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La multiplicité des équilibres

Dans le document CRITIQUE DE LA VALEUR FONDAMENTALE (Page 61-64)

Le problème de la multiplicité d’équilibres est apparu très rapidement dans les modèles construits sur l’hypothèse d’anticipations rationnelles, même s’il ne se manifestait pas directement dans les tout premiers modèles qui reposaient sur cette hypothèse.

Dans le premier modèle, développé par Muth en 1961, l’équilibre était unique. La raison en est en réalité assez simple, car, comme l’expliquait Shiller, ces modèles linéaires adoptaient une hypothèse tout à fait particulière : la va-riable endogène analysée ne dépendait que de l’anticipation faite à la période antérieure (en datet−1) concernant sa valeur actuelle (en datet)1. Blanchard souligne également ce point. Après avoir affirmé que l’indétermination consti-tue un trait caractéristique de tous les modèles dans lesquels les prix courants dépendent des prix futurs anticipés, il explique que « cette indétermination n’apparaît pas dans des modèles comme le modèle sans spéculation de John Muth ou le modèle macroéconomique de Robert Lucas par exemple dans les-quels seules les anticipations des variables courantes sont prises en compte2».

En dehors de ce cas particulier, les modèles linéaires d’anticipations ration-nelles admettent en général une infinité d’équilibres, sans qu’il soit nécessaire d’introduire de la non-linéarité pour rencontrer ce problème.

Ainsi, l’hypothèse d’anticipations rationnelles, développée par Muth et qui avait été considérée comme un moyen à la fois simple et satisfaisant de rendre compte de la formation des anticipations des individus, apparaissait finalement

1Voir Muth [1961] et Shiller [1978], p. 26.

2Blanchard [1979a], p. 115.

poser plus de problèmes qu’elle n’en résolvait, le prix à payer pour son adop-tion paraissant être en effet la perte de tout pouvoir prédictif des modèles théoriques des économistes. Et depuis le début des années 1980, il est devenu clair pour beaucoup d’économistes que la plupart des modèles fondés sur l’hy-pothèse d’anticipations rationnelles possèdaient une multiplicité d’équilibres.

Par exemple, Shiller pouvait écrire en 1978 : « Nous demeurons avec une in-détermination fondamentalepour les solutions de ces modèles d’anticipations rationnelles, et une infinité de solutions potentielles, sauf dans certains modèles dégénérés [...]. C’est un fait qui, généralement, n’est pas admis dans la littéra-ture3. » Aujourd’hui, plus de vingt ans après, un tel constat n’est plus légitime et une littérature relativement abondante a été consacrée à ce problème.

En fait, on a obtenu une multiplicité d’équilibres dès qu’ont été considé-rés des modèles dynamiques dans lesquels la valeur de la variable endogène de chaque période ne dépendait plus simplement de son anticipation passée concernant sa valeur présente, comme dans les premiers modèles, mais de ses valeurs passées et des anticipations présentes et passées de ses valeurs présentes et futures, comme de celles de variables exogènes4. Ce problème d’indétermi-nation de la solution d’équilibre apparaît dans un cas particulièrement simple de systèmes dynamiques linéaires. Dans ces modèles, l’équation dynamique qui décrit l’évolution du système considéré ne fait dépendre la valeur de la variable endogène à une date donnée que de deux éléments : d’une part, l’anticipation faite à cette date de sa valeur future dans la période suivante (one step forward looking models), et, d’autre part, des variables aléatoires exogènes. L’évolution de la variable endogène est ainsi décrite en temps discret par une équation aux différences linéaire avec anticipations rationnelles très simple, qui – comme nous allons le voir – admet une multiplicité de solutions5. Shiller présente ce type de systèmes dynamiques sous une forme très générale, celle d’un système de n équations avec yt vecteur de dimension n qui dépend linéairement de ses valeurs passées et des anticipations présentes et passées de ses valeurs pré-sentes et futures, comme de celles de variables exogènes. Nous présenterons ici seulement le cas le plus simple6.

Il existe trois types de modèles de bulles rationnelles. D’une part, les bulles sur les marchés d’actions ; d’autre part, les modèles d’hyperinflation qui uti-lisent le schéma de base de Cagan en remplaçant les anticipations adaptatives de Cagan par des anticipations rationnelles (dans ce cas, les bulles rationnelles ap-paraissent comme un moyen de rendre compte des phénomènes d’hyperinflation ou d’hyper-déflation7) ; enfin, une troisième partie de la littérature consacrée

3Shiller [1978], p. 31.

