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Comment il nous convient considérer la providence de Dieu, par laquelle il faict

toutes choses : et comment les Libertins confondent tout, en parlant de cela. Qui est la premiere consequence de l'article

precedent.

[page 90] Nous ne nions pas de nostre costé que toutes choses ne se facent par la volunté de Dieu. E t mesme quand nous exposons pourquoy il est diet tout puissant, nous luy attribuons une puissance active en toutes creatures: enseignans que comme une fois il a créé le monde, qu'aussi il le gouverne, ayant tousiours la main à l'œuvre pour maintenir toutes choses en leur estât, et en disposer comme bon luy semble. Pour exprimer encore plus facile-ment que cela veut dire: ie dis que nous avons à considérer que Dieu besongne en trois sortes, quant au gouvernement du monde.

Premièrement il y a une operation universelle, par laquelle il conduict toutes creatures, selon la condition et propriété qu'il leur a donnée à chacune en les formant. Ceste conduicte n'est sinon ce que nous appelions l'ordre de nature. Car au lieu [page 91] que les infidèles ne recongnoissent en la disposition du monde que ce qu'ilz voyent à l'oeil:

et pourtant constituent la nature, comme une déesse qui domine sur tout: il nous faut donner ceste louange à la volunté de Dieu, que c'est elle seule qui regit et modere toutes choses. Pourtant, quand nous voyons le soleil, la lune, les estoiles faire leur cours: estimons qu'ilz obéissent à Dieu, faisans son commandement: et non seulement cela, mais que

1) hoc concesso.

2) bestes brutes 1566 suiv.

187 CONTRE L A S E C T E 188 la main de Dieu les conduict, et que c'est de sa

vertu que tout cela se faict. Ainsi quand nous voyons le cours ordinaire des choses terriennes, soyons advertis ') d'attribuer à Dieu le tout, et tenir les creatures comme instrumens estans en sa main, pour les appliquer à l'oeuvre comme il luy plaist.

Ceste providence universelle nous est souvent tou-chée en l'escriture, à fin que nous apprenions de glorifier. Dieu en toutes ses œuvres. E t singulière-ment le Seigneur nous recommande de recong-noistre ceste sienne vertu en nous, à fin de nous despouiller de toute [page 92] presumption, laquelle s'esleve incontinent en nous, quand il ne nous sou-vient plus que nous sommes en sa main. A ce propos disoit sainct Paul à Athènes: C'est en luy que nous sommes, que nous vivons et avons nostre mouvement (Act. 17, 28). Car par cola il nous admoneste, que nous ne pouvons pas durer une minute de temps, sinon qu'il nous soustienne de sa main, entant mesme que c'est en luy que nous sub-sistons: et que tout ainsi quo l'ame, espandant sa vigueur par tout le corps, agite les membres: aussi Dieu nous vivifie et nous donne ce que nous avons de faculté et pouvoir. Toutesfois ceste operation universelle de Dieu n'empesche point, que chacune creature, tant au ciel comme en la terre, n'ait et ne retienne sa qualité et nature, et suyve sa pro-pre inclination.

L a seconde espèce ou façon par laquelle Dieu opère en ses creatures, est qu'il les faict servir à sa bonté, iustice et iugement, selon qu'il veut main-tenant aider ses serviteurs, mainmain-tenant punir les meschants, maintenant [page 93] esprouver la pa-tience de ses fidèles ou les chastier paternellement.

Ainsi quand il luy plaist de nous bénir en abon-dance de biens, il pleut en la saison, il donne cha-leur et beau temps p a r son soleil, et use de tous les autres moyens naturelz comme d'instrumens do sa benediction. Quand il retire sa main, le ciel est comme d'airain et la terre comme de fer. Tel-lement que c'est luy qui tonne, qui gelle, qui gresle, tempeste et cause la stérilité. Parquoy ce que les Payons et ignorans attribuent à fortune, nous le devons assigner à la providence de Dieu: non pas seulement à ceste vertu universelle, dont nous avons parlé, mais à une ordonnance speciale, par laquelle il conduit les choses, selon qu'il voit estre expedient. C'est ce qu'il entend quand il dit par ses prophètes (Es. 45, 7; Arnos 3 , , 6; Prov. 16, 1.

