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Pource que quand on commence une fois d'avoir l'esprit embrouillé de quelque folle resverie, d'un mal [page 228] on vient coustumierement à l'autre, ')•

il est bon que tous fidèles lecteurs soyent advertis d'aucuns livretz imprimez, qui sont infectez d'opi-nions phantastiques, lesquelles pourroyent estre comme une entrée et introduction en la secte des Libertins: comme de faict ilz s'en servent2) pour esgarer les entendementz des simples, à fin d'en iouyr plus aisément après. Entre autres il y a un petit traicté, seulement d'une fueille,3) faulsement intitulé: Instruction et salutaire admonition, pour parfaictement vivre en ce monde, et comment en toute nostre adversité serons patiens. Si on me demande que i'y trouve de mauvais : ie dis pour un item, que tout l'argument est extravagant,4) duquel on ne sauroit prendre nulle certaine resolution.

Secondement qu'il y a des speculations sottes et absurdes, qui ne servent que de esbranler les es-pritz, pour après les laisser comme suspens en l'air.

Tiercement qu'il y a des propos desbordez hors de toute raison. Comme, que l'homme fidèle [page 229]

est aussi aise d'estre en enfer, qu'en paradis: et semblables. Au reste il suffist de l'avoir nommé, pource que mon intention n'est point de disputer 'à l'encontre. Il y en a un autre plus gros, d'environ quatorze quayers,5) intitulé : La lunette des Chres-tiens: qui à la vérité est beaucoup plus propre à troubler qu'ayder la veue. Or il est vray, que quiconque l'ait faict, n'est pas un tel asnier comme • Quintin ou messire Antoine Pocque: qui n'ont non plus d'apparence que d'effect, excepté leur ruse de

1) semper in deterius labi soient.

2) causam suam fulciunt.

3) seulement d'une fueille, manque dans la traduction.

4) vagum.

5) d'environ quatorze quayers, manque dans la traduction qui dit simplement: paulo longior. Au lieu de quatorze Tédi-tion de 1611 met: quatre.

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243 CONTRE L A S E C T E 244 gergonner, à fin d'acquérir bruit par leur obscurité.

Mais cestuy cy est un homme de quelque esprit, et de quelque sçavoir, et use de quelque traditive. ') Tellement que il pourroit avoir quelque monstre2) en son œuvre, n'estoit qu'il y entremeslé des folles opinions et pernicieuses. Il est vray que tout bien compté et rabbatu, le livre total no contient pas grand substance, depuis un bout iusque à l'autre.

Mais encor seroit-il aucunement de mise sans ces folles resveries dont il est farcy.

• [page 230] Du beau commencement il nie quo les afflictions que nous endurons en ce monde, soyent verges de Dieu. Pour le prouver il adiouste que ce . sont médecines spirirituelles, qui purgent noz vices.

Mais ceste raison n'est pas valable. Car pourquoy le père chastie il son enfant, sinon pour l'amender?

Il n'y a point donc de inconvenient que la verge ne soit remède. D'autrepart il est à noter que comme Dieu cbastie par guerre, peste, famine, ' et autres adversitez, ses fidèles, pour leur

amende-ment et salut, qu'aussi il punist les incrédules et contempteurs, usant de sa iuste vengeance coDtre eux. Ainsi comme le feu purgeant l'or et l'argent, consume la paille et le foin: aussi les afflictions Bont pour purger les bons, et destruire les reprouvez. • Apres il diet que ceux qui sont membres de Christ, ne vivent plus dévie corporelle: qui est une forme de parler excessive, et sentant son rèsveur. l e laisse à. parler qu'il expose mal le passage de l'epistre sainctlehan sur lequel il fonde son theme principal.

[page 231] Apres il condamne d'un costé toute la politique, qui est pour conserver les biens: de l'autre costé, la médecine, qui est pour la conserva-tion, de la vie corporelle. E t combien qu'en d'aucuns

endroietz il tasche de corriger, ou pour le moins un peu modérer telle témérité, neantmoins si persevere il tousiours en cela, que toutes loix humaines con-cernantes la politique, ne sont qu'inventions diabo-liques: que la médecine n'est qu'une idolâtrie.

S'il reprenoit lés abus qui s'y commettent : ie seroye bien d'accord avec luy: et n'en sçaurois tant dire, que ie n'y adioustasse d'advantage. Mais en vitu-pérant choses bonnes et sainctes, il blaspheme Dieu duquel elles procèdent. Apres il condamne en general toutes guerres, sans discerner si elles sont menées par iuste cause,- ou non, mesme quand un prince ne feroit guerre que pour la defense de son peuple, sans estre incité ne d'ambition, ne d'ava-rice: mais pour le seul devoir de son office. Pour

• conformer cela il allègue, qu'il [page 232] nous est commandé de donner lieu à l'ire (Rom. 12, .19). Or sainctPaul p a r l e mot d'ire, entend la vengeance de

1) nonnihil habet metliodi.

2) speciem.

