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2. La mise à mort de la travestie

2.2. Un motif à succès : les Amazonomachies

Pour mémoire, le terme « Amazonomachie » sert à désigner les scènes de combat dans lesquelles s’opposent héros et Amazones. Engageant des guerriers masculins face à ce peuple de guerrières viriles, ces textes et images d'Amazonomachies attestent d'un goût (pour le coup ancien) de ces guerres de genres. Ce motif est, à ce stade de l'étude, devenu récurrent , mais sans doute n’apparaît-il aussi spectaculairement que 442 dans les scènes de bataille face aux Amazones qui se multiplient dans les arts grecs . Et, si l'on se penche 443 vers l'iconographie archaïque, la plus ancienne attestation d'une telle scène, où un homme armé s'oppose à une Amazone (aussi armée), est un bouclier votif en terre cuite daté des années 700 avant J.-C. Il est alors 444 notable de relever que rien ne permet d’identifier ni d’individualiser les deux personnages, si ce n’est par leur genre. Cette absence d’individuation rend état d’un motif où, avant le héros, il s’agit bien d'une guerre de genre, opposant l’homme (dit le vrai) à la femme (dite la travestie).

Néanmoins, au-delà de ce motif, s’est développé celui du combat engageant les Amazones face à un héros masculin individualisé. Ce dernier s'est probablement développé en parallèle, puisque nous pouvons sans doute l'attester à partir de l’Iliade d’Homère, texte daté du VIIIe siècle avant J.-C. Le poème épique 445 contient en effet deux mentions des « Amazones viriles », dont l’une prend place au cœur du récit de la geste de Bellérophon — l’ancêtre de Diomède — qui, après avoir tué la Chimère et les Solymes, « massacra les viriles Amazones. » Ici nous trouvons l’une des premières attestations écrites dans la littérature d'une 446 Amazonomachie. Le massacre du peuple de guerrières entre dans le parcours héroïque de Bellérophon qui enchaîne différents exploits, débarrassant le monde des monstres et des monstresses parmi lesquelles s’inscrivent ces femmes travesties. Cette mention succincte au sein de l’Iliade laisse entendre le rôle qu’a cette mise à mort des Amazones, devenant une preuve d’andreia du héros, mais elle rend aussi compte du cf. Supra p.46-48 : Rappelons-nous notamment des femmes de Lemnos qui, dans un accès de jalousie, ont tué « tout

442

le sexe mâle ».

cf. Annexe 2, n°8 et n°9.

443

Thomas H. Carpenter, Les mythes dans l’art grec, op. cit., p.125.

444

Et il ne s’agit que d'une datation pour la mise à l’écrit, mais nous savons que ces récits ont d’abord été transmis à

445

l’oral, nous permettant de soumettre l'idée que ces motifs d’Amazonomachie — que ce soit face à l'homme en général ou face à un héros — sont bien plus anciens.

HOMÈRE, Iliade, Chant VI, v.186.

446

développement nouveau que connaissent ces Amazones. Car, suivant l'analyse de Josine Blok, l’intégration du motif du massacre des Amazones dans la geste de Bellérophon semble un ajout de l’aède de l’Iliade qui, voyant le thème des guerrières viriles se développer, à chercher à l'intégrer dans le parcours héroïque de Bellérophon . En ce sens nous pourrions ajouter qu'il n’existe aucune représentation — du moins arrivée 447 jusqu’à nous — de l’Amazonomachie de Bellérophon dans les arts grecs (des périodes archaïque et classique) , un silence iconographique se laissant peut-être entendre comme un désintérêt pour un motif 448 récent, n’ayant pas eu le temps d'intégrer la mémoire collective.