2. 3. 4. 9. 33), qu'il crée les ténèbres et la clarté, qu'il envoyé la mort et la vie, qu'il ne advient ne bien ne mal, que par sa main: voire iusque à dire

qu'il modere les sortz et les autres choses qui sem-blent bien advis [page 94] estre fortuites: et si quel-cun est tué sans y penser, et non à escient, ') que c'est luy qui est cause de sa mort: et qu'il l'a ainsi voulu: à fin que nous estimions que rien n'advient à l'advcnture : mais selon qu'il l'a déterminé en son conseil. E t se courrouce amèrement quand on pense que les choses viennent d'ailleurs ou qu'on ne regarde point à luy, pour le recongnoistre. non.

seulement la cause principale de tout: mais aussi autheur, qui par son conseil dispose ainsi ou ainsi.

Prenons donc ceste resolution, que tant prospérité qu'adversité, pluye, vent, gresle, gelée, beau temps, abondance, famine, guei're, paix, sont œuvres de la main de Dieu; et que les creatures qui en sont causes inférieures, ne sont que moyens dont il se sert pour accomplir sa volunté: et pourtant qu'il les dispose et tourne où il luy plaist, pour les ame-ner à ce but, que ce qu'il a ordonné vienne à effect. D'avantaige il est à noter, que non seule-ment il s'ayde en ceste sorte des creatures insen-sibles, pour opérer et mettre en execution [page 95]

son vouloir par icelles: mais aussi des hommes et des diables mesmes. Tellement que Sathan et les meschans sont exécuteurs de son vouloh\

Comme il s'est servy des Egyptiens pour affliger son peuple: un temps après il a suscité les Assy-riens pour le chastier quand il avoit forfaict: et autres semblables. Quant au diable nous voyons qu'il s'en est servy pour tormentor Saul (1 Sam.

16, 14; 18, 10), pour décevoir Achab (l Rois 22, 22), et exercer ses iugemens sur tous iniques, quand il en a esté mestier (Ps. 78, 49): ou bien au contraire pour éprouver la constance des siens: comme nous en avons l'exemple en lob. Or les Libertins oyans ces passages, y vont à l'estourdie: et sans regarder plus avant, concluent que les creatures donc ne font plus rien. Or par ce moyen, ilz font un ter-rible meslinge. Car non seulement ilz confondent le ciel et la terre tout ensemble, mais Dieu et le diable. Cela vient par faute d'observer deux ex-ceptions, lesquelles sont bien requises. L a premiere est, que Sathan et les meschans ne sont pas telle-ment instrumens de Dieu, que [page 96] ce pendant ilz n'opèrent aussi bien de leur costé. Car il ne-faut pas imaginer que Dieu besongne par un homme inique, comme par une pierre ou par un tronc de bois: mais il en use comme d'une crea-ture raisonnable, selon la qualité de sa nacrea-ture qu'il luy a donnée. Quand donc nous disons que Dieu opère par les meschans,2) cela n'empesche pas que les meschans n'opèrent aussi en leur endroict. Ce 1) Les mots: soyons advertis, manquent dans la première

édition. 1) forte et non ex industr'a.

2) per creaturas.

189 D E S LIBERTINS. 190.

que l'escriture nous monstre tant évidemment que merveilles.J) Car tout ainsi qu'elle prononce que Dieu sifflera (Es. 5, 26), et quasi sonnera le tam-bourin pour faire sortir en armes les infidèles, et

•qu'il endurcira ou enflambera leurs cueurs: aussi elle ne laisse point de racompter leur propre con-seil et voulenté qu'ilz ont eue: et leur attribue l'œuvre qu'ilz ont faicte par l'ordonnance de Dieu.

La seconde exception à laquelle n'ont point d'esgard ces malheureux est qu'il y a bien grande diversité entre 1('œuvre de Dieu, et celle d'un homme meschant, quand il s'en sert pour un instrument. Car le me-rchant [page 97] est incité ou de son avarice, ou d'ambition, ou d'envie, ou de cruauté à i'aire ce qu'il fait, et ne regarde à autre fin. Pourtant selon la racine qui est l'affection du cueur, et le but où il pretend, l'œuvre est qualifiée, et à bon droict est iugée mauvaise. Mais Dieu a un regard tout con-traire. C'est d'exercer sa iustice pour le salut et conservation des bons, d'user de sa bonté ,et grace envers ses fidèles, de chastier ceux qui l'ont mérité.

