pour répondre aux besoins clientèles et aux donneurs d’ordre, elles vont, d’une part, travailler de plus en plus en flux tendu pour réduire au maximum leurs stocks et donc réduire leurs coûts. D’autre part, elles développent la livraison en juste à temps, qui a pour conséquence de réduire les « temps morts ou improductifs » (Nicole Aubert, 2003). Dans cette configuration, le temps de travail devient une variable d’ajustement. C’est un des ressorts sur lesquels on intervient pour pouvoir s’adapter rapidement aux impératifs du marché.

Un autre effet de la mondialisation constaté est le développement de la flexibilité du temps de travail, qui peut revêtir diverses formes (temps décalés, temps segmentés, etc.). Estéban Martinez (2010) détermine que cette flexibilité a pour but de mieux répondre aux demandes et besoins exprimés, maîtriser les coûts des ressources et rentabiliser les investissements technologiques. Un autre mode d’organisation émerge également : celui de la sous-traitance et de la prestation de services. Les entreprises font appel régulièrement à ces nouveaux services à différents moments de la chaîne de production de biens et services, ce qui leur permet d’externaliser une partie de leur main d’œuvre. Enfin, ces entreprises développent de nouveaux modes d’interaction, de gestion des tâches qui vont évoluer et s’adapter au contexte économique pour leur permettre une plus grande réactivité (François Dupuy, 2005). Pour tenir les délais et répondre aux besoins d’exigence des clients, les entreprises demandent à leurs salariés et à leurs cadres de développer des compétences multiples. Ceci nécessite de la polyvalence (être capable d’exercer plusieurs fonctions à la fois), de la polycompétences (être capable de réaliser plusieurs tâches), de travailler en équipe et de satisfaire totalement le client via le développement des normes de qualité (Philippe Askenazy, 2004).

Dans ces exemples d’évolution organisationnelle, les conséquences sur l’organisation du temps de travail sont multiples. Ce nouveau « productivisme réactif » entraîne un accroissement de l’autonomie et le développement des compétences, mais il a aussi de profondes conséquences sur les conditions de l’organisation du temps de travail (Philippe Askenazy, 2004). Ces nouveaux modes d’organisation créent aussi de la pénibilité en accroissant notamment la charge de travail : les cadences augmentent en même temps que les tâches, on tend à éradiquer les temps improductifs en mobilisant intensivement le temps de travail et en augmentant sa densité.

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Nicole Aubert (2003) constate que certains temps sociaux sont réduits, comme par exemple les temps de pause, les temps d’échange, de transfert d’information et de compétences, les temps d’intégration ou de formation. Le salarié doit être opérationnel de plus en plus rapidement. Le temps passé sur une mission est réduit. Par exemple, dans certaines entreprises l’injonction de changer de poste tous les 3 ans réduit le temps passé sur un projet avec un impact évident sur sa mise en œuvre et son résultat. Le risque in fine est la perte de lien social et l’insatisfaction voire la démotivation des salariés2.

Le salarié est confronté de plus en plus à une culture de l’immédiateté, de l’instantanéité et de la vitesse, conséquence de la domination du pouvoir économique, de la pression des marchés et des actionnaires. Les conditions du travail des salariés et les organisations temporelles sont impactées non seulement par les normes de production mais aussi par les demandes de la clientèle et celles des donneurs d’ordre. Dès lors, les organisations doivent se transformer et s’adapter pour faire face à la concurrence mais aussi pour absorber les innovations technologiques (Estéban Martinez, 2010), comme nous le verrons dans le chapitre suivant. Dans ce contexte en forte mutation, le DRH doit faire preuve d’anticipation et d’agilité afin de développer une organisation du temps de travail en adéquation avec les nouveaux impératifs de l’économie.

Mais un autre enjeu se dessine aussi pour les DRH : celui des TIC, de leurs utilisations mais aussi des risques qu’ils génèrent s’ils ne sont pas encadrés par des règles d’usage.

