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Il suffit de se référer au tableau de jurisprudence déjà présenté (ch. I ci-dessus) pour se convaincre que, du point de vue du droit matériel, le droit de la cons-truction énergétique se manifeste en de multiples occasions, voire dans plu-sieurs aspects d’un même ouvrage ou projet d’ouvrage. En voici quelques il-lustrations, présentées dans un ordre quasi chronologique.

17 RS 700.

18 Cf. l’étude de HENNY, p. 3 ss.

19 Pour un plaidoyer en faveur d’une loi fédérale sur la construction il y a quinze ans déjà, cf. LENDI.

La première étape de tout projet de construction consiste à définir les droits à bâtir à disposition :

1. Ici, c’est clairement la question du bonus énergétique qui domine dé-sormais le débat juridique. Sans prétendre à l’exhaustivité : (1) le bo-nus génère d’abord une question de légalité : exige-t-il une base légale formelle ou peut-il se contenter de figurer dans un règlement d’exécution ? Un ancrage de son principe dans la loi cantonale est sans aucun doute nécessaire ; c’est ainsi que l’article 130 alinéa 2 de la loi fribourgeoise sur l’aménagement du territoire et les constructions (moderne : du 2 décembre 2008 ; LATeC20) enjoint le Conseil d’Etat de

« prévoir des valeurs particulières pour promouvoir des modes de construction durables ». On ne saurait ici écouter les voix scandalisées par l’idée même d’un « bonus » pour la raison que tous les droits à bâ-tir sur un bien-fonds appartiendraient de toute façon déjà naturelle-ment à son propriétaire ; si l’on peut comprendre la conception poli-tique sous-jacente à cette pétition, elle ne résiste pas à l’évolution de l’ordre juridique : la propriété n’est plus un droit absolu et doit au con-traire se comprendre comme une simple maîtrise passagère sur un élément limité d’un ensemble géographique global beaucoup plus vaste21. (2) Le bonus pose ensuite très souvent un problème de réparti-tion des compétences entre le canton et la commune concernés : le droit cantonal le prévoit in abstracto et crée ainsi un droit subjectif en faveur des propriétaires, qu’ils revendiquent à l’encontre des com-munes et quelles que soient les prescriptions qu’elles ont établies – parfois depuis longtemps – dans leur réglementation des zones ; c’est ainsi que l’article 80 alinéa 6 du règlement fribourgeois d’exécution de la loi précitée (ReLATeC22) accorde un bonus de 10 % sur l’indice brut d’utilisation du sol qui est fixé par le règlement communal d’urbanisme lorsqu’il s’agit de bâtiments respectant au moins la classi-fication C du certificat énergétique cantonal des bâtiments. Le conflit entre le bonus et la planification est encore plus immédiat lorsque les droits à bâtir sont fixés dans un plan spécial (tel qu’un plan de quar-tier) et que l’application du bonus fait sortir le bâtiment projeté du ga-barit prévu à cet endroit (particulièrement en hauteur) ou du péri-mètre d’implantation du bâtiment tracé dans le plan.

2. Sous l’angle des droits à bâtir toujours, la question de l’isolation des bâtiments est devenue importante : une isolation renforcée est l’une des mesures pour réduire la consommation d’énergie et satisfaire aux

20 RSF 710.1.

21 Cette conception sous-tend la thèse d’habilitation du Professeur DUBEY.

22 RSF 710.11.

labels de type Minergie. Presque tous les législateurs ont désormais in-troduit des incitations à plus d’isolation : l’article 9 alinéa 3 lettre e LEne précité dicte aux cantons une limite de 20 cm qu’ils ne peuvent dépasser lorsqu’ils instaurent un bonus de hauteur ou de distance à la limite, aux bâtiments voisins, à la route, à la place de parc, aux eaux publiques ou encore dans le cadre de l’alignement des constructions (ci-dessus ch. II.B in fine). Les cantons semblent vouloir exploiter com-plètement ce maximum ; ainsi en droit valaisan23.

