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Introduire dans la police des constructions des prescriptions relatives à l’énergie ne suffit pas : le développement des nouvelles techniques de produc-tion et consommaproduc-tion d’énergie a des conséquences pratiques/économiques qui appellent à leur tour des réglementations nouvelles ou l’application aux systèmes énergétiques de réglementations déjà existantes ; ces interventions juridiques sont nécessaires pour gérer les effets secondaires de la politique énergétique et arbitrer les conflits qu’elle génère. En voici quelques illustra-tions concrètes ; elles suggèrent que le « législateur énergétique » n’est pas tou-jours conscient des tenants et aboutissants de son action.

Les bâtiments énergétiques génèrent des immissions accrues, qui peuvent s’avérer excessives suivant les circonstances. Deux exemples :

1. Le bonus énergétique : il a pour effet que les dimensions du bâtiment bénéficiaire augmentent, surtout en hauteur dans les villes où l’ordre des constructions est très souvent contigu ; il en résulte pour les

27 Affaire relatée dans le quotidien 24 heures du 12 août 2015 (www.24heures.ch).

28 RSN 740.1 ; affaire relatée dans le quotidien Le Matin du 17 février 2016 (www.lematin.ch).

29 Cf. p. ex. art. 22E al. 2 de la loi genevoise du 18 septembre 1986 sur l’énergie (RSG L 2 30), art. 19 lit. b du règlement fribourgeois du 5 mars 2001 sur l’énergie (RSF 770.11) et art. 37 al. 1 lit. b OURE VS (RS/VS 730.100).

sins immédiats un impact négatif sur leur vue et leur ensoleillement (ombre portée). On comprend qu’ils soient particulièrement réactifs : ils ont admis ou contesté en vain le règlement de la zone et voilà qu’au stade de l’autorisation, ce régime n’est plus respecté, très souvent à leur détriment et qui plus est sans passer par la procédure prévue pour les dérogations. Le problème s’aggrave encore lorsqu’il y a cumul de bonus : cumul entre le bonus énergétique cantonal et le bonus énergé-tique communal (le droit vaudois admet ce cumul ; cf. arrêt N. 5) ; cu-mul entre le bonus énergétique et un autre bonus, par exemple pour la construction de logements à loyer bas ou modéré30.

2. Les panneaux solaires : lorsqu’ils sont installés en toiture et suivant les circonstances, ils réfléchissent fortement la lumière du soleil et ce rayonnement génère un effet éblouissant pour le voisinage. La juris-prudence a déjà établi qu’il s’agit là d’une nuisance au sens de l’article 7 alinéa 1 de la loi fédérale du 7 octobre 1983 sur la protection de l’environnement (LPE31), que la réglementation fédérale ne fixe pas de valeur limite et qu’il convient donc d’apprécier le caractère éven-tuellement nuisible ou incommodant de l’installation querellée en se fondant directement sur la loi (art. 13 et 15 LPE), qu’à cet effet l’autorité doit instruire l’état de fait d’office (arrêt N. 23).

Qui dit infrastructures énergétiques et mise en réseau dit presque inévita-blement (physiquement) sollicitation du domaine public : les réseaux se com-posent notamment de canalisations pour relier les consommateurs (bâtiments individuels) aux producteurs d’énergie et de chaleur (les centrales respective-ment les autres bâtirespective-ments lorsqu’ils alirespective-mentent aussi le réseau comme c’est le cas avec le système de la « RPC » [rétribution à prix coûtant] que la législation fédérale sur l’énergie a organisé). Or le domaine est public (toujours) et les centrales de production sont (très souvent) en main de la collectivité publique.

Il en résulte pour elle une position de monopole (de fait), qui devient indirec-tement un monopole de droit lorsque le législateur cimente cette position au travers des prescriptions d’aménagement du territoire et de police des cons-tructions ; ainsi lorsque le règlement d’une zone impose aux bâtiments de se raccorder à un chauffage à distance. Cette juridification d’un avantage de fait pose encore plus de questions lorsque dite collectivité est propriétaire écono-mique (en tout ou partie) de l’entité qui produit respectivement distribue l’énergie et la chaleur : (1) faut-il envisager un éventuel « abus de position do-minante » au sens de la législation qui protège la concurrence (art. 7 de la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur les cartels et autres restrictions à la concurrence

30 Le Conseil d’Etat vaudois a notamment proposé d’octroyer des bonus de droit à bâtir aux proprié-taires qui construisent des logements à loyer abordable, dans un contre-projet du gouvernement à une initiative de l’ASLOCA adopté en septembre 2014.