2 Nous y reviendrons dans le chapitre 4.

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Chapitre 2 : L’influence des TIC sur l’organisation du temps de travail :

entre libération et aliénation

« On dit que le temps change les choses, mais en fait le temps ne fait que passer et nous devons changer les choses nous-mêmes. " Andy Warhol

Depuis quelques années, les Technologies de l’Information et des Communications (TIC) ont bouleversé nos vies professionnelles et personnelles en rendant leurs frontières plus poreuses et en modifiant profondément et durablement nos modes de travail. Les TIC ont un impact important sur les temporalités et les espaces de travail. Ainsi, on voit se développer le télétravail, le nomadisme, le travail en horaires décalés, etc.

Après avoir défini les TIC et leur poids en France (A), nous mettrons en perspective les principaux impacts que ces outils ont sur les organisations et les salariés ainsi que les principaux changements qu’ils induisent (B). Puis, dans une dernière partie, nous aborderons les risques que peut générer un usage non contrôlé des TIC (C).

2.1 Les TIC : de quoi parle t-on ?

Les TIC englobent aussi bien les Smartphones, ordinateurs, tablettes, qu’Internet et autres objets connectés. Apparus il y a 25 ans, ils sont devenus synonymes d’ouverture sur le monde, d’innovation et de révolution. Leur développement et leur impact dépassent ceux de la révolution industrielle que notre société a connue au 19ème siècle.

La fracture numérique tant crainte à l’arrivée des TIC n’a pas eu lieu… Aujourd’hui, 66% des Français utilisent personnellement Internet tous les jours ou presque et 49% des salariés utilisent Internet pour des raisons professionnelles. En revanche, ils ne sont que 14% à ne jamais l’utiliser (Futuribles, sept-oct. 2015). En termes de taux d’équipement, les indicateurs sont encore très positifs puisqu’on est passé de 4 % en 1997 à 96% en 2007 de taux d’équipement en téléphone mobile et de 22% en 2001 à 76% en 2012 de taux d’internautes âgés de + de 11 ans (François Jauréguiberry, 2014).

L’usage des TIC s’est généralisé dans les sphères personnelles et professionnelles.

Quant à la sphère professionnelle, l’enquête de 2006 du dispositif COI3 relève que 13,8% des salariés utilisent souvent un ordinateur pour travailler hors de leur bureau et que 18,8% des salariés utilisent un ordinateur ou une connexion Internet chez eux pour des raisons professionnelles (La documentation française, 2012).

Quant à la sphère personnelle, les personnes connectées passent de plus en plus de temps devant leur ordinateur. Plus de 75 minutes y sont consacrées chaque jour (Gilles Moutel, 2002). Ce temps est généralement pris sur le temps domestique. Certaines tâches permettent

3 Changements Organisationnels et Informatisation. Le C.O.I est un dispositif d’enquêtes couplées

entreprises ou établissements employeurs/salariés sur les changements organisationnels et l’informatisation, enrichi de données administratives à la fois du côté des employeurs et du côté des salariés, mené par le CEE, la DGAFP, la DARES, la DRES et l’INSEE (http://enquetecoi.net/)

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d’épargner du temps (courses en ligne), d’autres n’ont pas de finalité pratique (surfer sur le net).

Cette généralisation à tous niveaux des TIC implique une certaine faculté d’adaptation de la part des organisations et des salariés tant les impacts sont nombreux.

2.2 Les organisations, les salariés et les TIC : quels impacts ?

2.2.1 Les impacts sur les organisations

En quelques années, les TIC ont accéléré le rythme de l’économie mondiale en imposant de plus en plus le modèle d’une économie du temps réel, grâce à la convergence de l’informatique, des télécommunications et de l’audiovisuel. Ces développements se font évidemment au service d’une circulation, tous azimuts et en temps réel, de l’information. Les TIC jouent un rôle ambivalent. Elles permettent une amélioration de la productivité d’un côté, génératrices d’une exigence croissante de réactivité et de tenue des délais de l’autre. (Gilles Moutel, 2002)

Les TIC ont été massivement intégrées par les entreprises. Mais cette métamorphose les a conduits à réfléchir à leur organisation en développant, par exemple:

§ De nouvelles formes d’organisation du travail en raison de la virtualisation des relations interpersonnelles qui peuvent garantir un travail plus collaboratif (réseaux sociaux d’entreprise, visioconférence, etc.).

