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Une corrélation forte avec les intérêts propres de l’entreprise

Chapitre 5 : Les pratiques organisationnelles en entreprise liées au temps de travail

5.2 Une corrélation forte avec les intérêts propres de l’entreprise

Toutes les expériences précédemment citées sont identifiées par l’entreprise comme positives. L’exemple de Bosch l’atteste. En effet, au-delà de la satisfaction des cadres en place, l’organisation proposée est un moyen d'attirer les talents de la génération Y, au même titre que le serait une rémunération attractive. Dans un pays vieillissant comme l'Allemagne qui

peine à trouver du personnel qualifié, il y a un vrai enjeu à attirer une nouvelle population de cadres: les femmes et les jeunes, plus attirés par des horaires variables, et qui attendent de leur entreprise une plus grande flexibilité.

Pour Areva, le directeur de la diversité et de la qualité de vie au travail, indique que « les salariés qui ont trouvé leur équilibre de vie sont des salariés plus détendus, plus motivés, plus performants. Au final, ce type d’initiative favorise la productivité ». Pour Renault, Eric Couté pilote performance Télétravail, précise que « le télétravail contribue à l’attractivité de l’entreprise. C’est un atout pour attirer du personnel, spécialement les jeunes ». Pour Capgemini, la responsable RH à la direction des affaires sociales témoigne : « Un collaborateur qui a un bon équilibre de vie se sent mieux au travail. Les qualités acquises dans le rôle de parent (capacité à être multitâches, volonté de transmettre…) peuvent aussi être mises en œuvre dans le travail. » (Famili, 2014).

Nous avons interviewé Béatrice Blanche, la DRH de l’hôpital La Musse de la fondation hospitalière La Renaissance Sanitaire, dans l’Eure. « L’organisation en place, depuis quasiment 20 ans, est un levier d’attractivité pour les médecins: ils disposent d’un forfait à 35 heures annualisé, avec des jours de repos compensatoires. En plus l’hôpital offre une demi- journée par semaine pour que ses professionnels puissent exercer une autre activité. Une double satisfaction à cette pratique : à la fois pour l’employeur puisque le salarié est toujours satisfait, il se tient informé concernant la pratique de sa discipline et aussi pour le salarié puisqu’il a la possibilité de cumuler une autre activité rémunérée s’il le souhaite, le salaire proposé n’étant pas un levier d’attractivité ».

Néanmoins, si certaines organisations sont innovantes, il ne faut pas pour autant exagérer la portée de ces actions et le fait que, dans beaucoup d’entreprises, le temps de travail et son organisation sont encore prescrits et laissent peu d’autonomie aux individus (Jean-Yves Boulin et Reiner Hoffmann, 2000).

D’autre part, quoique vécu et affirmé comme quelque chose de largement positif, l’autonomie peut être aussi synonyme de flexibilité productive pour l’entreprise, avec réduction des délais de production et flux tendus qui en sont les déclinaisons principales. Dans ce contexte, l’autonomie pour le salarié est toute relative, voire même une illusion.

La référence extrêmement forte à l’autonomie dans l’organisation du temps de travail, qui ressort de notre enquête, laisse entrevoir à quel point cela est un bien précieux dans l’entreprise.

A la question « Qu’est-ce que vous aimez dans l'organisation du temps de travail ? », 34% des cadres pointent explicitement la flexibilité comme quelque chose de positif et 50% le choix et l'autonomie. Paradoxalement, 42% d'entre eux, quand on leur demande ce qu'ils n'aiment pas dans l'organisation du temps de travail actuelle, pointent que l'autonomie n'en est pas vraiment une, les limites, les contraintes de cette autonomie avec des expressions du type "pression", "je suis obligé de", "je ne m'accorde pas de récupérer", etc. L’autonomie ne veut donc pas forcément dire liberté de choisir ses horaires pour les cadres.

Mais dès lors que l’entreprise a saisi l’intérêt de se saisir de la question du temps, celui-ci et son organisation peuvent être pensés comme des outils stratégiques. Ainsi, Gilles Moutel (2002) souligne à quel point la maîtrise et l’organisation du temps est devenue un facteur clé pour établir la compétitivité d’une entreprise. En effet, à la fin du 19ème siècle,

l’ingénieur américain Taylor avec le "scientific management" développe l’idée selon laquelle l'entreprise peut accroître ses résultats par l'activité de management et en fonction des

systèmes d'organisation adoptés, notamment l'organisation du temps de travail. Dans ce cadre, il fait la distinction entre le "temps externe" c’est-à-dire les horaires de travail et le "temps interne" à savoir les caractères et l’intensité du temps de travail à l'intérieur d'une durée déterminée (Giovanni Gasparini, sous la dir de Jean-François Chanlat, 1990). Une augmentation du "temps externe" peut donc être contre-productive et mieux vaut parfois innover sur le "temps interne". Cette question est au cœur des projets de transformation inspirés du Lean management, qui fait la chasse aux temps dits inutiles pour, par exemple, offrir à la clientèle des horaires d’ouverture plus étendus, rentabiliser les équipements par leur utilisation maximale, ajuster la production au plus près des demandes du marché. C'est la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui: le "temps externe" a tendance à se réduire mais les entreprises demandent la flexibilité quant à la distribution et l’intensité du temps de travail, parce que c'est surtout cette flexibilité qui définit la productivité. Dans un monde où tout s’accélère, le temps est devenu une ressource rare, différenciant les organisations comme les acteurs : la pression du temps des entreprises s’accentue (flexibilité, réactivité…), aussi bien en dedans qu’en dehors (fournisseurs, partenaires).

Pourtant, quand cette flexibilité fait l’objet d’un compromis entre les contraintes économiques des entreprises d’un côté, les attentes des salariés (résultant bien souvent de contraintes et représentations se situant à l’articulation du travail et hors-travail) de l’autre (Jean-Yves Boulin et Reiner Hoffmann, 2000), qu’elle est décidée par, ou négociée avec les travailleurs eux-mêmes, elle peut caracoler en tête du classement des meilleures conditions de travail et par conséquent, des conditions de vie en général. Les Pays-Bas ont adopté en 2000 une loi permettant aux salariés de décider eux-mêmes d’augmenter ou de diminuer leur temps de travail. L’employeur est contraint d’accepter, sauf si des intérêts importants s’y opposent. Ce texte innovant avait, comme objectif, d’augmenter le potentiel du marché de l’emploi, d’aider à une meilleure conciliation vie privée et vie professionnelle. En Allemagne, le souhait de pouvoir changer d’horaires de travail au cours de la vie professionnelle afin de pouvoir concilier des priorités familiales, gagne en importance. Des modèles innovants dits de « temps mobiles » destinés notamment aux cadres y sont étudiés : poste de travail à temps partiel flexible, emplois partagés, groupe de travail à horaires autonomes, temps de travail annuel flexible, semaine de quatre jours, retraite flexible… Autre exemple, dans les années 90, un aménagement du temps de travail avait été signé dans des usines Volkswagen. En contrepartie d’une baisse de 20% de temps de travail, les salariés ont accepté une très grande flexibilité hebdomadaire : le temps de travail moyen, fixé à 28h45 peut grimper jusqu’à 38h45, si nécessaire, sans majoration de salaire (Gilles Moutel, 2002).

5.3 L’importance du contrat social et psychologique entre le salarié et