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Où il est monstre, en quelle significa- significa-tion prennent les Libertins le mot de

regeneration : et au contraire, ce qu'il emporte selon la vérité de l'Escriture.

Ilz confessent bien avec nous, que nous ne pouvons estre enfans de Dieu, que premièrement ne soyons renaiz. E t de prime face, il sembleroit advis à les ouyr parler, que nous fussions d'un . commun accord. Car ilz useront do parol! es authen-tiques à merveilles, pour magnifier la regeneration.

E t de faict, quand on oyt resoner ces motz en leur bouche: Que si nous sommes de Dieu, il faut que le vieil homme soit crucifié en nous, que le vieil Adam meure, que nostre chair soit mortifiée, que [page 125] le monde soit destruict, que le péché n'y1^ regne plus: qui n'y seroit abusé? Car c'est la pure doctrine de l'escriture, et le principal poinct de la vie Chrestienne : tellement que quand à ces motz, il n'y a que redire, et les anges du ciel ne sau-royent mieux parler. Car Dieu luy-mesme nous a enseigné de parler ainsi. Mais quand ce vient à deschiffrer, qu'ilz veulent entendre par ces motz, ilz gastent tout. Alors ilz commencent à dégorger leurs puants et exécrables blasphemes, pour ren-verser, ie ne dis pas toute crainte de Dieu, et sainc-teté de vie, mais toute honnessainc-teté, qui est mesme inviolable entre les P a y e n s : et ensemble lâcher la bride à chacun, et donner congé de se prostituer à toutes concupiscences brutalles. Car voicy le principe qu'ilz prennent: c'est que la regeneration est de revenir en Testât d'innocence, auquel estoit Adam devant qu'avoir péché. Or cest estât de innocence, ilz le prennent à ne voir goutte entre le blanc et le noir: pource que le péché d'Adam a esté de manger [page 126] du fruict de science de bien et de mal. Ainsi mortifier le vieil Adam, c'est de ne plus discerner, comme si on avoit congnois-sance du mal, mais se laisser mener par son sens

1) in nobis.

201 D E S LIBERTINS. 202 naturel, comme un petit enfant. Mesmo ilz

appli-quent a ce propos, les passages où la simplicité enfantile nous est recommandée. Comme si l'esprit de Dieu en nous commandant d'estre semblables à petis enfans, n'adioustoit pas quant et quant, que ce n'est pas en sens qu'il leur faut ressembler, mais en mansuétude, en sincérité, % en simplesse (1 Cor. 14, 20). Comme si d'autre part il ne nous exhortait point à croistre en Christ, iusque à ce que soyons venus en eage de perfection (Ephes.

4, 13 ss.). Comme s'il ne requérait point, que nous abondions en prudence spirituelle (Matth. 10, 10).

Comme s'il ne nous advertissoit point, que nous ne devons pas cheminer inconsidérément, mais comme bien entenduz, en cognoissant quelle est la volunté de Dieu (Ephes. 5, 17). Voudrait on expositions plus claires, pour redarguer l'impudence de ces meschans, en ce qu'ilz osent ainsi depraver l'escri-ture? [page 127] Revenons donc à leur principal propos. S'ilz voyent un homme qui face difficulté de malfaire : ') O Adam, disent ilz, tu y voy encoire.

L'anchien homme n'et nyen encoire cruchifié en ty.2) S'ilz voyent un homme craindre le iugement de Dieu: Tu sens, disent-ilz, encoire le gou do la pumme. Vuarde bien que che morcheau ne t'es-tranle le gosié.s) Si un homme pensant à ses fautes en a desplaisance, et en est contristé, ilz disent que le péché regne en luy, et qu'il est detenu captif par le sens de la chair. A fin qu'on ait plus facile intelligence de leur villanie, il est à noter que le péché, le monde, la chair, le vieil homme, ne leur est autre chose que ce qu'ilz appellent cuider. Ainsi moyennant qu'on ne cuide plus, on ne pèche plus, à leur compte. Or en ce cuider ilz comprennent tout remors de conscience, tout scru-pule: brief, tout le sentiment qu'a un homme du iugement de Dieu. Yoila, dis-ie, la belle regenera-tion qu'on apprent en leur eschole: de ne plus estre touché en son cueur de rien qui soit-: mais vivre à plaisir, sans difficulté, [page 128] Ceux qui ne font plus de cas du péché, ilz les appellent nou-velles creatures, pource qu'ilz sont délivrez du cui-der, et par ainsi n'ont plus de péché en eux. Voila où ilz constituent tout le benefice de la redemption Mete par Iesus Christ: c'est qu'il a destruict ce cuider, qui estoit entré au monde par la coulpe d'Adam. Quand ce cuider est aboly il n'y a plus de Diable ne de monde, selon leur opinion. Car ilz n'ont autre ennemy qui les tormente, que cestuy là. Dont il appert qu'ilz ont bonne convenance

1) mali conscientia moveri.