§ L’intégration de logiciels de gestion qui a permis de gérer, sur une seule et unique application, l’ensemble des fonctions d’une entreprise. Pour la mise en place de ces logiciels, des projets d’envergure sont nés, rassemblant personnes de départements divers, pour créer une équipe projet, qui a, comme objectif principal, de tenir les coûts et les délais.

§ Des formes de collaboration alternative avec les fournisseurs comme des passerelles virtuelles, qui ont permis la naissance d’organisation en service partagé (cloud, progiciel sur Internet, délocalisation des serveurs, etc.).

§ Une adaptation à l’accélération des modes de consommation des clients. Les conceptions des produits et les productions en flux tendus ou hypertendus en sont des exemples (ex : fabrication PC DELL).

Les TIC ont également une incidence importante sur l’organisation du temps de travail des salariés car elles tendent à modifier leur rapport au temps qui se caractérise désormais par une croissance de l’urgence, du temps réel et de l’immédiateté (Nicole Aubert, 2003). Ces outils participent « à la transformation des normes de disponibilité avec notamment une pression du réel et de l’immédiateté qui s’intègrent dans une évolution globale de notre rapport au temps ». (La documentation française, 2012). Il devient indispensable de redéfinir les normes collectives du temps de travail afin de tenir compte du mouvement de dé-standardisation et de diversification des régimes temporels qui se développent.

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2.2.2 Les impacts sur les salariés

Les impacts sur les rapports de travail se mesurent tant dans l’espace que dans le temps, les deux étant somme toute inextricablement mêlés.

Les TIC contribuent d’abord à la multiplication des lieux de travail « hors mur » et à la banalisation du travail à distance. Désormais, quel que soit le lieu où le salarié se trouve, il peut accéder à son bureau aisément. Cela permet des gains de temps (temps de transport par exemple). Cette nouvelle « culture numérique » transforme les relations au temps et à l’espace (Futuribles, 2015). Elle a pour conséquence de brouiller les frontières entre vie professionnelle et vie privée et crée ce que d’aucuns nomment « la dissymétrie des intrusions » (Francis Jauréguiberry, 2014). Il n’y a donc plus de séparation hermétique entre "le fait d’être au travail" et le" fait de ne pas y être". Les temps se confondent et nécessitent pour les individus un effort accru d’organisation pour éviter de "se noyer".

Mais les TIC et les outils nomades ont aussi changé profondément les relations des salariés à leur travail et entraînent « une mutation radicale dans le rapport au temps » et une « révolution de l’instantané » (Nicole Aubert, 2003). Cela a, pour conséquence, de modifier les modes de travail, puisque le bureau virtuel est accessible partout. Les temps non productifs ou perdus se réduisent pour laisser place à des temps rentabilisés ou productifs (Nicole Aubert, 2003). Par exemple, lors des temps de transport, certains salariés ou cadres continuent de travailler depuis leur Smartphone ou tablette : pour régler les urgences, les questions fournisseurs ou les sollicitations de leurs managers ou de leurs équipes.Les TIC ont permis au travail de s’affranchir du périmètre du bureau.

