• Aucun résultat trouvé

Le hasard de Pareto

Dans le document CRITIQUE DE LA VALEUR FONDAMENTALE (Page 146-150)

On peut appréhender l’étrange et non intuitive structure probabiliste de ce qui est appelé le « hasard de Pareto » de trois manières différentes : par les moyennes conditionnelles linéaires, par la forte hiérarchisation des valeurs obtenues, par la concentration des contributions de chaque valeur à la masse totale du résultat. Nous présentons successivement ces trois voies d’accès à la

12Ibragimov [2005].

13Pour davantage de précisions, on pourra consulter par exemple l’ouvrage de Embrechtset al.[1997].

notion de hasard parétien. Nous suivrons, pour la première, le schéma proposé par Marc Barbut dans ses articles relatifs aux distributions de Pareto14.

Le paradoxe de la valeur probable : après la pluie... l’orage

L’intuition fondamentale sous-jacente à la structure du hasard de Pareto peut être introduite par une analyse sur la richesse des individus et leur pa-trimoine. Posons-nous la question suivante : « Considérons les individus qui ont un patrimoine supérieur à (par exemple)500 000euros ; quelle est la valeur moyennede leur patrimoine ? Ce patrimoine moyen est-il très nettement supé-rieur à500 000 euros, ou peu différent de500 000 euros ? » En fait, si le patri-moine moyen des individus qui ont un patripatri-moine supérieur à500 000euros est très supérieur à500 000euros, cela signifie que la distribution des patrimoines au-delà du seuil de500 000euros est fortementinégalitaireou, plus précisément, fortement hiérarchisée. Imaginons que la moyenne de ces patrimoines soit de 1 000 000 d’euros (le double du seuil), cela voudra dire que l’on trouvera des patrimoines encore bien plus importants que1 000 000 d’euros (peut-être dix fois plus).

Passons au cas du marché boursier. La question pourrait se poser ainsi :

« Sur les trois ans passés, considérons les semaines où le gérant d’un OPCVM a obtenu une performance hebdomadaire positive supérieure à (par exemple) 2 % ; quelle est la valeur de la performance positive moyenne au-delà de 2 % ? est-elle proche de 2% ou bien nettement supérieure ? » Dans le premier cas, le gérant aura rarement dépassé 2 % de performance hebdomadaire : sa trajectoire boursière sera relativement régulière. Dans le second cas, il est vraisemblable que l’on observera des semaines où la performance hebdomadaire du gérant est très supérieure à 2 % (par exemple deux ou trois fois plus), et la trajectoire boursière de l’OPCVM présentera alors des discontinuités significatives.

Ces deux exemples contiennent toute l’intuition du hasard de Pareto. For-malisons à présent cette idée. Si l’on notex0 le seuil au-delà duquel on calcule la moyenne de la quantité examinée, etM(x0)la moyenne au-delà de ce seuil x0, dans l’exemple précédent on a

M(500 000) = 2×500 000 ou encore

M(x0) = 2×x0

Plus généralement, pour toute population donnée, on pourra se demander si l’on aurait une relation de type

M(x0) =a×x0+b (7.1)

Cette relation fonctionnelle exprime l’idée que la moyenne conditionnelle au-delà du seuilx0 est un multiple de ce seuil à une constante près, c’est-à-dire unefonction linéairede ce seuil.

14Barbut [1989, 1998].

Si une relation linéaire de ce type est bien vérifiée par une variable aléatoire X(dans les deux exemples précédents, il s’agissait du montant du patrimoine et de la performance hebdomadaire positive), alors on montre que la distribution de probabilité de cette variable appartient à une famille de distributions dont la forme est une loi de Pareto généralisée. Réciproquement, siX est une variable aléatoire qui suit une loi de Pareto, alors la relation linéaire (7.1) précédente est vérifiée.

Faisons apparaître la relation qui existe entre la propriété (7.1) et l’existence d’une fonction puissance sur la queue de distribution. On commence par écrire la définition de la moyenne conditionnelle au-delà du seuilx0, qui est

M(x0) = IE[X/X > x0] (7.2) Puis on cherche à obtenir la forme de la fonction de queue. On rappelle que si X est une variable aléatoire réelle, la fonction de répartition de la variableX est la fonction croissante définie surRparFX(x) = Pr(X ≤x)∈[0,1]oùf(x) est ladensitéde la variableX (la dérivée de sa fonction de répartition si cette dérivée existe). La fonction de queuenotéeFX est définie par FX = Pr(X >

x) = 1−FX(x).

