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Si l’on prend un peu de hauteur dans l’observation légistique, une vue pano-ramique alimente un constat assez critique : toutes ces interventions légales en matière d’énergie composent un ordre juridique qui n’est guère constitué, pas organisé, voire confus, tant dans ses buts que dans ses vecteurs ; on peut même oser le néologisme de « désordre » juridique. Les développements qui suivent nourrissent cette affirmation de plusieurs points de vue.

On peut d’abord suggérer que la police de l’énergie dans la construction est opportuniste : les législateurs de tous les domaines touchant à la construc-tion modifient ponctuellement leurs prescripconstruc-tions lorsqu’ils entrevoient une possibilité de poser un jalon énergétique (cf. ci-après ch. III à propos du droit de la construction énergétique). Ce mode de faire est sans doute inévitable en raison de l’éclatement (vertical et horizontal) des compétences législatives, mais il aboutit à des solutions éclatées, des interventions à court terme et une augmentation des conflits de lois ; on en veut pour exemple le bonus énergé-tique : le législateur est enthousiaste car la solution est poliénergé-tiquement porteuse, mais sa mise en œuvre soulève quantité de problèmes connexes auxquels per-sonne n’a vraiment pensé ou voulu penser. Parfois, l’intervention législative tient plus du gadget que d’une politique régulatoire sérieuse ; ainsi, lorsqu’on impose aux propriétaires de résidences secondaires une commande par télé-phone de leur chauffage à énergie fossile afin d’éviter qu’ils le laissent en acti-vité en permanence plutôt que d’avoir froid pendant quelques heures à leur arrivée11.

Dès le moment où les événements la contraignent à agir (ainsi l’accident de Fukushima), la police de l’énergie dans la construction n’a pas de mémoire et

11 Art. 22 de l’ordonnance valaisanne du 9 février 2011 sur l’utilisation rationnelle de l’énergie dans les constructions et les installations (OURE ; RS/VS 730.100).

n’a pas de scrupules à ne pas en avoir. L’exemple des chauffages électriques est percutant : pendant des années, ils ont été promus par les autorités comme

« la » solution (à la crise pétrolière) ; ils sont aujourd’hui fortement déconseil-lés, voire simplement interdits ; ce changement s’inscrit dans le cours normal des choses en droit public : les circonstances changent, elles induisent un changement de réglementation ou un changement de la pratique administra-tive. Le problème apparaît lorsque l’on veut intervenir sur des bâtiments déjà construits : (1) la construction est très chère et les temps d’amortissement des investissements sont très longs. Ou même, les bâtiments en Suisse ne sont pas amortis, mais doivent au contraire prendre continuellement de la valeur afin de soutenir le système des crédits hypothécaires. (2) Ces données de base ren-dent les propriétaires allergiques à toute rétroactivité de la réglementation.

C’est la raison pour laquelle le peuple fribourgeois a accepté en 2012 le réfé-rendum contre la modification de la loi cantonale sur l’énergie qui voulait in-troduire une obligation de supprimer les chauffages électriques existants dans les vingt ans ; la nouvelle mouture de la loi a renoncé à cette obligation et pri-vilégie le rythme naturel des modernisations, sous la pression du marché im-mobilier12. (3) Le principe de la proportionnalité permet aux propriétaires de préserver leurs constructions en leur état initial (et autorisé), de les recons-truire dans cet état en cas de destruction, de les moderniser pour en maintenir la substance, voire de l’accroître (modérément) ; cette « garantie de la situation acquise » – principe jurisprudentiel désormais souvent codifié13 – vaut aussi pour les installations d’énergie et de chauffage des bâtiments ; elle est un frein à la rapidité des mises aux normes.

Malgré ses intentions plus que louables, la police de l’énergie dans la cons-truction se heurte aux mêmes problèmes que toute autre réglementation et n’échappe pas à la difficulté de fixer son champ d’application :

1. Champ d’application matériel : (1) quelles sont les constructions qui sont assujetties à la réglementation ? Un exemple : lorsque le législa-teur exige que les « bâtiments publics » montrent l’exemple (cf. ci-dessus ch. II.A), quels ouvrages désigne-t-il ? Ceux qui sont ouverts au public (comme les centres commerciaux) ? Ceux qui appartiennent à la collectivité publique uniquement ou aussi les immeubles des fonda-tions de droit public et autres institufonda-tions du même type ? Ceux qui sont inscrits dans un patrimoine administratif ou aussi dans un

12 L’article 15 de la loi sur l’énergie (RSF 770.1) est donc resté inchangé. Le canton de Vaud a égale-ment modifié sa loi sur l’énergie (RSV 730.01) au 1er janvier 2014. Suite à l’affaire fribourgeoise et aux menaces de référendum d’une association locale d’influence, il a finalement aussi renoncé à an-crer dans la loi une échéance pour l’obligation de modifier les chauffages (art. 30a de la loi vau-doise).