FOCUS SUR LE TELETRAVAIL

Le télétravail tend à se développer au sein des entreprises. Il a été « inventé » en 1981, grâce à l’alliance de l’informatique et de la communication. Dans le nord de l’Europe, le télétravail s’est développé plus vite dans les années quatre-vingt-dix. Au contraire en France, le télétravail s’est développé plus lentement. Une explication est que les structures institutionnelles bureaucratiques et centralisées inhibent les formes de travail plus libres. Les managers ont encore tendance à mesurer leur pouvoir et leur sentiment d’existence au nombre de subordonnés qu’ils surveillent. Un rapport du Centre d’analyse stratégique de 20094 combine les résultats de 3 enquêtes, portant sur 15 pays de l’OCDE : le télétravail reste peu développé en France, mais en augmentation régulière chaque année, sur la base d’un chiffre très approximatif de 5 à 10% de salariés.

Après des années de flou juridique, l'accord interprofessionnel du 19 juillet 2005 est venu encadrer la pratique du télétravail. Il a fallu attendre la loi de simplification de mars 2012 (Articles L1222-9 à -11), pour avoir un cadre juridique plus précis sur la mise en place du télétravail, pour définir les règles d’application, les devoirs des salariés et de l’employeur. Celui-ci doit veiller à ne pas entraver la vie privée et familiale du télétravailleur, qui ne doit pas être sollicité en permanence. À cette fin, les accords renvoient souvent à la concertation entre le manager et le salarié pour fixer des plages horaires, figurant au contrat de travail, en dehors desquelles celui-ci ne pourra pas être contacté. Mais il n’y a aucune référence au fait qu’il s’agisse d’un salarié au forfait jour ou au forfait heures. Dès lors, comment peut-on

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contrôler les heures travaillées ou les heures de repos ? Dans le cas du télétravail, l’organisation du temps de travail du salarié risque d’échapper aux contrôles.

Par exemple, la CPAM de Saint-Denis propose le télétravail à environ 60 cadres qui sont dans des fonctions de service. Le rythme proposé est de 3 jours maximum par semaine avec des jours fixes. Ce dispositif est proposé aux cadres dont l’activité est compatible. Hervé Planas, le DRH nous explique que le télétravail n’est « pas encore pour les cadres managers. Il a fait l’objet d’un accord, signé l’année dernière pour une expérimentation. Les cadres choisissent des activités télé-travaillées de réflexion ou d’étude, pour leur permettre de se concentrer plus facilement chez eux et d’éviter d’être dérangés par leurs collaborateurs. Il s’agit d’avoir du temps pour eux plus que du temps chez eux. »

Grâce ou à cause des TIC, le travail s’immisce dans le temps privé. Ces outils permettent de travailler plus vite mais aussi plus longtemps, dans des espaces en dehors du bureau et en dehors du temps comptabilisé par une badgeuse par exemple. Un tiers des managers européens déclarent travailler le soir chez eux (35%), près d’un tiers (29%) durant les week-ends et 7% régulièrement durant leurs vacances. Mais cette porosité des temps sociaux fonctionne aussi à l’inverse : le temps privé s’invite aussi dans l’espace du bureau. A ce titre, les entreprises les plus pragmatiques estiment que « l’entreprise doit être enfin considérée comme un cadre de vie et pas uniquement comme un cadre de travail ». Naissent des espaces privés dans l’espace de travail où les salariés ont à disposition des outils pour gérer l’organisation de leur vie privée (Gilles Moutel, 2002).

En outre, 83% des cadres estiment que les TIC accroissent le volume d’information qu’ils doivent traiter et 86 % établissent une relation de cause à effet entre communication électronique et rapidité de traitement. 78 % pensent que les TIC engendrent un nombre croissant de tâches à traiter en dehors des horaires ou du lieu de travail. Il semble que les femmes (78 % contre 81 % des hommes) et les jeunes (75 % contre 83 % des salariés plus âgés) se prémunissent un peu mieux contre ce phénomène. En moyenne, 72 % des cadres travaillent dans des entreprises qui n’ont pris aucune mesure de régulation de la communication circulant par les TIC et plus du tiers ont le sentiment de ne bénéficier d’aucun droit à la déconnexion. En effet, 29 % d’entre eux déclarent travailler en vacances, 35 % le week-end et 41 % en soirée. (Francis Jauréguiberry, 2014).

