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Quelle est la communion des fidèles selon la phantasie des Libertins

[page 160] Nous avons desia veu comment ces malheureux profanent le mariage, meslant les hom-mes avec les femhom-mes comme bestes brutes, selon que leur concupiscence les meine. E t comment soubz le nom de mariage spirituel, ilz colorent ceste pollution brutalle: appellant mouvement spi-rituel l'impétuosité furieuse qui poulse et enflambe un homme comme un toreau, et une femme comme une chienne chaude. Or à fin de ne laisser nul ordre entre les hommes, ilz font aussi une sem-blable confusion quant aux biens: disant que c'est la communion des sainetz, que nul ne possède rien comme sien, mais que chascun en prenne où il en pourra avoir. Du commencement, il y a bien eu quelques Anabaptistes estourdis qui ont ainsi parlé.

Mais depuis qu'une telle absurdité a esté répudiée de tous, comme répugnante au sens humain, en sorte que les premiers [page 161] aucteurs mesmes en avoyent honte: ceux-cy l'ont prinse comme à.

refuge, ') selon que leur secte est un retraict, ou un esgout, pour recevoir toutes les ordures du monde. Il est vray que de prime face ilz ont belle

1) earn isti quasi profugam receperunt.

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215 ' CONTRE

«ouleur, en se complaignant de l'avarice de ceux qui se nomment Chrestiens, d'autant qu'on voit un chascun estre tellement après pour en avoir, que la plus part communément sont comme gouffres ou bestes affamées. E t de faict il ne faut doubter que nostre Seigneur ne permette, et quasi lascbe la bride à Sathan, pour susciter telz furieux, qui ta-schent à mettre ainsi les biens en proye, pour pu-nir l'ingratitude de ceux qui en abusent: c'est à dire quasi de tout le monde. On voit comment petis et grans sont auiourdbuy embrasez comme fournaises, d'une cupidité enragée d'amasser et at-tirer à eux. On voit de quelz moyens et traficques ilz tascbent de s'enrichir. On voit comment ceux qui ont des biens les gourmandent') tous seuls, ou les tiennent serrez, .sans avoir pitié de leurs [page 162] povres frères, pour subvenir à leur indigence, en leur communiquant de ce qu'ilz ont entre mains.

Nous ne voulons point escouter les remonstrances que Dieu nous en faict. C'est donc bien raison que le Diable esmeuve ces tisons d'enfer, pour re-doubler le desordre, que nous ne corrigeons point, selon que Dieu nous en admoneste. Parquoy il est besoing de commencer par ce bout, que nous sça-chions quelle affection nostre Seigneur veut que nous ayons vers les biens. Quelz sont les moyens lici-tes de les acquester. Quel en est le droict usaige et legitime. L e premier poinct donc est que nous , n'appetions point les biens de ce monde par

con-voitise: que si nous sommes en povreté, que nous la portions patiemment: si nous avons des

riches-ses, que nous n'y mettions point nostre cueur, ne nostre fiance: que nous soyons prestz de les quie-ter, quand bon semblera à Dieu: les ayant ou ne les ayant point, que nous les mesprisions comme choses caduques: estimant plus la seulle benedic-tion [page 1G3] de Dieu, que tout le monde:

et cherchant le regne spirituel de Iesus Christ, sans nous envelopper de convoitises mauvaises. L e second poinct est, que nous travaillons honneste-ment pour gaigner nostre vie: que nous prenions le gaing qui nous viendra, comme de la main de Dieu: n'usant point de mauvaises traficques pour attirer à nous le bien d'autruy: mais servant à noz prochains en bonne conscience: que nous prenions le profit de nostre labeur, comme un iuste salaire:

qu'en vendant et en achetant nous n'usions point de fraudes, ne cautelles, ne mensonges: mais que nous allions rondement en besongne, et en telle loyauté que nous requerrions des autres. L e der-nier poinct est, que celuy qui n'a gueres, ne laisse point de remercier Dieu, et manger son pain avec contentement, que celuy qui a beaucoup, n'en abuse

1) ingurgitant:

A S E C T E 216 point en gourmandise ou intemperance, en

somp-tuosité ou en choses superflues, en orgueil ou en vanité: mais en prenant modérément [page 164] son usage, employe la faculté qui luy est donnée à ayder ses prochains et les subvenir, se congnois-sant comme recepveur de Dieu à posséder les biens qu'il a, à telle condition qu'il en rende une fois compte: pensant tousiours à la comparaison que faict sainct Paul des biens de ce monde, avec la manne (2 Cor. 8, 15), c'est que celuy qui en a grande quantité n'en prenne que sa refection: et celuy qui n'en a gueres n'ait point de faute: brief, que comme Iesus Christ s'est donné à nous, aussi que par charité nous advisions de communicquer à noz prochains les graces que il nous a données:

communiquant par ce moyen à leur indigence, d'autant que nous les secourons en icelle. Voila comment il y faut procéder, et le moyen qu'il y faut tenir. Pource que nous ne le faisons point, congnoissons que c'est une iuste vengeance de Dieu, que ces enragez viennent ainsi à renverser tout ordre, voulant oster toute distinction de biens, fai-sant de tout le monde comme d'une forest de bri-gans, où sans compter ne sans payer, ') chacun prenne [page 165] comme sien ce qu'il pourra avoir.

Or il y a tant de tesmoignages de l'escriture, pour reprouver ceste vilaine confusion, que si les vou-lois tous reciter, il n'y auroit nulle fin. Conten-tons nous que nostre Seigneur ne nous commande point de quiter tout, et que celuy qui a des biens, les placque là: 2) mais nous exhorte seulement à en bien user. Il n'oste point les contraetz humains, et moyens politiques, dont les hommes usent entre eux pour gangner leur vie: mais les reduict seule-ment à droicture et vérité. Ce seroit donc chose superflue d'alléguer icy beaucoup de tesmoignages à ce propos: veu que toute l'escriture en est si pleine, que nul ne les peut ignorer. Mais ces fré-nétiques, pour donner couleur à leur erreur, allè-guent ce que les moynes ont prétendu pour prou-ver que leur estât estoit parfait et Angélique. C'est ce que nostre Seigneur dist au ieune homme qui luy avoit demandé ce qu'il feroit pour entrer au royaume de Dieu: Va et vends tout ce que tu as, et [page 166] donne le aux povrés, et suys-moy (Matth. 19, 21). Mais la solution est facile. Car nostre Seigneur ne prononce point là une sentence generalle qui conviene à tous: mais a esgard à' la personne de l'homme qui parle à luy. Car comme ainsi soit, qu'il pensast s'estre très bien acquité en-vers Dieu, observant tous les commandemens de la loy et que par ce moyen il se deceust en

hypocri-1) Le traducteur ajoute: aut nulla fide habita.

2) si divitiis affluimus, eas penitus abdicemus a nobis.

217 D E S L I B E R T I N S . 218 sie, noßtre Seigneur luy découvre sa maladie qui

luy estoit cachée. Il estoit riche et avoit son af-fection à ses biens: et ne congnoissoit point que cela fust vice. Nostre Seigneur donc le vient grat-ter sur sa rongne, à fin qu'il congnoisse son mal, et qu'il ne se vante plus d'avoir accomply dés son enfance tous les commandemens de la ïoy. De-quoy il estoit bien loing. C'est donc une lourde sottise, de tirer ceste sentence qui a servy à es-prouvor le cueur d'un homme en especial, pour en faire une doctrine universelle. Au reste c'est bien raison qu'un chacun de nous soit prest, non seule-ment à vendre mais à perdre ce qu'il a, pour l'hon-neur [page 167] de Dieu: et que ceux qui ont abon-dance de biens en main soyent neantmoins povres .de cueur. Mais nous voyons bien que la vendition actuelle n'est par requise de tous ceux que nostre Seigneur instruit à perfection chrestienne, pour diro qu'üz ne puissent estre chrestiens sans se desnuer de tous leurs biens. Hz ont semblablement ce qui est escrit aux Actes (4, 32 ss.), que nul des disci-ples ne disoit rien de ce qu'il avoit, estre sien:

mais que tous apportoyent leur substance aux piedz des apostres. Mesme que ceux qui avoient champs et possessions les vendoyent, pour en faire argent, à fin de subvenir à l'indigence des povres. C'est certes un bel exemple que cestuy-là, moyennant qu'il fust bien appliqué. E t plust à Dieu qu'il y . eu6t auiourdhuy une telle affection de charité en tous ceux qui se nomment Chrestiens. Car chacun seroit subvenu en sa nécessité: et les biens que Dieu nous donne seroyent autrement départis en meilleure sorte que ilz ne sont pas. ') Mais ces accariastres2) imaginent bien une autre chose, que n'a pas voulu dire sainct Luc. Parquoy à fin de ne point tomber en ceste resverie, de laquelle ilz se deçoyvent, et troublent le monde: ad visons quelle communication de biens denote sainct Luc, en di-sant que nul n'appelloit propre ce qu'il avoit. C'est une façon de parler qui est commune à tous lan-gages, de dire, en parlant d'un homme liberal, qu'il n'a rien à soy, d'autant qu'il a tousiours la main ouverte, pour secourir à ceux qui ont faute. P a r plus forte raison, quand il y auroit une compaignie d'amis, d'un si bon accord, que l'un ne voulust point faillir à l'autre au besoing: mais que chacun fust prest d'aider à son prochain: on pourroit dire que telles gens n'ont rien de propre. Yoire, com-bien que ce pendant chacun tiendroit son mesnage, iouyroit de son bien, auroit le maniement de ses possessions et de sa chevance, sans que tout fust mis en un monceau comme en confus. Telle estoit

la congregation des fidèles, dont parle sainct Luc.

Chacun [page 169] 'retenoit bien son mesnage, et gouvernoit son bien à part. Mais ilz avoyent une telle fraternité, que nul n'enduroit indigence. Or, comme i'ay diet, c'est un vray miroir de la dilec-tion Chrestienne, et auquel nous devrions bien mettre peine de nous conformer. E t pleust à Dieu que Quintin et ses complices, poussent remettre sus une telle reformation. le n'aurois garde de leur résister. Mais ce n'est pas ce qu'ilz cherchent, ne où ilz prétendent. Leur but est de mettre tout en confusion. Car ilz insistent sur ce poinct, que nul ne doit rien avoir de propre. E t au lieu d'ac-cepter la response que i'ay faicte, ilz répliquent qu'il s'ensuit après, que tous ceux qui avoyent pos*-sessions les vendoyent. Ainsi selon leur phantasie nul ne peut estre Chrestien, qu'en se despouillant de tout ce qu'il a. l e respons à cela: qu'ilz fail-lent doublement. Car pour un item, sainct Luc ne diet pas que tous vendissent. E t touchant ceux qui vendoyent, il ne diet pas qu'ilz vendissent [page 170] tout, sans se rien laisser. Afin qu'ilz n'allè-guent point, que ie leur forge une solution de ma teste: ie vous prie, est il vray semblable, que si tous eussent vendu, sainct Luc en eust seulement mis deux en avant pour exemple; dont l'un mesme estoit un hypocrite, qui vouloit tromper Dieu? H nomme loses Cyprien, qui vendit un champ à la vérité, induict par bonne affection. Le second qu'il nomme, le faisoit par vaine gloire, et n'apporta qu'une partie du pris. E s t - i l à croire, que d'en-viron six mille fidèles, ou d'advantage, qui estoyent à lors, tous ceux qui avoyent heritaiges, les eussent vendus: et que sainct Luc en produist un seul pour exemple? I'ay dit pour le second poinct, que les fidèles mesmes, qui ont vendu de ce temps là leurs heritaiges pour ayder à leurs povres ') frères, n'ont pas tellement tout vendu, qu'il ne leur soit rien demeuré. Car chacun ne laissoit pas de tenir son mesnage, nourrir sa famille, et user des biens que Dieu luy avoit donnez. Qu'ainsi [page 171] soit, iî est adiousté puis après, que Tabitha femme ex-cellente en charité par dessus les autres, faisoit grandes aulmosnes (Act. 9, 39). D'où les eust elle faictes, si elle eust quicté tout son bien? Il est diet que sainct Pierre estoit logé ches Simon cordoa-nier'J) (Act. 10, G). Ce qui ne se pouvoit faire, qu'il n'eust eu maison et famille. Autant en est il dit puis après de Marie mere de Iehan: assavoir que sainct Pierre estant miraculeusement tiré hors de la pri-son par l'Ange,3) vint en la maison d'icelle (Act.

12, 12). Autant aussi de Lydie (Act. 16, 15). Car

1) quam hodie fieri solet.

2) vertiginosi.

1) La première édition met: propres.

2) le cordonnier 1566; le conroyeur 1611.

3) par l'Ange, manque dans la traduction.