Dieu, et sa iuste punition, laquelle il a commandé aux princes d'exercer. Parlant des guerres de l'ancien testament, il diet qu'il ne nous convient les ensuyvre, puis que nous sommes soubz la loy de charité: comme si elle n'eust point esté lors.

E n cela il faict grande iniure, non seulement aux sainetz pères, mais à Dieu, qui les avoit instruietz.

E t n'use pas do simple reprehension et modérée:

mais crie et se tempeste, comme s'il batailloit contre tous les diables d'enfer. Car ce luy est un blas-pheme execrable, un grand outrage contre Dieu, une meschante infidélité, de s'aider des loix hu-. maines pour le gouvernement du mondehu-. E t pour-,

quoy? D'autant que Dieu est suffisant de le régir par sa providence. Voire, mais la providence de Dieu crie par Salomon (Prov. 8, 15.;, que cela vient d'elle, que les princes et leurs conseilliers font ordonnances et statutz. C'est, diet il, Sàthan qui a mis aux cueurs des [page 233] princes, de s'attribuer ce qui appartient à Dieu seul: assavoir de faire accomplir sa volunté. Comme si les loix humaines tendoyent à autre fin, que de tenir le monde en bon ordre et iustice. Ce que Dieu veut et commande, et pour laquelle fin, comme diet sainct Paul (Rom. 13, 1), il a ordonné les. princi-pautez au monde. L'office des princes, dict-il, n'est pas d'ouyr les quereles de leurs subieetz, ne decider procès: car par tout où il y a procès, il y a aussi transgression des deux costez. l e luy nie ceste raison, premièrement. Car il se peut bien faire, que l'un ait bonne cause: comme celuy qui defend son droict estant iniustement assailly. E t d'autrepart ie dis que s'il y a mal, il convient de venir au remède. Il assigne la cause de tous les maux qu'ont iamais souffertz les enfans d'Israël, pource qu'ilz ont demandé un Roy. Comme si auparavant le peuple n'eust pas esté affligé en plu-sieurs sortes, autant qu'il l'a esté après. C'est donc trop inconsidérément parler: et est une trop lourde ignorance [page 234] des histoires. Mais encor ie luy demande, s'il n'y avoit point au paravant ordre politicque institué de Dieu, tel que celuy qu'il con-damne auiourdhuy? l e luy demande si Moyse et les luges n'oyoyent pas les quereles du peuple, et les decidoyent? Que c'est d'un homme éventé et sans cervelle, qui se iecte à travers champs en speculations mal fondées? I'ay voulu seulement toucher en passant ce poinct, à fin que de là on -puisse estimer quel est tout le livre. l e dis toucher, pource qu'il eust esté long de le desduire tout à plein, et aussi pource qu'il me sembloit advis superflu, de réitérer ce que i'en ay traicté en mon Institution.

Qui plus est, ce sont resveries tant sottes et ab-surdes, qu'il suffist entre gens de sain entendement, les avoir monstrées au doigt, à fin qu'on y prenne garde.

245 D E S L I B E R T I N S . 246 Quand ce vient à la médecine, il s'y desborde

aussi bien, autant ou plus, grinsant les dens, et se tempestant à l'encontre, à la façon des phrenetic-ques, qui frappent, esgratignent et mordent ceux qui leur assistent [page 235] pour leur bien. Or d'entreprendre icy de deschiffrer toutes louanges de la médecine, et exposer par le menu comment c'est un art, non seulement bon et de Dieu, mais digne d'estre prisé et honoré: ce seroit un trop long propos. De respondre aussi à toutes les ca-lomnies dont il la diffame ce seroit un trop long procès à démener. Mais il y a un bien, qu'il n'est ia grand besoing d'user de grande prolixité, pour reprouver des raisons si sottes qu'il les amené, et pour maintenir une cause si certaine et liquide, comme est celle qu'il impugne. Pour le premier, c'est une honte, qu'il faille débattre avec ceux qui s'appellent Chrestiens, et veulent estre estimez telz, qui plus est, veulent faire des docteurs, d'une chose

• qui de tout temps a esté toute résolue entre les payens. Car ce a esté une sentence commune entre eux, que la médecine est un don de Dieu. Combien que ie ne demande pas que cela luy emporte aucun preiudice, sinon entant que la vérité sera patente à chacun. Il diet que [page 236] la médecine est venue au monde par la suggestion de l'esprit maling.