2) O Adam,, tu y vois encore (adhuc aliquid eernis) ? Le vieil homme n'est pas encore crucifié en toi?

3) Tu sens encore le goût de la pomme? Garde-toi bien que ce morceau ne t'étrangle le gosier.

avec Sathan, et les puissances d'enfer: veu qu'ilz n'en font point de cas. Or l'esprit de Dieu nous parle bien en autre sorte de la regeneration. Il est vray que quand nous n'aurions nulle escriture, la raison humaine nous suffirait desia bien. l e ne dis pas la raison laquelle est condamnée pour follie, à cause de l'aveuglement qui est en nous par le péché. ') Mais i'entens le sens que Dieu a imprimé de nature en noz cueurs: à fin de rendre les infi-dèles inexcusables, et leur oster [page 129] toute couleur d'ignorance. Ce sens donc naturel qui est comme un edict engrave en nous de la main de Dieu, nous dicte et monstre assez, que la vie saincte et vertueuse, que chacun confesse estre le fruict de la regeneration Chrestienne, n'est pas ignorer le bien et le mal: mais plustost discerner entre l'un I et l'autre, pour se garder pur de toute iniquité, et i avoir bon tesmoignage de sa conscience devant

Dieu, et de ses œuvres devant les hommes. Voila le sens naturel que Dieu a donné, comme diet sainct Paul, des le commencement à tous les Payens (Rom. 2, 15). Touchant de l'escriture, elle nous enseigne bien encor plus clairement, quel est Testât des régénérez. Ce ne est pas pour nous rendre nonchallans, en suyvant sans discretion ce qui nous sera à gré: mais au contraire pour nous rendre plus vigilans que iamais, et de cheminer avec plus grand prudence et solicitude qu'auparavant. Car elle nous admoneste que le diable nostre ennemy, est tousiours après, circuissant pour [page 130] trou-ver quelque proye (1 Pierre 5, 7): et pourtant que nous devons estee tousiours au guet, de peur qu'il ne nous surprenne: que nous devons résister à ses tentations (Ephes. 6, 12): semblablement qu'il nous faut avoir guerre continuelle contre nostre chair et les concupiscences vitieuses, qui nous incitent à mal (Gai. 5, 17): que le péché habite en nous, au-quel il nous convient résister. Ce n'est pas aussi pour nous endormir, à ce que nous n'ayons plus aucun remors, ne desplaisance de noz fautes, veu qu'elle dit que le iuste s'accuse soymesme, et pro-nonce l'homme bien heureux quand il solicite son cueur à crainte, réduisant en memoire le iugement de Dieu, pour s'humilier et se tenir en bride (Prov.

28, 14). Mais encor pour avoir une brieve et claire definition du total, la doctrine de l'escriture est, que la regeneration consiste en penitence. Car penitence, à, proprement parler, n'est autre chose que de renoncer à nous mesmes, pour estre nou-velles creatures à vivre selon Dieu. Or chacun sait que cela emporte: Si c'est pour [page 131] faire bonne chère, sans nous soucier de rien,2) en

chan-1) par le péché, manque dans la traduction.

Ü) sans nous soucier de rien, est omis dans la traduction.

203 CONTRE LA SECTE 204 géant les noms des choses: ou bien de faire force

ou violence à nostre couraige, pour le retirer de son inclination naturelle, et le réduire en l'obéis-sance de Dieu, et nous redarguer en toutes mau-vaises affections. Mais pour éviter prolixité, en la-quelle nécessairement i'encourrois voulant desduire ceste matière au long, ie produiray seulement quel-ques tesmoignages de l'escriture tant evidens qu'il n'y aura nul si idiot, qui n'entende et ne voye à l'œil, que ce mot de regeneration, comme en abu-sent ces meschans, est aussi contraire à la vraye regeneration Cbrestienne, que le feu à l'eaue. Pour le premier, au lieu de ce qu'ilz babillent, que l'homme Chrestien se doit laisser mener à son af-fection, sans plus voir le péché : sainct Paul exhorte tous Ohrestiens de mortifier leurs membres terres-tres, assavoir, comme aussi il l'expose, les concupis-cences mauvaises, comme paillardise, avarice, ambi-tion et semblables (Col. 3, 5 ss.). Pour les faire craindre, [page 132] il les renvoyé au jugement de Dieu, disant que son ire vient sur les rebelles pour telles choses. Il leur commande de se renouveler de iour en iour, renonceant au vieil homme (Ephes.

