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La formule d’évaluation rationnelle

Dans le document CRITIQUE DE LA VALEUR FONDAMENTALE (Page 31-34)

Il existe deux familles de pensée pour caractériser la propriété d’efficacité informationnelle d’un marché3. Pour la première, la définition usuelle est en général issue de celle (classique) donnée par Fama en 1970 : les cours de bourse

1Voir pour cet usage Guesnerie [2005].

2Voir Walter [2005] pour une réflexion sur cette question.

3Voir Walter [1996] pour une mise en perspective historique du concept d’efficacité informa-tionnelle entre 1900 et 1985.

reflètent « complètement » l’information disponible à chaque instant4. Il s’agit ici d’une proposition de principe à propos de l’ajustement des cours qui pro-cède de l’incorporation d’informations nouvelles par les investisseurs dans leur ensemble dont ils disposent déjà. La seconde famille de pensée est issue de la définition de Jensen de 1978, et fait référence à la profession des gestionnaires d’actifs : les gestionnaires professionnels ne pourraient réaliser de gains qualifiés d’« anormaux » (voir ci-dessous) en adoptant une politique de gestion active d’achats et de ventes de titres sur la base de leur ensemble d’information5. C’est une proposition de principe sur la méthode optimale de gestion de portefeuille sur des marchés efficaces au sens informationnel.

L’articulation de ces deux définitions n’est pas chose aisée, mais l’on peut ce-pendant remarquer qu’elles sont toutes deux des conséquences de l’hypothèse d’anticipations rationnelles. En effet, cette hypothèse consiste à affirmer que les investisseurs se comportent à chaque instant de manière optimale compte tenu de leur ensemble d’information, et transmettent ainsi ces informations aux prix. Les gains (respectivement les rentabilités) appelés anormaux (anormales) correspondent aux gains (rentabilités) en excédent des gains (rentabilités) an-ticipé(e)s, et donc orthogonaux (ales) à ces dernières sous l’hypothèse d’an-ticipations rationnelles. C’est dire que leur espérance conditionnelle est nulle.

Dans cette perspective, un marché efficace au sens informationnel est consi-déré comme un marché rationnel en un sens précis, celui de la rationalité des anticipations des intervenants.

Nous avons vu dans le chapitre précédent que la valeur fondamentale d’une action est la somme actualisée des revenus futurs qui lui sont attachés (for-mules (1.1) et (1.2)) et que, pour que cette actualisation puisse être calculée, il était nécessaire de disposer de prévisions bien documentées sur l’entreprise et les flux de revenus Ft (ou de dividendes Dt) qu’elle engendre. L’hypothèse des anticipations rationnelles consiste à comprendre cette notion de prévisions bien documentées en termes de flux rationnellement anticipés. Reste à établir comment s’opère un tel passage de l’intuition à la formalisation théorique, à partir de l’équation de la valeur fondamentale d’une action.

Nous avons vu qu’une manière de comprendre la valeur fondamentale d’une action était donnée par la formule (1.2) pour sa valeur théorique, et par la formule (1.5) pour sa valeur approchée (ou modèle de Bates), que l’on récrit ci-dessous

St= n k=1

Dt+k

(1 +x)k + St+n

(1 +x)n (2.1)

En fait, ce modèle permet de définir une équation de base pour l’évaluation de toute action. En considérant que l’on se place en datet et que l’on cherche à

4L’article de base est celui de Fama [1970]. Il développe en fait une première définition donnée dans Fama [1965], et qui sera elle-même complétée dans Fama [1976]. Ces trois définitions de base à la Fama constituent l’approche dite classique de l’efficacité informationnelle des marchés.

5L’article de base est ici celui de Jensen [1978].

évaluer l’action en vue d’une datet+ 1, le modèle s’écrit (on choisitn= 1) St= 1

1 +x(Dt+1+St+1) (2.2)

Dans la pratique, les dividendes et cours en date t+ 1 ne sont pas connus d’avance, mais sont des quantités estimées (espérées) en datet au moyen des méthodes vues au chapitre 1. Comme précédemment, on fait apparaître ce caractère espéré par l’indice supérieur « e » et par la présence de la date d’es-timationt, soit

St= 1 1 +x

Dt,t+1e +St,t+1e (2.3)

qui estl’équation de base de l’évaluation d’une actionsur une période (c’est-à-dire entre les deux datest ett+ 1).

L’hypothèse d’anticipations rationnelles consiste à qualifier la formation des valeurs espérées du cours et du dividende. En premier lieu, on admet que les in-vestisseurs considèrent que l’équation (2.3) est bien la bonne équation à utiliser, et que la valeur du taux d’actualisationxest claire pour tous. Cela correspon-drait à ce que les économistes appellent connaître le vrai modèle de l’économie.

En deuxième lieu, on admet que les investisseurs ont accès à la même informa-tion : cela correspond auprincipe juridique d’égalité devant l’information. On note cette information en datetpar le symboleΦt. Typiquement, cet ensemble Φt contient toutes les informations relatives aux valeurs présentes et passées des cours de l’action et des données relatives à la société (au dividende). Mais aussi d’autres éléments d’information considérés comme utiles pour la forma-tion des prévisions bien documentées (voir plus loin). Enfin, on admet que les investisseurs ont accès aux valeurs passées des variables (le passé est conservé et accessible). Cette troisième hypothèse est formellement décrite par la relation d’inclusion entre les ensemblesΦtsuivante :

Φ0 Φ1 Φ2 ⊆ · · · ⊆ Φt

Avec ces hypothèses, on peut alors postuler que l’anticipationSt,t+1e en date tdu cours en datet+1(et de même du dividende) correspond à l’espérance ma-thématique du cours conditionnée par l’information, ce qui revient à remplacer St,t+1e par une espérance mathématique

St,t+1e =E(St+1|Φt) =Et(St+1)

où la notation compacteEt(.)indique que toute l’information Φt a été prise en considération pour le calcul de la valeur espérée en date t+ 1. Avec cette hypothèse d’anticipations rationnelles, l’équation (2.3) devient

St= 1

1 +xEt(Dt+1+St+1) (2.4) Cette nouvelle équation (2.4) caractérise un équilibre en datetà anticipations rationnelles pour la datet+1, pour une action dénommée S achetée au coursSt

à cette datet, et dont le dividende versé à la datet+ 1et le cours ent+ 1sont respectivement donnés par Dt+1 et St+1. Si le cours d’équilibre d’une action (le cours coté qui « vide » le marché des carnets d’ordre d’offre et de demande) se forme de cette manière, on dit que le marché a efficacement transformé de l’information en prix (du point de vue de l’intégration dans le cours des éléments d’information utilisés), ou encore que le marché est efficace au sens informationnel.

Enfin, on remarque que cette équation d’équilibre (2.4) est aussi une équa-tion qui donne la valeur en datetde toute action en fonction des anticipations rationnelles faites sur les variables en date t+ 1 et du taux xchoisi : en ce sens, on dit aussi que l’équation (2.4) est une équation d’évaluation ou d’éva-luation rationnelle d’une action. C’est en cela que, comme nous l’avonsindiqué au début, la notion de valeur fondamentale (évaluation) et celle d’efficacité informationnelle (anticipations rationnelles) sont étroitement imbriquées.

Dans le document CRITIQUE DE LA VALEUR FONDAMENTALE (Page 31-34)