Toila donc comme il faut discerner entre Dieu et les hommes, pour contempler en une mesme œuvre sa iustice, sa bonté, son iugement: et de l'autre costé la malice tant du diable que des infidèles.

Prenons un beau miroir et clair pour voir tout ce que ie dis. Quand lob a les nouvelles de la perte de ses biens, de la mort de ses enfans, de tant de calamitez qui luy sont advenues, il recongnoist que c'est Dieu qui le visite, disant: Le Seigneur m'avoit donné toutes ces choses, il me. les a ostées. E t à la vérité, aussi avoit il. Mais ce pendant ne savoit il pas bien que le diable luy [page 98] avoit brassé ce potaige?2) N'estoit il pas adverty que les Chal-deens avoyent volé et pillé son bestial? Louoit il les voleurs et brigans, ou s'il excusoit le Diable, pource que l'affliction luy estoit .venue de Dieu?

Non. Car il savoit bien qu'il y avoit grand diffe-rence. Ainsi en condamnant le mal, il disoit: Que le nom du Seigneur soit benict. Pareillement, David estant persécuté de Semei, dit bien qu'il reçoit cela de Dieu (2 Sam. 16, 11 s.): et voit bien que ce meschant est une verge par laquelle Dieu le chastie.

Mais en louant Dieu, il ne laisse point de condam-ner puis après Semei (1 Rois 2, 9). E t de cela il en faudra encor traicter en un autre lieu. Pour le present, qu'il nous suffise d'avoir cecy: que Dieu besongne tellement par ses creatures, et les faict servir à sa providence, que l'instrument dont il sîayde, ne laisse point d'estre souvent mauvais: et que ce qu'il tourne la malice de Sathan et des hom-mes hom-meschans à bien n'est pas pour les excuser ou

1) apertissime.

2) earn ipsi cudisse fabam.

sanctifier, qu'ilz ne faillent, ') et que leurs œuvres, ne [page 99] soyent mauvaises et damnables: d'au-tant que toute œuvre est qualifiée par l'intention de celuy qui la faict. E t pourtant ceux qui ne distinguent point cela, sont comme pourceaux qui renversent tout de leur groing, et font une con-fusion où il y avoit le plus bel ordre du monde.

Telz- sont les Libertins, qui non seulement font le diable compaignon de Dieu, mais le transmuent en Dieu, faisans ses œuvres louables, soubz ombre qu'il ne faict que ce que Dieu a ordonné. E t ceste hé-résie, si nous croyons les anciens docteurs, a prins son origine de Simon le magicien. Au contraire il nous faut observer que les creatures font icy bas leurs œuvres en leur degré: lesquelles sont à esti-mer bonnes ou mauvaises, selon qu'elles sont faictes pour obéir à Dieu, ou pour l'offenser.2) Ce pen-dant Dieu, est par dessus, qui diriges) les choses à bonne fin, et tourne le mal en bien, ou pour le moins tire du bien de ce qui est mauvais, besong-nant selon sa nature: c'est à dire, en iustice et.

équité: et [page 100] s'aidant tellement du diable, qu'il ne se mesle point avec luy pour avoir rien de commun ensemble, ou pour s'envelopper, en quelque société du mal, ou effaçant4) la nature du mal par sa iustice. Car tout ainsi que le soleil, donnant de ses rayons sur une charongne, et cau-sant en icelle quelque putrefaction, n'en tire point de corruption ne macule aucune, et ne faict point par sa pureté que la charongne ne soit puante, et infecte: aussi Dieu faict tellement ses œuvres par les meschans, que la saincteté qui est en luy. ne les iustifie point, et l'infection qui est en eux ne le contamine en rien.

L a troisiesme espèce de l'opération de Dieu gist et consiste en ce qu'il gouverne ses fidèles, vivant et regnant en eux par son sainct esprit.

Car entant que nous sommes corrompus par le péché originel, nous sommes comme une terre sèche et sterile, qui ne peut produire aucun bon fruict.

Car nostre iugement est pervers, nostre volunté est rebelle contre Dieu, encline et adonnée [page l o i ] à, mal: toute nostre nature en somme est vitieuse.