Car au-delà de Bellérophon, d'autres Amazonomachies se sont développées avec plus de succès autant dans les arts iconographiques que les arts littéraires. Ainsi est apparu dès l'époque archaïque le combat d'Achille face à Penthésilée dont l’art vasculaire nous donne une image frappante du récit raconté dans une épopée du VIIe siècle avant J.-C. (malheureusement perdue pour nous) . De même, nous pouvons rappeler 449 le succès qu’a connu l'Amazonomachie de Thésée, le motif de la bataille d'Athènes prenant de l'ampleur aux VIe et Ve siècles avant J.-C. Et si ce dernier apparaît plus tardivement, « comme un mythe fabriqué au 450 moins en partie de manière délibérée par les Athéniens » , il se montre également comme une émulation 451 des Amazonomachies qui le précèdent, dont la plus célèbre est, non celle d'Achille, mais d’Héraclès. Son combat face aux Amazones est, en effet, ancien : la plus ancienne attestation date du VIIe siècle avant J.-C., l’Amazonomachie est représentée sur un alabastre corinthien, figurant trois Amazones face à Héraclès, lui-452 même accompagné de deux compagnons . S’il s'agit de la première figuration du motif, ce n'est sûrement 453 pas la dernière : l’Amazonomachie d’Héraclès est le second thème le plus populaire de l'art vasculaire autour du héros — après son combat contre le Lion de Némée . Ce motif parcourt l'ensemble du VI454 e siècle avant J.-C., son apogée tournant autour de 525 avant de décliner après 500 avant J.-C., nous laissant néanmoins plus de quatre cent vases représentant l’Amazonomachie héracléenne . Vaste production qui révèle le 455 succès qu'a connu ce motif, les Grec·que·s s'étant plu à observer le massacre de ces femmes viriles par leurs héros favoris.

Néanmoins, le développement du motif de l’Amazonomachie d'Héraclès a dû se faire en concomitance avec l’épanouissement du personnage héroïque lui-même : prenant progressivement les allures du héros 456 panhellénique, se construit en même temps la geste mythique qui fait de lui, à l'époque hellénistique, ce

« bienfaiteur de l'ensemble du genre humain » . Ainsi prennent forme les Travaux du héros ainsi que ses 457 différents exploits, parmi lesquels le massacre des Amazones — qui joue, de nouveau, un rôle dans le parcours héroïque de l'homme. Et si l'on suit l’analyse de Josine Blok, il est probable que cette

Josine Henriëtte BLOK, The Early Amazons : Modern and Ancient Perspectives on a Persistent Myth, op. cit., p.347,

447

et plus largement se référer au « Chapter four : Priamos and Bellerophontes », p.303-347.

Thomas H. CARPENTER, Les mythes dans l’art grec, op. cit., p.108.

448

cf. Supra p.33-34 ; cf. Annexe 1, n°3 et Annexe 2, n°6.

449

cf. Supra p.34-36.

450

Adrienne MAYOR, Les Amazones. Quand les femmes étaient les égales des hommes (VIIIe siècle av. J.-C. - Ier siècle

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apr. J.-C.), op. cit., p.324-325.

Un alabastre est un vase à parfums caractérisée par une forme allongée et un col étroit.

452

Thomas H. CARPENTER, Les mythes dans l’art grec, op. cit., p.125.

453

Ibid., p.126.

454

Ibid.

455

Josine Henriëtte BLOK, The Early Amazons : Modern and Ancient Perspectives on a Persistent Myth, op. cit., p.386.

456

DIODOREDE SICILE, Bibliothèque historique, III, 55, 3.

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Amazonomachie héracléenne dérive d'une forme plus ancienne d’Amazonomachie dans laquelle est engagée une armée d'hommes face à une armée de femmes — renouant avec la guerre des genres des débuts. Et ce 458 ne serait que progressivement que l’Amazonomachie d'Héraclès se serait distinguée de cette bataille générale contre les Amazones — ajoutant du lustre héroïque au personnage, lui qui vainc ces femmes viriles. Malgré tout, comme nous l'avons déjà avancé , le parcours de ce mythème ne s'arrête pas là puisque, autour de ce 459 noyau archaïque, s'est ensuite agrégé le mythe de la ceinture d’Hippolytè.

Ce dernier est peut-être tardif, néanmoins il n'en est pas moins riche. Bien au contraire, puisque le destin de l'Amazone Hippolytè fait l’objet de différentes versions riches de sens. En effet, la première mention attestée d’Hippolytè en opposante directe d'Héraclès se trouve chez Apollonios de Rhodes, dans ses Argonautiques datés du IIIe siècle avant J.-C. Et, au contraire de la version (devenue) canonique que nous transmet le Pseudo-Apollodore au Ier siècle après J.-C., Apollonios fait état d'une variante qui a de quoi nous surprendre :

Ce même jour, [les Argonautes] doublèrent de loin le cap des Amazones qui avoisine un bon port.