4C’est ce qu’ont montré par exemple Taylor [1977], Shiller [1978] et Blanchard [1979a], puis Gourierouxet al.[1982] et ce, alors même qu’ils restaient dans le cadre des modèles linéaires.

5Nous nous appuierons ici très largement sur le texte de Blanchard et Fisher [1989].

6Nous renvoyons le lecteur soit au chapitre 5 de l’ouvrage de Pesaran [1987], section 5-3, p.

88-117, pour une présentation simple, soit pour plus de détails à Blanchard [1985] et Taylor [1985]. Pour une synthèse, on consultera l’ouvrage de Broze et Szafarz [1991].

7Voir Flood et Garber [1980]. Voir aussi les travaux suivants, dont certains sont antérieurs au modèle de Flood et Garber : Brock [1975], Calvo [1978], Gray [1984], Obstfeld [1984],

aux bulles rationnelles s’intéresse aux bulles de change8. On peut regrouper formellement ces trois cas dans la même expression mathématique de la ma-nière suivante. La dynamique de la variable endogène notée y est représentée par une équation de la forme :

yt=αyet+1+zt ∀t∈ {0,1,· · ·, T} (3.1) oùytest la valeur prise par la variable endogèney en datet(dans tous les mo-dèles d’anticipations rationnelles qui nous intéressent ici, il s’agit d’une valeur d’équilibre),yet+1représente la valeur espérée en datetde la variable d’équilibre y en datet+ 1 par les individus qui utilisent le modèle (l’anticipation faite en datet),ztest une variable exogène quelconque,αun paramètre non nul, etTun horizon de temps fini. Il faut aussi noter que dans tous ces modèles, l’équation dynamique (3.1) est déduite d’autres équations et en particulier d’une équation d’équilibre (équilibre partiel ou général, selon les modèles analysés) : la variable endogèney dont on observe l’évolution est donc une variable d’équilibre.

Un certain nombre d’hypothèses sont alors en général introduites explicite-ment ou impliciteexplicite-ment (voir chapitre 2), qui permettent d’adopter l’hypothèse d’anticipations rationnelles sous sa forme la plus simple, celle de l’espérance mathématique conditionnelle. Avec cette hypothèse, l’équation (3.1) devient

yt=αIEt(yt+1) +zt ∀t∈ {0,1,· · ·, T} (3.2) Le système précédent comporte plus d’inconnues que d’équations : il admet donc une infinité de solutions. Comme la variable endogène solution est tou-jours une variable d’équilibre, l’existence d’une infinité de solutions signifie donc qu’il existe une infinité de sentiers d’équilibres qui vérifient la dynamique décrite par cette équation. De plus, ces équilibres se caractérisent tous par des anticipations rationnelles. Ce type de modèles permet donc de faire apparaître une multiplicité d’équilibres à anticipations rationnelles : et de fait, c’est dans ce cadre théorique que le problème est initialement apparu.

Trois aspects dans cette relation itérative appellent l’attention. Tout d’abord, la prise en compte d’une variable exogène n’a pas d’effet particulier dans l’indé-termination que l’on observe dans ces modèles, et il serait tout à fait possible de ne pas en inclure. Cependant, dans la plupart des modèles qui ont été présentés, en particulier dans les modèles de bulles rationnelles, une telle variable existe.

Aussi avons-nous choisi de conserver la présentation usuelle. D’autre part, l’on pourrait faire une hypothèse, non d’anticipations rationnelles, mais de prévi-sions parfaites, ce qui simplifierait la présentation formelle des modèles. En fait, on montre que le problème de la multiplicité d’équilibres n’est pas lié spécifi-quement à l’hypothèse d’anticipations rationnelles. Ainsi, un grand nombre des analyses présentées ci-après restent valables même lorsque l’on raisonne dans un cadre sans incertitude, c’est-à-dire avec des prévisions parfaites9. Cependant,

Obstfeld et Rogoff [1983, 1986], Blanchard et Fisher [1989].

8Voir Meese [1986], Singleton [1987].

9Pour un exemple de modèles qui présentent une multiplicité d’équilibres avec des prévisions parfaites, on pourra voir Hahn [1966], Samuelson [1967], Shell et Stiglitz [1967].

de nouveau, et historiquement, la plupart des auteurs qui se sont intéressés au problème de la multiplicité d’équilibres – et en particulier, encore une fois, ceux qui ont développé les modèles de bulles rationnelles – ont utilisé des anticipa-tions rationnelles, et ce choix particulier a résulté de leur volonté de mettre en évidence le rôle des anticipations dans l’apparition de cette multiplicité. Enfin, le type d’équation présenté ci-dessus est tout à fait général, et l’on peut lui donner plusieurs interprétations économiques.

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