Estans telz, non seulement nous n'avons point le pouvoir de nous appliquer à, bien, mais, qui plus est, nous ne sommes point idoines à concevoir une seule bonne pensée, comme dit sainct Paul (2 Cor.

3, 5) : mais faut que toute nostre suffisance vienne de

1) non propeerea excusari ipsos aut expiari quo minus délinquant.

2) Le traducteur met simplement: hoc vel illo fine.

3) adresse 1611.

4) C'est ainsi qu'on lit dans la première édition, et dans le texte latin (vel inali naturam deleat etc.). Mais les autres éditions ont une leçon qui nous paraît préférable: en effaçant.

.191 CONTRE L A S E C T E 192 . luy, E t pourtant c'est luy qui faict en nous le

vouloir et le parfaire (Phil. 2, 13), ce est luy qui nous illumine, pour venir à sa congnoissance: c'est luy qui nous tire: ce est luy qui forme nouveaux cùeurs en nous, amollissant nostre dureté : c'est luy qui nous inspire à prier: c'est luy qui nous donne la grace et la force de résister à toutes les tenta-tions de Sathan: c'est luy qui nous faict cheminer en ses commandemens (Ez. 36, 27). Mais ce pen-dant il nous faut noter que de nature nous avons en nous election et volunté. Au reste d'autant que par le péché l'une et l'autre est dépravée: nostre Seigneur les reforme et les change de mal en bien.

Ce donc que nous sommes propres à discerner, à vouloir, à faire cecy ou cela, c'est de [page 102] don naturel. Ce que nous ne pouvons eslire, désirer, ne faire que le mal: cela est de la corruption du péché. Ce que nous desirons de bien faire, et avons le pouvoir de l'exécuter, c'est de la grace supernaturelle de l'esprit, lequel nous régénère en une vie divine. Voila donc comment Dieu besongne en ses enfans. C'est qu'en abolissant leur perver-sité, il les conduit par son Esprit en son obéissance.

Or. ces estourdis en gasouillant que Dieu faict tout, le font autheur de tout mal: et puis après, comme si le mal changeoit de nature, estant couvert soubz ce manteau du nom de Dieu, disent qu'il est bon. E n cela ilz blasphèment Dieu plus mescham-ment, que s'ilz transferoyent sa puissance ou sa iustice ailleurs. Car comme ainsi soit que Dieu n'ait rien plus propre que sa bonté: il faudrait qu'il se renonçast soymesme et se transmuast en Diable, ' pour faire le mal qu'ilz luy attribuent. E t de faict,

le Dieu qu'ilz ont est un idole, qui nous doit estre en execration plus grande [page 103] que nul idole des Payens. Mais ilz se pensent bien laver les ' mains, en respondant: nous disons que tout est bon,

puis que Dieu l'a faict. Comme s'il estoit en eux de convertir le noir en blanc. Les voila bien acquitêz, quand après avoir appelle Dieu brigand, et. paillard, et larron, ilz adiousteront qu'il n'y a point de mal en tout cela. Voire, mais qui a con-damné le meurtre, la paillardise et larrecin, sinon Dieu? il faudrait donc à ce compte que nous le feissions menteur en sa parolle, ') pour l'excuser en ses œuvres. Mais l'escriture, disent ilz, prononce universellement, que Dieu faict toutes choses en tous (1 Cor. 12, 6). l e respons qu'ilz appliquent

•mal et faulsement l'escriture à ce propos. £!ar quand sainct Paul use de ceste sentence, il ne parle sinon des graces du sainct Esprit. Qu'ainsi soit, le passage le monstre : auquel il exhorte les Corin-thiens, d'en bien user, puis que ce sont dons de

1) en sa parolle, manque dans la traduction.

Dieu: d'autant, comme il diet, que nul ne peut dire un seul mot en la louange de Iesus Christ, sinon en parlant [page 104] par le sainct esprit duquel tout bien procède (1 Cor. 12, 3). Or quant au bien nous le laissons ') voluntiers à Dieu.2) Mais où monstreront ilz que Dieu desrobe en un larron?

qu'il meurtrisse les innocens en un brigand? Par-quoy, la couverture qu'ilz prennent n'est pas pour purger le blaspheme, mais plustost pour le redoubler.

. C H A P I T R E XV. X

De la seconde consequence qui s'ensuit