31 RS 814.01.

[LCart32]) ? On rappellera que les entreprises publiques sont aussi assujetties à cette réglementation (art. 2 al. 1 LCart), qu’elles ne sont immunisées contre ces exigences qu’en présence d’un ordre de marché de droit public, ce qui requiert une base légale claire ordonnant ou autorisant un comportement anticoncur-rentiel (art. 3 al. 1 lit. a LCart) et qu’un accord entre partenaires sur un marché est illicite s’il supprime toute concurrence efficace et n’est pas justifié par exemple par l’objectif d’exploiter plus rationnellement des ressources (art. 5 al. 1 et 2 lit. a LCart). Il y a fort à parier que les tribunaux auront à traiter de ces questions à l’avenir, si l’on en juge par l’accroissement important de la concur-rence dans la branche de l’énergie ; on voit mal que les collectivités publiques puissent conserver leur monopole à long terme ; nombre d’entre elles prati-quent ou envisagent d’ailleurs déjà des « PPP » (cf. ci-dessus ch. I). (2) Faut-il organiser des procédures officielles de mise en concurrence entre tous les fournisseurs d’énergie et de chaleur intéressés ? Le droit suisse est ici encore balbutiant : le droit des marchés publics ne s’applique pas aux concessions de travaux et de services ; l’article 2 alinéa 7 de la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur le marché intérieur (LMI33) est une disposition extrêmement controversée ; les législations cantonales qui imposent une mise en concurrence lorsque les collectivités publiques entendent déléguer leurs tâches à des tiers ne sont que rarement respectées34. On peut penser que la révision en cours du droit suisse des marchés publics changera la donne : elle se propose d’étendre le champ d’application de la législation (fédérale et cantonale) aux concessions de ser-vices publics.

Dans une perspective économique encore, qu’on ne se fasse pas d’illusion : les progrès et solutions techniques en matière d’énergie ne sont pas (ou pas seulement) le résultat d’investissements par des entreprises qui poursuivent un but idéal ; elles cherchent aussi à en tirer un profit financier. Cet objectif s’exprime dans leur action politique : leurs lobbies sont très actifs auprès des régulateurs, qu’il s’agisse des législateurs ou plus encore des organismes de normalisation et certification. L’Etat se doit d’en être conscient lorsqu’il récep-tionne ces normes au sein de l’ordre juridique et les impose aux propriétaires comme des règles de l’art de bâtir (cf. ch. IV).

En définitive, on aboutit au même point que dans bien d’autres domaines du droit public : l’obligation de coordonner des intérêts divergents, respecti-vement d’arbitrer entre eux et de fixer lesquels sont prioritaires. Dans sa con-tribution, Monsieur Eric Brandt explique comment l’autorité puis le juge doit accomplir cette tâche ; il illustre son propos avec des jurisprudences spéci-fiques à la construction énergétique, en particulier un arrêt à propos de la

32 RS 251.

33 RS 943.02.

34 Exemple : art. 107 al. 3 de la loi valaisanne du 5 février 2004 sur les communes (RS/VS 175.1).

lisation d’un immeuble solaire actif dont la toiture avait à cette fin une forme arrondie et que la commune considérait comme incompatible avec la régle-mentation35. Qu’il soit ici suggéré aux législateurs énergétiques de donner des indications concrètes sur la façon d’arbitrer les divers intérêts en présence, lorsqu’ils sont contradictoires au lieu de simplement empiler les objectifs d’intérêt public et de se laver ensuite les mains des problèmes que crée la mise en œuvre de la réglementation ; un exemple qui montre que c’est possible : les alinéas 3 et 4 de l’article 18a LAT à propos des panneaux solaires sur les toits fixent l’ordre de priorité entre la promotion de l’énergie solaire et la protection du patrimoine bâti ainsi que l’esthétique des constructions.

IV. La normalisation

Le phénomène de normalisation n’est pas propre au traitement de l’énergie dans la construction ; il s’y joue une partition bien connue en droit industriel en général et dans d’autres domaines techniques comme le droit financier, le droit sanitaire ou le droit pharmaceutique. Le secteur de l’énergie attire l’attention en raison de sa médiatisation actuelle et des procédures de labellisa-tion qui se sont mises en place.