C'est là que s'était avancée jadis la fille d’Arès, Mélanippé, quand le héros Héraclès la prit dans une embuscade ; pour rançon de sa sœur, Hippolytè lui remet son ceinturon ciselé (zôstêra panaiolon) et il la renvoya sans lui faire de mal. 460

Se révèle ici une version que l’on peut dire pacifique, puisque si Hippolytè sort vaincue de sa rencontre avec Héraclès, elle n’en meurt pas pour autant — perdant simplement sa ceinture. En effet, aucun combat n'est engagé, si ce n'est une ruse utilisée par Héraclès pour capturer la sœur de la reine des Amazones pour s'en servir en tant que monnaie d'échange. Pratique portant en elle-même une certaine violence, reconnaissons tout de même qu'il n'y a (pour une fois) aucune effusion de sang. Certes, ce ceinturon (zôstêr) renvoie à la ceinture masculine, celle qui porte les armes et, par extension, symbolise l'armure guerrière.

Soit, en lui retirant ce zôstêr, Héraclès retire à l’Amazone son armure — le zôstêr devenant métonymie de celle-ci —, et par extension, lui enlevant toute force de combat, il maîtrise la part guerrière (et masculine) d’Hippolytè . Néanmoins, ce contrôle sans aucun combat semble moins spectaculaire, et cela a sans doute 461 joué dans la préférence des écrits pour une version intégrant une véritable Amazonomachie sanglante.

Car la version la plus populaire du mythe est celle où est mise à mort Hippolytè, du moins les Amazones.

En ce sens, nous pouvons nous tourner vers un auteur plus tardif où le Neuvième Travail d'Héraclès est raconté à deux reprises : Diodore de Sicile reprend, à la fois dans les livres II et IV de sa Bibliothèque historique, le mythe des Amazones et leur rencontre avec Héraclès lors de sa conquête de la ceinture d’Hippolytè. Ainsi, lorsqu’il s'intéresse au peuple barbare des Amazones au cours du Livre II, racontant comment elles ont gagné gloire et puissance, il rapporte également comment Héraclès « tailla en pièces l'armée des Amazones et captura Hippolytè avec sa ceinture, brisant complètement cette nation. » Ici nous 462 retrouvons le thème de la capture, cette fois mêlé à une véritable Amazonomachie, Héraclès se laissant aller

Josine Henriëtte BLOK, The Early Amazons : Modern and Ancient Perspectives on a Persistent Myth, op. cit., p.394.

458

cf. Supra p.32-33.

459

APOLLONIOSDE RHODES, Argonautiques, Chant II, v.964-969.

460

Josine Henriëtte BLOK, The Early Amazons : Modern and Ancient Perspectives on a Persistent Myth, op. cit.,

461

p.425-426.

DIODOREDE SICILE, Bibliothèque historique, II, 46, 4.

462

à un véritable massacre des Amazones . Un exploit développé au cours du Livre IV qui s'attarde plus 463 spécifiquement sur la vie du héros et ses Travaux — et notamment la prise de la ceinture d’Hippolytè :

Il leur demanda d'abord la ceinture qu'on lui avait ordonné de rapporter ; mais comme elles n'y consentaient pas, il engagea un combat contre elles (sunêpse makhên autais). Le gros de leur nombre s'opposa aux nombreux hommes d’Héraclès, mais les Amazones les plus valeureuses (hai timiôtatai) se placèrent en face d'Héraclès et entreprirent un combat acharné (makhên karteran). 464

Cet extrait rend compte, d'une part, de la virilité des Amazones — engagées dans des combats virils (les makhai dans lesquelles elles font preuve de force et de fermeté, de karteros) —, et d’autre part, de l’Amazonomachie héracléenne. Tandis que le gros de ses troupes se battent avec les Amazones anonymes, le héros fait face aux plus valeureuses, Diodore de Sicile leur faisant accédant au statut d'héroïnes individualisées par leurs noms. S’enchaînent Aella, Philippis, Prothoè, Eribœa, Célainô, Eurybia, Phoibé, Déjanire, Astéria, Marpè, Tecmessa et Alcippé. Ces combats successifs, qui dans le texte donnent lieu à une description assez conséquente, rendent probablement compte du plaisir que l'on trouvait à lire le massacre des Amazones par Héraclès. Héros civilisateur, il maîtrise ces femmes viriles par les armes tout en assurant lui-même sa propre supériorité, sa propre aristeia. Notons toutefois que, de nouveau, la fin du récit se conclut par un accord d’échange entre les Amazones et Héraclès : capturant Mélanippé, il ne la délivre qu'après avoir obtenu la ceinture en rançon . Reste que, dans l'économie du récit de la conquête de la zôstêr 465 d’Hippolytè, cet accord d’échange (amené par la ruse et la capture d'une Amazone) n'arrive qu'à la suite du combat contre le peuple de guerrières. Ainsi sont d'abord mises en avant l'Amazonomachie et la mise à mort de la travestie.