13 Exemple : art. 80 de la loi vaudoise du 4 décembre 1985 sur l’aménagement du territoire et les constructions (LATC ; RSV 700.11).

moine financier ? Un deuxième exemple : les prescriptions sur la con-sommation d’énergie sont-elles aussi applicables aux constructions modulaires, par exemple les « cabanes » de chantier ? La Confédéra-tion serait-elle compétente pour imposer des normes aux cantons ? Sans doute que non en l’état de l’article 89 alinéa 4 Cst. (cf. ci-dessus ch. II.A). Les règles de la police cantonale des constructions ne sont pas non plus applicables si ces constructions ne sont pas assujetties à auto-risation ; c’est la raison pour laquelle certains cantons ont adopté une disposition tendant à combler cette lacune en matière d’énergie ; ainsi l’article 63 de la loi bernoise du 15 mai 2011 sur l’énergie (LCEn14) :

« Le maître d’ouvrage doit veiller lui-même au respect des exigences minimales en matière d’utilisation de l’énergie lors de l’exécution d’un projet non soumis à l’octroi du permis de construire ». (2) En cas de modification d’un bâtiment, peut-on en profiter pour lui imposer une mise aux normes sur ses éléments énergétiques ? Le législateur devrait répondre à cette question car les immeubles sont régulièrement réno-vés ou transformés ; il pourrait s’inspirer du régime utilisé en matière de protection contre les nuisances ou de prévention des risques sis-miques : la nouvelle norme (énergétique) s’applique à l’ensemble de la construction si l’impact de l’intervention technique est tel – du point de vue de l’aspect traité par ladite norme (l’énergie) – qu’il se justifie de considérer le projet comme une nouvelle construction (cf. par exemple art. 8 de l’ordonnance fribourgeoise du 17 mars 2009 d’exécution de l’ordonnance fédérale sur la protection contre le bruit [OEOPB]15). L’article 9 alinéa 3 lettre d LEne semble adopter cette ap-proche lorsqu’il impose aux cantons d’adopter des prescriptions pour des « rénovations d’envergure ».

2. Champ d’application temporel : on connaît le problème des lois de protection de l’environnement qui changent en cours de procédure d’autorisation (y compris devant les instances de recours) ; le Tribunal fédéral a développé une pratique constante : elles sont d’application immédiate dès l’instant où elles obéissent à un intérêt public prépon-dérant16. Peut-on dire que tel est aussi le cas pour les prescriptions qui imposent aux bâtiments de rationaliser leur consommation d’énergie, de donner la priorité aux énergies renouvelables ou de se mettre en ré-seau ?

La police des constructions est et a toujours été de compétence cantonale ; on sent cependant que le thème de l’énergie est un moyen d’outrepasser cette

14 RSB 741.1.

15 RSF 814.11.

16 Cf. parmi d’autres ATF 125 II 591 cons. 5e/aa, JdT 2000 I 761.

compétence : les interventions du législateur fédéral sont encore ponctuelles, mais elles se multiplient et dérogent ainsi à chaque fois un peu plus au prin-cipe constitutionnel rappelé plus haut (ch. II.A) : trois exemples : (1) l’article 18a de la loi fédérale du 22 juin 1979 sur l’aménagement du terri-toire (LAT17) permet depuis le 1er mai 2014 aux propriétaires de bâtiments de construire sur le toit de ces derniers des installations solaires sans autorisation (al. 1) et l’intérêt à l’utilisation de l’énergie solaire sur des constructions exis-tantes ou nouvelles l’emporte en principe sur les aspects esthétiques (al. 3).

(2) En vertu de l’article 16a alinéa 1bis LAT, les installations de production d’énergie à partir de la biomasse peuvent être déclarées conformes à la zone agricole et autorisées dans une exploitation agricole si la biomasse utilisée est en rapport étroit avec l’agriculture et avec l’exploitation ; ce qui pour la petite histoire pousse à se demander si la production d’énergie renouvelable peut être considérée comme un produit agricole au sens de la législation sur le droit foncier rural18 ! (3) L’article 9 LEne impose aux cantons d’édicter des prescrip-tions sur l’utilisation de l’énergie dans les bâtiments ; parmi celles-ci, le législa-teur fédéral va jusqu’à spécifier que pour les bâtiments qui satisfont aux exi-gences des labels Minergie ou analogues, une isolation périphérique jusqu’à 20 cm peut ne pas être prise en compte dans l’application des règles de hau-teur et de distance (al. 3 lit. e). Plus ces impulsions du législahau-teur fédéral se multiplient, plus le nombre de juristes qui se demandent si le temps n’est pas venu d’édicter une loi fédérale sur les constructions augmentera19.

III. Le droit de la construction énergétique

Voilà un néologisme qui peut paraître étrange ; il entend exprimer l’idée que le souci de bonne gestion de l’énergie est de plus en plus présent dans tous les chapitres du droit matériel de la construction. Il ne s’agit par contre pas de suggérer que les autorités de police de la construction devraient se montrer plus énergiques ou que ces normes sont à même de dynamiser la branche éco-nomique de la construction.