Philippe Lesieur, DRH de BPCE nous explique : « Il faut réguler l’usage des Smartphones pour éviter l’envoi de mails à 23h00 et le fait que le collaborateur se sente obligé de répondre à 23h05. Les outils nomades envahissent nos soirées, weekends et jours de congés. Il est nécessaire de réguler leur usage ».

« Baisse du temps de travail rime souvent avec charge de travail identique. Il faut donc aller plus vite, aidé par les nouvelles technologies de l’information et de la communication » (Gilles Moutel, 2002). Les Européens travaillent sans doute moins longtemps, mais à un rythme accéléré. Cette intensification du travail a été ressentie surtout par les cadres. Dans le rapport Qualité/Temps5, près de 6 cadres sur 10 estiment gérer parfaitement leur temps et pourtant être débordés. 20% s’identifient comme « parfaits gestionnaires », 20% sont représentés par les « fatalistes » qui ne gèrent plus le trop-plein dont ils souffrent. Ce

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débordement est dû, également, et bien évidemment, à la pression technologique. Le gain de temps que ces technologies ont permis, a facilité et accéléré la circulation de l’information. La prise de décision a été hâtée. Le travail est devenu nomade. Le cadre doit donc devenir plus efficace, plus rapide. Pour deux tiers des managers européens interrogés, la pression sur les délais s’est ainsi accrue parallèlement à la diffusion des nouvelles technologies. Avec l’intensification du travail, la pression constante des délais et les objectifs à atteindre toujours plus vite, le stress se porte à merveille ! 30% des salariés de l’Union Européenne se déclarent stressés. Mobilité et télétravail sont les enfants de ces nouvelles technologies qui ouvrent le chemin d’une porosité croissante entre le temps de travail et le temps libre (Gilles Moutel, 2002).

Aussi de nombreuses entreprises ont-elles entrepris de revisiter la pratique des TIC afin de poser un cadre et lutter contre certaines dérives.

2.2.3 Des TIC ou des TOC ?

De nombreuses études dressent un constat alarmant sur l’impact des TIC dans la vie professionnelle et la vie privée des salariés et, a fortiori, des cadres (avec ou sans management). Du fait des frontières de moins en moins étanches, il y a une intrusion du professionnel dans le privé et vice-versa. Certes, « Ce ne sont pas les outils eux-mêmes mais leur usage qui est déviant » (Francis Jauréguiberry, 2014). D’un côté, les TIC sont une révolution dans la vie des individus en permettant un accès à une information large, une rapidité d’exécution, une mise en contact instantanée. D’un autre côté, ils peuvent devenir les pires ennemis en s’immisçant partout, en développant un trop plein informationnel au risque de devenir « le fil à la patte » du salarié.

Un rapide tour d’horizon des dérives liées à l’usage des TIC dans le champ professionnel conduit en isoler quatre :

= > Risque 1 : Les TIC redéfinissent les contours du temps de travail et entraînent de nombreux salariés vers l’hyper activité. Les salariés, hyper connectés, ont l’impression de subir le temps. Ces salariés ont ainsi le sentiment de plus en plus fort de travailler dans l’urgence en raison d’un temps de travail compressé. Ces TIC peuvent générer chez les salariés, et les cadres plus particulièrement, une confusion entre l’urgent et l’important. Cette urgence est à la fois source d’adrénaline (sentiment d’importance, de compter, de puissance, etc.) mais aussi de stress, d’angoisse, d’épuisement, voire de dépression. Le salarié est pris dans l’étau de travailler plus dans un temps réduit. La charge de travail peut devenir écrasante puisque le salarié est pris dans la spirale du tout instantané. « La société devient alors malade de son temps ». Ces outils contribuent à instaurer un climat d’urgence (Nicole Aubert, 2003). = > Risque 2 : Ces TIC favorisent également l’hyper réactivité, à savoir une disponibilité qui serait quasi-permanente de la part des cadres, des réponses en temps réels aux divers interlocuteurs. Les différents temps sociaux sont, dès lors, superposés voire amalgamés. Ces instruments sont devenus incontournables et indispensables. La « connexion s’est entre-temps convertie en norme » au risque de devenir facteur de stress, car « la normalité est de décrocher immédiatement son téléphone surtout s’il est portable. La normalité est de répondre dans la demi-journée, voire dans certains cas dans l’heure aux e-mails reçus » (Nicole Aubert, 2003).