De ces variations ressort finalement que la mort de l'Amazone est bien ce qui plaît, un meurtre par lequel l’homme rétablit l'ordre (dit) naturel des choses, tout en montrant sa valeur héroïque et sa supériorité sur la femme (virile ou non). En cela s’explique la multiplication de ce motif au sein du mythe des Amazones au cœur duquel se place toujours leur mort. Que Diodore de Sicile traite des Amazones du Thermodon ou qu'il s'intéresse à un peuple nommé « Amazones de Libye », ce nom condamne ces femmes à mourir par la main du héros (masculin). Il suffit de se tourner vers le Livre III de la Bibliothèque historique où Diodore raconte l’histoire de ce second peuple d’Amazones, plus ancien que celui du Thermodon. Leur description ne diffère pas des Amazones d’Asie Mineure, étant elles aussi viriles et capables d’actes d’andreia. Néanmoins, leur virilité est dédoublée par l'émergence d'un second peuple de femmes qui, voisin des Amazones de Libye, fait

D’ailleurs, il est doublé par la suite par une guerre entre les Amazones survivantes et les peuples barbares

463

limitrophes, amenant à effacer jusqu'au nom des Amazones, cf. DIODOREDE SICILE, Bibliothèque historique, II, 46, 4.

DIODOREDE SICILE, Bibliothèque historique, IV, 16, 2.

464

Au contraire du Livre II de la Bibliothèque historique où Héraclès capture Hippolytè, ici, il capture une Amazone

465

nommée Mélanippè (qui rappelle la sœur d’Hippolytè des Argonautiques d’Apollonios de Rhodes). Sans entrer dans une analyse approfondie, nous pouvons peut-être avancer l'idée que cette divergence entre les deux livres découlent de la posture de Diodore : historien, il est également un compilateur, et peut-être s’est-il servi d’une source différente entre les livres II et IV pour traiter du mythe de la ceinture d’Hippolytè.

également acte de virilité : le peuple dit des Gorgones . Néanmoins, qu'importe le nombre de cités qu'elles 466 assiègent, de peuples qu'elles soumettent , ces femmes viriles sont toujours vaincues par l’homme : 467

Et les Gorgones, qui par la suite, avaient rétabli leur puissance, furent à nouveau vaincues, cette fois par Persée, le fils de Zeus, sous le règne de Méduse ; pour finir, elles furent exterminées (anairetheisas) par Héraclès, ainsi que le peuple des Amazones, lorsque ce héros, dans son expédition vers les régions du Couchant, érigea les stèles de Libye, estimant qu'il serait scandaleux (deinon), pour lui qui avait résolu d'être le bienfaiteur de l'ensemble du genre humain, de tolérer que certains, parmi les peuples, fussent gouvernés par des femmes (gunaikokratoumena). 468

Gorgones comme Amazones sont ainsi mises à mort par Persée et Héraclès. Si, dans le récit des Gorgones, nous voyons l'influence evhémériste de Diodore — tentant une rationalisation du mythe —, nous pouvons également percevoir comment Persée, héros grec, se voit ajouter une Amazonomachie à sa geste : certes, il ne se bat pas face aux Amazones, néanmoins il fait ici face à un peuple de femmes viriles qui sont fortement similaires au peuple des filles d’Arès. En cela, cette « Gorgonomachie » ajoute au parcours héroïque de Persée un nouvel éclat, lui aussi relevant de ces héros masculins civilisateurs, redressant l'ordre du monde en le débarrassant de ces monstresses que représentent les femmes travesties. Car cette idée est bien en arrière-plan de chaque mise à mort de femmes viriles, et elle est parfaitement exprimée dans cet extrait où Héraclès, en tant que fameux « bienfaiteur de l'ensemble du genre humain », décide de faire périr l’ensemble de ces peuples de femmes viriles. Cette décision repose sur le fait qu'elles détiennent le pouvoir, instituant une gynécocratie, là où l’ordre veut que les peuples soient gouvernés par des hommes, instituant une androcratie. Ce travestissement du pouvoir mené par les Amazones (et les Gorgones) appellent donc une condamnation qui passe par leur mise à mort. Dès lors, le pouvoir retourne aux mains de l'homme qui a maîtrisé la travestie.