On développe à présent la moyenne conditionnelle (7.2) en vertu de la dé-finition de l’espérance mathématique et de la fonction de queueF :

M(x0) = 1 Pr(X > x0)

x0

t dF(t) = 1 F(x0)

x0

t dF(t)

On cherche donc laformede la fonction de queueF telle que, pour tout seuil arbitrairex, on vérifie la relation (7.1) soit, en regroupant (7.1) et (7.2),

l’équa-tion 1

F(x)

x

t dF(t) =a x+b

c’est-à-dire

x

t dF(t) = (a x+b)F(x) En dérivant par rapport àx, on trouve

−xdF(x)

dx =a F(x) + (a x+b)dF(x) dx

soit, après transformation (sachant quedF =−dF)

a F(x)dx=(x(a1) +b)dF(x) (7.3) qui est une équation différentielle enF(x). Sa résolution fournira donc toutes les formes de lois de Pareto recherchées, selon les valeurs que prennent les paramètresaetb.

La résolution de cette équation est détaillée à l’annexe technique du chapitre (p. 160) et l’on en donne seulement ci-après un exemple simple. Le principe est

d’abord de fixer un seuil x0 au sens de la relation (7.1). Puis on définit la variable aléatoire {X/X x0} et on note Fx0(x) la fonction de queue de la variable aléatoire conditionnelle :

Fx0(x) = Pr(X > x/X > x0) = F(x) F(x0)

On a donc par définitionFx0(x0) = Pr(X > x0/X > x0) = 1. Autrement dit, le paramètrex0 est déterminé par la condition

Fx0(x0) = 1 (7.4)

Cette condition (7.4) étant remplie, on peut alors résoudre l’équation différen-tielle (7.3).

Par exemple, sia >1 etb= 0, cette équation différentielle s’écrit a F(x)dx=−x(a−1)dF(x)

En posant α=a/(a−1), on obtient par intégration entre les bornesx0 et x avec la condition (7.4),

Fx0(x) = x0

x α

x > x0 (7.5)

La fonction de queue possède une distribution de Pareto du type I, ou loi de Pareto simple.

Ainsi, puisquea=α/(α−1), la moyenne conditionnelle au-delà du seuilx0 s’écrit dans ce cas

M(x0) = α

α−1x0 (7.6)

Par exemple, si α = 1,5, alors a = 3 et M(x0) = 3x0. Cela veut dire que la valeur la plus probable, une fois atteint le seuil, est le triple du seuil lui-même. De manière plus littéraire, on pourrait donc dire que, contrairement à l’adage populaire qui énonce « après la pluie, le beau temps », on se trouve ici davantage dans une structure météorologique où les aléas climatiques sont tels que, après la pluie, le plus vraisemblable sera l’orage.

Notons que, dans le cadre de la théorie des valeurs extrêmes telle que la finance moderne la connaît, un changement de paramétrage a été effectué (voir annexe technique p. 160), dans lequel on poseξ= 1/α, etσ=x0ξ. On obtient alors comme fonction de queue

Fx0(x) =

1 + ξ

σ(x−x0) 1ξ

(7.7) qui est la forme parétienne adoptée dans la littérature spécialisée en finance, la forme (7.5) étant davantage utilisée dans la littérature spécialisée en physique dans les applications à la finance15. Avec ce paramétrage, la relation (7.6) s’écrit

M(x0) = 1 1−ξx0

15Voir par exemple Bouchaud et Potter [1997].

Par exemple, siα= 1,5,ξ= 2/3et l’on retrouve bienM(x0) = 3x0: la valeur la plus probable, une fois atteint le seuil, est le triple du seuil lui-même.

Le hasard « sauvage » de Pareto est donc un hasard dans lequeltoute valeur probable conditionnée par un franchissement de seuil est un multiple de ce seuil.

Il s’agit là d’une conséquence totalement contre-intuitive de la linéarité des moyennes conditionnelles, que l’on appelle leparadoxe de la valeur probable en univers parétien.

La perte de pertinence des moyennes : « ce n’est point ma

Dans le document CRITIQUE DE LA VALEUR FONDAMENTALE (Page 146-150)