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= > Risque 3 : Le phénomène de Chrono-compétitivité, à savoir cette posture « où celui qui dégaine plus vite emmène le morceau » (Hartmut Rosa, 2010). Les cadres principalement se déclarent être dépassés, débordés. Tout se fait alors dans l’urgence au détriment de la réflexion. On voit apparaitre un phénomène inquiétant, « l’effet bouchon », avec une confusion de l’important et de l’urgent. Ce phénomène peut mener à des situations extrêmes telles que la dépression ou le burn out.

Risque 4 : Francis Jauréguiberry a identifié dans certaines entreprises, un manque de compétitivité de leurs salariés en raison d’une hyper sollicitation. Des expériences ont été réalisées sur l’usage des mails. On constate que les salariés ont besoin d’un laps de temps plus long pour se concentrer à nouveau après avoir répondu à des mails. Ainsi, les TIC interrompent les tâches toutes les 12mn et 90% déclarent utiliser Internet au bureau à des fins personnelles ou aller sur les réseaux sociaux. (ANACT, 2011).

Un phénomène se développe actuellement : l’aspiration à la déconnexion. Pour se préserver d’un trop plein informationnel, les personnes sont de plus en plus tentées par la déconnexion volontaire qui consiste à éteindre son portable ou fermer sa boîte mail à certains moments de la journée ou du week-end. Il s’agit d’instaurer des sas de décompression réguliers afin de créer une prise de recul et ralentir le rythme.

Gérard Taponat, Directeur des relations sociales et professeur à Paris-Dauphine nous dit : « On pense que l’outil est magique parce qu’il permet de gagner du temps, de dématérialiser, etc.». Or, il y a un vrai problème causé par l’outil. On est dépassé par le rythme, la sollicitation, le changement comportemental. Le tout-mail modifie considérablement le principe de responsabilité…tout ça la DRH ne l’a pas travaillé. On n’a pas formé les managers à repérer ce qui est important/pas important, urgent/pas urgent. On est dans le cœur de l’organisation qui fait que sans le traiter, l’outil va venir étouffer le rapport salarié/organisation. La DRH a donné à la technologie la solution des problèmes qu’elle n’a pas résolus. »

FOCUS JURIDIQUE : LE DROIT A LA DECONNEXION.

On voit apparaître un souhait au droit à la déconnexion. Prenant toute la mesure de l’impact de l’arrêt de la Cour de Cassation du 24 avril 2013 sur les forfaits jours et dans le souci de la préservation et de l’amélioration de la santé au travail, les partenaires sociaux de la Branche des Bureaux d’Etudes Techniques, Cabinets d’ingénieurs-conseils, Sociétés de Conseil (Syntec) ont procédé à la signature d'un accord relatif aux forfaits jours en avril 2014. Cet accord explicite l’ «obligation de respecter les durées minimales de repos et l’instauration

d’une obligation de déconnexion des outils de communication à distance ».