4, 23). H leur remonstre qu'ilz doyvent cheminer sobrement comme enfans de lumière. Il les adver-tist de ne se laisser point décevoir de parolles do flatteries (Ephes. 5, 6 ss.). Il les instruict de che-miner en leur vocation, en crainte et tremblement (Phil. 2, 12; Ephes. 4, 1). Il leur reduict en me-moire qu'ilz ne sont point appeliez à immondicité, mais à sanctification (1 Thess. 4, 7). Ces exhorta-tions sont si communes en l'escriture que rien plus, de nous destourner du mal, et de bien faire. Et de faict, comme i'ay diet, qu'est ce que nostre seig-neur a commandé a ses Apostres de prescher, sinon penitence et remission des péchez (Luc 24, 47)? Et ce, non pas pour un iour, ou de premiere entrée seulement, mais iusque en la fin. Et pourtant sainct Paul voulant protester qu'il s'est deuement acquité de son office, diet qu'il n'a cessé d'enseigner l'un et l'autre, tant entre les [page 133] Iuifz qu'entre les G-entilz (Act. 20, 21). Parquoy que tous ceux qui se veulent tenir à la pure vérité de Dieu, ad-visent de continuer tout le temps de leur vie en ceste doctrine de penitence: qui emporte, comme sainct Paul le monstre, *) que en la vertu de l'es-prit de Dieu, et par sa grace, nous mortifions les œuvres de la chair (Rom. 8, 13): que le péché ne regne point en nous (Rom. 6, 14 suiv.), que nous soyons transformez de nostre entendement et propre courage, pour estre reduietz en l'obéissance de Dieu2), nous gardans des souillures et pollutions de ce

1) Cette formule mangue dans la traduction.

2) Christi.

monde, pour nous entretenir en nostre vocation.

Quant à l'innocence parfaicte, qu'ilz imaginent, fai-sans à croire que l'homme régénéré est exempt et pur de tout péché, et que la regeneration est comme un estât angelique auquel l'homme ne puisse mal faire: si ainsi estoit, que deviendroit l'oraison que nostre Seigneur nous a enseigné de faire: c'est que Dieu nous pardonne noz fautes? Cela n'est pas pour les infidèles. Mais tous ceux qui sont [page 134] enfans de Dieu doyvent ainsi prier, selon la reigle de Iesus Christ (Matth. 6, 12). Ceste prière contient une protestation, que tous fidèles sont pécheurs. Quiconque ne veut estre de ce ranc, s'exclud du nombre des enfans de Dieu. Pour en avoir exemple particulier, pourra on nommer homme mortel si parfaict que S. Paul, ne d'une saincteté tant excellente? Or il confesse, que sa vie durant, il avoit tousiours à batailler contre le péché habi-tant en soy: et qu'eshabi-tant empeschô par son infir-mité, il ne faisoit pas le bien qu'il eust voulu. Et en la fin, pour conclusion finalle, il s'escrie: Mal-heureux homme qui me délivrera de ce corps de mort (Rom. 7, 18. 24)? Enquoy il signifie qu'il n'y a autre moyen de le mettre en estât de perfection, et le retirer de la servitude de péché, qu'en sor-tant de son corps, oi\ il estoit detenu captif comme en une prison (2 Cor. 5, 6. 8; Phil. 1, 23). Il est vray que ces gaudisseurs, en dépravant ce que sainct Paul traicte là, ont un terme, disant, quand on les reprend de leurs maléfices, que oo ne sont [page 135] ilz pas, mais que c'est baudet.1) Com-bien que cela ne convienne pas avec ce que ilz di-sent de l'estat parfaict des Ohrestiens, et qu'il y a repugnance manifeste en leurs propos: neantmoins encor est-ce un vilain blaspheme et execrable, de faire ainsi un bouclier de leur baudet, pour s'ex-cuser du mal. Car quand sainct Paul diet: Ce ne suis-ie pas qui fay le mal, mais le péché qui habite en moy, ce ne est pas pour se iustifier ou pour re-iecter ailleurs la coulpe de ses vices en se truffant: 2) mais seulement il veut monstrer que sa principale affection seroit, de se conformer du tout à la vo-lunté de Dieu: et ainsi que s'il y a à redire, cela ne vient pas qu'il soit adonné au mal: mais que par l'infirmité de sa chair, il est transporté, en sorte qu'il ne peut servir à Dieu si entièrement qu'il voudroit. Selon qu'il diet apres, que ceux qui sont enfans de Dieu, doyvent estre conduietz par son esprit, à fin de ne point cheminer selon la chair (Rom. 8, 1). Or il est bien certain, que le péché habite aux enfans de [page 136] Dieu, pendant qu'ilz sont en ce monde, mais il ny regne pas. Il est

1) certo proverbio utuntur: se illa minime admisisse, sed asinum.