le dis, et qui plus est, ie prouve, qu'elle est Tenue dé Dieu: entant que c'est une science de bien user des creatures qu'il nous donne, selon les nécessitez ausquelles il nous assubiectist. Car tout ainsi que Dieu, ayant assubiecty noz corps à fain et à soif, nous a donné à boire et à manger, pour subvenir à ceste indigence: nous ayant assubiectis au froit et au chaut, nous a donné des aides pour y remé-dier : pareillement nous ayant assubiectis à maladies, nous a donné dequoy y prouvoir. Celuy qui niera que les maladies procèdent des qualitez vitieuses du corps, avec accidens et excès qui surviennent d'ail-leurs, méritera bien d'estre reiecté de tous comme un homme insensé. L a vertu des herbes et autres choses se congnoist par experience: tellement que quiconque a une goutte ') de cervelle, le voit à l'œil. L'escriture diet que Salomon fit un livre pour les declairer (1 Rois 4, 33). Une telle cong-noissance naturelle, qui gist en raison evidente, et est approuvée [page 237] par l'escriture saincte, doit elle estre tenue pour enchantement ou illusion de Sathan? Quand S. Paul fait mention de sainct Luc il le nomme médecin: Luc, dit-il, médecin vous salue (Col. 4, 14). Le veut il deshonnorer par ce tiltre, comme s'il l'appelloit brigant ou lar-ron? l e demande maintenant à ce maistre correc-teur l'approbation de son dire : c'est que la médecine

1) micam.

a esté forgée du diable. Il allègue que nous devons estre nuict et iour occupez en la meditation de la loy do Dieu: et pourtant qu'il ne nous peut rester ne temps ne loisir de vaquer à congnoistre les herbes, pour ce que ce sont speculations de gens oisifz. Un tel phantastique seroit digne d'estre en-clos en une chambre avec la bible, sans nourriture ne vestemens pour voir comment il s'applique-roit nuict et iour à la lecture de la parolle de Dieu, sans penser ailleurs. Il dira qu'il nous est permis de manger. le replicque que non seroit pas ') si on adioustoit foy à sa follie. Car quelle distraction est-ce de cultiver les terres, de semer, de moissonner, de battre le bled, de le moudre de le [page 238] paistrir, de le cuire? Combien faut il employer de temps à apprendre les mestiers qui sont pour la nécessité do la vie présente, et combien plus en faut il encor à les exercer? Ce-pendant neantmoiDS ie n'entens pas de deroguer à cesto meditation de la parolle de Dieu, qui nous est tant recommandée: mais ie monstre que telz resveurs n'ont iamais entendu que ce commande-ment vouloit dire. Car nostre seigneur ne nous defend pas les occupations, lesquelles sont requises pour l'entretenement de ceste vie terrienne: moyen-nant que nous aspirions tousiours plus haut, et que de l'accessoire nous n'en facions point le principal.

Pour monstrer que nous ne tenterions pas Dieu, mesprisant la médecine: il dit que c'est une parolle diabolique, ruinant toute Chrestienté. Voire, mais la raison? Pource que celuy qui met toute sa fiance en Dieu, ne le tente point. l e le confesse.

Mais ie dis que celuy qui ne tient conte dos moyens que Dieu a ordonnez, ne se fie pas en luy: mais est enflé [page 239] d'une faulse presumption et témérité. Yoila les beaux argumens, pour con-damner les bonnes creatures de Dieu, au deshon-neur de celuy qui les a destinées à nostre usage, à fin que nous les recevions avec louange et action de graces.

l e laisse à parler de beaucoup de folles sen-tences et absurdes, esparses en ce mesme livre.

Comme quand il diet, que nostre seigneur Iesus est le seul homme, auquel nous sommes tous: et puis qu'il est le dernier, qu'il n'y a plus d'homme que luy. Qui approche du blaspheme des Liber-tins, que nous avons deduict cy dessus. Item qu'il n'est demeuré que l'ame vivante à, l'homme après le péché. Comme si ce n'estoit point ceste mesme amo qu'il avoit douée des graces de Dieu au para-vant, et qui est reparée maintenant par Iesus Christ. Item, que c'est un grand blaspheme contre la bonté de Dieu, d'aimer plus noz parens que les

1) nullo modo licere.

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247 CONTRE L A SECT autres. Comme si ces commandemens estoyent donnez en vain: Tu honnoreras père et mere.

Hommes a) aymez voz femmes et que pareillement les femmes ayment leurs [page 240] maris (Exod.

20, 12; Matth. 15, 4; Ephes. 5, 25 etc.). Mais nous avons, dit il, une fraternité spirituelle qui vaut beaucoup mieux. l e le confesse. Mais l'une ne

derogue rien à l'autre: moyennant que chacune demeure en son degré. Item, quand il dit qu'il ne nous faut pas faire les commandemens de Dieu, à cause qu'il les nous commande: mais pource qu'il nous en a monstre l'exemple seulement. Item, quand il dit que c'est porter nostre croix, de porter patiemment d'estre faictz vaisseaux d'ignominie.

Au lieu que Dieu nous met tousiours audevant ceste consolation pour nous 'exhorter à patience, que la croix que nous endurons, est une société avec celle de Iesus Christ, à fin qu'estans conformes â son image nous communiquions à sa resurrection glorieuse, et par consequent soyons faictz vaisseaux d'honneur, non pas d'ignominie. l e croy qu'il n'y a nul qui ne voye combien telz livres infectez d'opinions si phantastiques, sont à fuir: ce que i'ay voulu monstrer, et non plus.