L’ancien ministre du Travail, François Rebsamen a commandé un rapport à Bruno Mettling6 sur ce sujet. Son auteur considère que « Le numérique est d’abord une opportunité pour penser différemment l’organisation du travail, le fonctionnement de l’entreprise au quotidien. Mais il peut aussi être porteur de risques pour la santé des salariés, qu’il convient d’anticiper. Il ne faut pas que ça serve de prétexte pour mettre à bas le code du travail. » (Le Monde 15 sept 2015). Le Rapport de Bruno Metttling est composé de 36 préconisations dont

« un droit à la déconnexion professionnelle qui doit se généraliser par négociation d’entreprise ». L’infobésité qui gagne toutes les entreprises et se propage chez les cadres, a

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été un des thèmes traités par la conférence sociale du 16 octobre 2015 sous l’autorité de la ministre du Travail. Dans les entreprises, de nombreux DRH se sont déjà emparés du sujet en mettant en place notamment des chartes TIC afin de réguler leur usage. On peut citer l’exemple de Volkswagen qui a rendu indisponible l’usage du Smartphone entre 18h15 et 7h30 ainsi que le week-end, en concluant un accord d’entreprise en juillet 2011. Autre exemple, le cas de REUNICA (AG2R) qui a intégré une charte NTIC à son règlement intérieur.

Il est essentiel que les DRH avec les managers réfléchissent à un meilleur usage des TIC, à la fois porteuses de facilités dans l’activité mais aussi de contraintes importantes pour le collaborateur. Conscients des risques de dérive, les entreprises réfléchissent au sujet en mettant en place des systèmes plus coercitifs. Les DRH seront probablement aidés par un renforcement des discussions sur le sujet à la suite de la Conférence Sociale d’octobre 2015. En effet, l’économie numérique et le droit à la déconnexion sont un des points à l’ordre du jour. Cette prise en compte est d’autant plus importante que les comportements des salariés et des cadres sont en train de changer, poussés par l’arrivée de la génération Y, mais aussi par la volonté de s’accorder du temps pour soi comme nous le verrons dans le chapitre suivant.

Chapitre 3 : La demande sociale d’une individualisation de l’organisation

du temps de travail

" [...] notre obsession du temps qui passe, qui est gagné ou perdu, nous fait oublier que c'est nous qui passons. " Pierre Rabhi Une tendance forte émerge chez les salariés, dont beaucoup d’observateurs et d’analystes se font l’écho : l’aspiration à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, et le désir d’une organisation du temps de travail individualisée, en phase avec cette aspiration. On observe cette tendance chez l’ensemble des salariés occidentaux (3.1) avec des spécificités en France (3.2). Tout cela est le signe d’une profonde mutation de notre société et plus spécifiquement du rapport des individus au travail (3.3).

3.1 Une tendance chez l’ensemble des salariés occidentaux

3.1.1 Le temps : un bien rare et précieux

« Les salariés européens font désormais du temps un bien tout aussi désirable que l’argent. » Par cette phrase, Gilles Moutel (2002), résume le résultat d’une étude internationale conduite par Ipsos sur le temps privé, le temps de travail et le temps des entreprises. Le fameux «Time is money» de Benjamin Franklin n’est plus à la mode chez les Européens : un sur deux déclare manquer autant (12%), voire plus (36%), de temps que d’argent. Désormais « Money is time ! » Les Américains sont encore plus frénétiques que les Européens dans la course au temps. 50% estiment manquer plus de temps que d’argent, avec seulement 11% qui estiment manquer des deux. Prendre le temps de bien vivre sa vie rivalise désormais avec le besoin de mieux la gagner, avec une nuance liée au niveau des revenus. En effet, ceux qui courent après le temps ont des revenus moyens ou hauts, tandis que ceux avec des bas revenus courent plutôt après l’argent. Néanmoins, d’une manière générale, émerge chez les individus, la

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volonté de choisir entre temps de travail et temps libre. Cela en amène beaucoup à privilégier davantage de temps libre et parfois en contrepartie un salaire moindre. C’est le développement des formes atypiques d'horaires demandées par les individus : la semaine de travail comprimée, l'horaire de travail variable, le partage de poste, le télétravail et le bureau virtuel, le nomadisme, le travail à temps partiel, etc.