2) iocando.

205 D E S L I B E R T I N S . ' 206 vray qu'ilz sont empeschez et molestez de leur

chair: mais ilz ne la suyvent point, pour se laisser veincre à icelle. Qu'ainsi soit, après que sainct Paul a diet qu'il ne consentoit point au mal, il ne laisse pas de se reputer malheureux pour la capti-vité où il est. Qui plus est, il nous propose en sa personne, comme une image vive de Testât des régénérez: disant que l'homme fidèle est comme divisé en deux parties: c'est d'autant qu'il est re-formé par la grace de Dieu, ') qu'il s'accorde au bien: mais entant qu'il a encor les reliques de sa nature, qu'il sent une contradiction: tellement que sa chair, c'est à dire, la partie qui demeure encor en luy non reformée de Dieu, le poulse tout au rebours. Si on demande dont vient ceste contra-diction, il en rend la raison, disant que la loy est spirituelle, c'est qu'elle requiert une saincteté par-faicte, et une conscience pure et entière: et nous au contraire, sommes charnelz (Horn. 7, 14). Ar-restons [page 137] nous donc à ce qu'il conclud:

c'est que tous fidèles, ceste vie durant, obéissent à la loy de Dieu, entant qu'ilz sont renouvelez par sa grace: mais selon la chair ilz sont subieetz à péché. Ainsi la perfection des Chrestiens, pour le dire en trois motz, est que sans feintise ilz ayent leur affection à servir Dieu: qu'ilz ne soyent point de cueur double, mais qu'ilz ayent une rondeur entière: tellement qu'ilz puissent protester que leur principal désir est de plaire à Dieu. Cependant, .comme dit sainct Augustin,2) leur plus grande

per-fection est, de recongnoistre et confesser combien ilz son imparfaietz, et de confesser tousiours leurs infirmitez devant Dieu. Ces phantastiques, pour approuver leur erreur, s'arment de ceste sentence de sainct Iehan: Que celuy qui est nay de Dieu ne pèche point (1 Iehan 3, 9). Or ie leur concede Men, que s'il se trouvoit homme du tout régénéré, qu'en cestuy là il n'y auroit point de péché. Mais le tout est de savoir, si la regeneration a iamais esté parfaicte [page 138] en homme mortel. le dis que depuis la creation du monde, il n'y en a pas eu un seul exemple. Parquoy les parolles de sainct Iehan n'emportent autre chose, sinon que l'homme entant qu'il est régénéré de Dieu, ne pèche point:

mais d'autant que cela n'est qu'en partie, cependant que nous virons en ce monde, ne songeons point que nous soyons ia venus au but, où nous sommes en' chemin. Quelqu'un répliquera, qu'il sembleroit advis que ce fust chose frustratoire,3) de prendre en tel sens les parolles de sainct Iehan. E t mesme qu'il appert par la procedure,4) que l'intention de

1) per verbum Dei.

2) an 22. livre de la Cité de Dieu.

3) supervacaneum.

4) ex ipso coutextu.

sainct Iehan est autre. A cela ie respons que S.

Iehan veut bien signifier, que depuis qu'un homme est régénéré le péché ne regne plus en luy. Car la grace de l'esprit de Dieu doit estre supérieure à captiver les affections charnelles. Mais cependant si nous faut il tousiours retenir ce poinct, qu'un homme est exempt de la servitude de péché, selon la mesure de grace qu'il a receue, qui est plus en [page 139] l'un et moins en l'autre. Mais elle n'est pleine en nul qui soit. E t de faict, sainct Iehan n'a que faire d'expositeur : veu qu'il se declaire as-sez, quand il nous commande à tous de prier pour la remission de noz péchez: disant que si quelque un se faict à croire de n'avoir plus de péché, il s'abuse, et veut faire Dieu menteur (1 Iehan 1, 8. 10). Ce que i'ay diet, doit bien suffire pour monstrer quelle est la vraye regeneration des en-fans de Dieu, et quelle est leur perfection en fie monde: et combien sont contraires toutes les res-veries de ces malheureux à ce que PEscriture nous enseigne de l'un et de l'autre: veu qu'ilz consti-tuent toute la saincteté du fidèle, en une ignorance brutalle, faisans à croire que c'est Testât d'inno-cence, de se gouverner à son appétit: et songeans que l'homme est alors parfaict, quand il a oblié le iugement de Dieu, et n'a plus de regard à bien n'a mal, sinon que tout ce qui luy vient à gré, il le repute bien.

C H A P I T R E X I X .

De la liberté Chrestienne, comment la