La réalisation de la construction envisagée puis ses transformations au cours du temps posent ensuite forcément aussi des questions d’énergie, en lien avec l’art de bâtir. Trois manifestations légales de cette dimension, parmi les plus fréquentes : (1) l’obligation de changer les chaudières (tout au moins leur brûleur) lorsqu’elles ne sont plus aux normes, en particulier les exigences de l’ordonnance du 16 décembre 1985 sur la protection de l’air (OPair24).

(2) L’obligation de changer les vitrages des bâtiments au profit de fenêtres doubles ; un programme à cet effet est en cours par exemple dans le canton de Genève25. (3) L’obligation d’installer des panneaux solaires sur les nouvelles maisons afin de compenser au moins 10 % de l’énergie fossile consommée ; la Conférence des directeurs cantonaux de l’énergie a pris une décision dans ce sens lors de sa séance du 14 janvier 2015, mais sa transposition dans les can-tons semble générer un combat entre les représentants des divers groupes d’intérêts26.

Qui dit construction dit traditionnellement équipement. Le « droit de l’équipement » est en plein bouleversement ; les conceptions qui sous-tendent l’article 19 LAT et les règlements communaux qui en résultent sont dépassées : en particulier, la régulation environnementale (les lois et les normes comme celles de la VSS) vise à réduire le trafic automobile et les places de parc privées au profit des transports publics et des parkings mutualisés. Un tel changement radical d’orientation s’observe aussi pour ce qui est des raccordements : (1) la mise en réseau de l’énergie et de la chaleur passe par des équipements collec-tifs et pose la question de savoir si et comment l’ordre juridique peut les

23 Art. 29 al. 3 à 5 de la loi du 8 février 1996 sur les constructions (RS/VS 705.1), alinéas entrés en vigueur le 1er juin 2015. Cf. ég. art. 5 al. 2bis et 6 al. 2 de l’ordonnance du 2 octobre 1996 sur les constructions (RS/VS 705.100).

24 RS 814.318.142.1. Les exigences techniques pour les chauffages centraux se trouvent dans l’annexe 3 (limitation complémentaire et dérogatoire des émissions pour les installations de combus-tion).

25 Art. 56A du règlement d’application du 27 février 1978 de la loi sur les constructions et les installa-tions diverses (RSG L 5 05.01) : les propriétaires disposaient d’un délai au 31 janvier 2016 à cet ef-fet. L’Etat a dû assouplir ces exigences, face aux difficultés qu’il a lui-même rencontrées pour assai-nir ses bâtiments à l’échéance fixée.

26 Cf. ses communiqués de presse de cette date ainsi que le projet de Modèle de prescriptions énergé-tiques des cantons (MoPEC) 2014, section E.

ser aux propriétaires privés ; suivant les circonstances, on peut même désor-mais se demander si la collectivité ne risque pas d’abuser de sa position domi-nante (cf. ci-après ch. B). Cette préoccupation transparaît dans certaines af-faires qui ont d’ores et déjà fait jurisprudence ; ainsi lorsqu’une commune pu-nit d’une amende très importante pour « refus de raccordement » et « bran-chement illégal » des propriétaires qui n’ont pas raccordé leurs bâtiments au thermoréseau de l’usine d’incinération des déchets, malgré que le règlement de la zone communale en question le prescrit conformément à ce que permet la loi cantonale sur l’énergie27 ; autre exemple à Lignières, où un référendum a été lancé contre un règlement adopté par le Conseil général qui oblige les pro-priétaires à raccorder leur bâtiment au réseau de chauffage à distance en cas de nouvelle construction ou de changement des installations techniques exis-tantes, sur la base de l’article 20 de la loi cantonale sur l’énergie28. (2) Qui dit raccordement dit taxes ; les réglementations introduisent des barèmes avanta-geux lorsque l’équipement choisi permet des améliorations énergétiques.

Enfin, même l’exploitation des bâtiments peut être un vecteur de la poli-tique énergépoli-tique ; ainsi lorsque la réglementation dispense les propriétaires de bâtiments Minergie (ou autres labels analogues) de l’obligation de tenir un décompte individuel des frais de chauffage et d’eau chaude29.