Car là se résume sans doute ce motif de l'Amazonomachie et ses avatars à travers les arts grecs, il ne s’agit que d’une maîtrise de la femme virile, elle qui se travestit pour prendre les armes masculines. Si elle est mise à mort, c'est qu’elle empiète sur le terrain de l'homme et, en tant que telle, elle meurt comme un homme, par le bronze.

*

Au fil de ces pages se dessine ainsi un terrible destin pour les femmes viriles. Si elles parcourent les arts grecs, rares sont leur fin heureuse. Au contraire, elles ne trouvent au bout du chemin que leur mort, tuées par les hommes ayant pris les armes contre elles. Si la protection de la divinité joue un rôle dans l’aboutissement ou non de la violence portées contre elles, il semble qu’aucune travestie n’échappe à celle-ci. Les Bacchantes sont donc pourchassées par les hommes qui tentent de les forcer à rejoindre les chemins des oikoi ; une tentative de faire renouer les Bacchantes avec leur féminité traditionnelle qui échoue et qui pousse Penthée à prendre les armes contre elles. Si Dionysos empêche finalement le roi de tuer ses servantes, aucune

cf. DIODOREDE SICILE, Bibliothèque historique, III, 52, 4 : « Il y a donc eu en Libye plus d'une race de femmes qui

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étaient belliqueuses (makhima) et dont la bravoure virile (andreia) a suscité une grande admiration. Ainsi la tradition nous enseigne que le peuple des Gorgones, contre lequel Persée, dit-on, fit campagne, était d'une vigueur (alkê) remarquable : puisque ce fils de Zeus, qui était le plus vaillant des Grecs de son temps, a accompli le plus grand de ses exploits en faisant campagne contre elles, ce serait une preuve de la supériorité et de la puissance des femmes dont je viens de parler. »

cf. Ibid., III, 53-55 où sont racontés les exploits guerriers des Amazones de Libye, notamment face aux Atlantes et

467

aux Gorgones.

Ibid., III, 55, 3.

468

protection divine n’empêche Créon de condamner Antigone, mourant pour s'être révoltée face à la loi de l'homme — révolte pourtant induite par son respect de la loi divine. De même, aucune divinité ne s'oppose à Oreste lorsque celui-ci met à mort sa propre mère — au contraire, il est guidé par Apollon. Se joue derrière ces mises à mort de femmes viriles une tentative de rétablir l'ordre, de reprendre le contrôle de ces femmes qui travestissent leur nature. Une tentative qui s’incarne pleinement dans le motif des Amazonomachies, aucun mythe d’Amazones n’échappant à la violence et leur mise à mort par les hommes. Thème apparu dès l'époque archaïque où il semble connaitre un franc succès, il parcourt l'ensemble de la littérature grecque et, plus spécifiquement, l'ensemble des parcours héroïques. Cela révèle sans doute tout un arrière-plan initiatique derrière cette mise à mort de la femme virile, l’homme prouvant sa supériorité et attestant de sa propre andreia en vainquant celle de la travestie. Néanmoins, pour nous, ces meurtres sont d’abord synonymes d'une tentative de contrôle : de même que le rite maîtrise le travestissement dans la réalité cultuelle, le massacre de la travestie maîtrise celle-ci dans le cadre du mythe . Un contrôle de la femme aux 469 ardeurs masculines qui passe avant tout par sa mort, frappée par ce bronze viril qu'elle tente de s’approprier, l’homme surmontant par là sa nature masculine . Néanmoins, les mythes n'ont pas oublié qu'elle est une 470 femme avant tout, avec une nature féminine qui appelle alors à une autre forme de domination.