A ce titre, l’exemple du Québec est éloquent. L’emploi atypique y prend de plus en plus d’importance. En effet, les salariés qui occupent un emploi, permanent, à temps complet, dans les locaux de l’employeur, et pour une durée indéterminée, sont de moins en moins nombreux. Plus de 1,2 millions de Québécois, soit 37% de la population active, comparativement à 17% en 1976, occupent un emploi atypique. Ce chiffre comprend les travailleurs autonomes, les travailleurs à temps partiel, les contractuels engagés pour une durée déterminée, les travailleurs saisonniers, et les employés d’agence de location de personnel. En outre, la semaine de travail de quatre jours constitue, au Québec, la tendance dominante en matière de conciliation travail-famille (John R.Schermerhorn Jr et al., 2010). Mais l’enjeu pour les individus n’est pas seulement d’avoir davantage de temps : il s’agit aussi d’en avoir la maîtrise.

3.1.2 La maîtrise du temps prime sur sa réduction

Paradoxalement, note Gilles Moutel, alors que la réduction du temps de travail est à l’ordre du jour dans tous les pays européens, exception faite pour la Grande-Bretagne, 64% des cadres européens estiment consacrer trop de temps à leur travail. La disparition progressive des rythmes collectifs de travail en faveur des rythmes individualisés complexifie la mesure même du temps que l’on y consacre.

« L’œil rivé sur la montre, les Européens affirment maîtriser leur temps. Comme s’ils ne couraient pas après lui mais avec lui, et parvenaient, au prix d’une organisation sans faille, à le prendre de vitesse », explique Gilles Moutel. « Des milliers de personnes interrogées vivent plus de vingt-quatre heures par jour, du moins elles en ont l’impression. Elles ont tant à faire». Interrogés sur leur temps quotidien, Européens et Américains affichent des tâches qui, mises bout à bout, font une journée plus longue que 24h. La superposition des temps permet de fabriquer un surplus temporel : faire les courses sur Internet au bureau, lire dans les transports etc., avec une nuance importante entre les hommes et les femmes, ces dernières se disant plus pressées et subissant le temps plus qu’elles ne le maîtrisent.

L’anthropologue américain Edward T. Hall dans son ouvrage « Le langage silencieux » paru en 1959, introduit la conception monochrone ou polychrone du temps pour expliquer les différences dans la perception du temps selon les cultures. La polychronie est la capacité à assister à de multiples événements simultanément (« plusieurs choses à la fois »), par opposition à la monochronie, où les événements se suivent séquentiellement (« un seul temps, une chose à la fois »).

Un Européen sur cinq dit avoir bénéficié d’une réduction de son temps de travail. 84% estiment que cette réduction, qui a permis de libérer du temps, a aussi amélioré leur qualité de vie. Mais les salariés qui perdent la maîtrise de la distribution du temps libéré sont logiquement moins satisfaits. Par exemple, en France, les "RTTistes" ont été étudiés (Gilles

Figure

Figure 1 : lien entre fatigue et sécurité selon Williamson et al.
Figure 2 : Répartition selon l’âge, le sexe et la situation familiale
Figure 4 : heures moyennes travaillées et représentation des changements de l’OTT en cours ou à venir dans les  entreprises interrogées  																																																								 19 	 Nous	avons	créé	4	segments	afin	de	faciliter	l’analyse	(range	effectifs	:	1-100	000).	 28# 26%# 8# 8%#8#7%#64#59%#Taille&de&l'entreprise& <50# 50,200# 200,500#>500#23#22%#17#16%#65#62%#type&de&forfait&Heures#Mensuel#Heure#Annuel#Jours#20#18%#89#82%#Contrôle&des&horaires&oui#non#12#11%#77#72%#18#17%#heures&moyennes&travaillées&par&semaine&horaire#légale#40250h#>50h#27#25%#68#62%#14#13%#Changement&OTT&en&cours&ou&à&venir&oui#non#sais#pas#
Figure 5 : Fréquences des réponses aux questions Q1, Q2, Q3 et Q4
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