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Le mode de constitution des liens au sein d’une famille : la question des alliances et du

IV. PROBLEMATIQUE

4.4 Reprise du cheminement théorique en lien avec la théorie psychanalytique familiale

4.4.1 Le mode de constitution des liens au sein d’une famille : la question des alliances et du

Dans le lien groupal familial, « les membres sont constituants d’une chaîne générationnelle qui

les précède dont ils ont la charge de prolonger » 116 (Aubertel, 2006). En effet, nous avons vu que la famille fonctionne à la fois sur un axe dit « diachronique » qui : « se retrouve sur la

dimension générationnelle et l’héritage psychique qui se transmettent dans la constitution des liens identitaires de filiation » 117(Cuynet, 2005) et sur un axe dit « synchronique » (Aubertel, 2006) (« ici et maintenant ») « organisant l’intragroupal des membres qui la composent, en

l’articulant avec le socius qui l’entoure, et avec ses règles symboliques et humanisantes »118.

4.4.1.1 Le berceau psychique

« On est tissu avant d’être issu » (Ruffiot, 1981)

Selon Ruffiot (1981), la présence d’un inconscient familial, préexiste à la constitution du Moi psychique prématuré du sujet naissant, le groupe familial constituant « l’arrière-fond

narcissique » (Kaës, 1993) sur lequel l’enfant prendrait appui pour sa construction psychique : « pour tisser une réalité, le sujet psychique ne peut à l’origine que se mouler sur des formes contenantes afin de se délimiter des contours »119 (Cuynet, 2005). Ainsi comme le disait

Ruffiot, « on est tissu avant d’être issu » (1981). Au début, le moi serait sans frontière, corporel, c’est un moi flou, où la délimitation se fera par habitation progressive du corps et incorporation graduelle de la psyché. La transmission inconsciente en forme d’éléments de dépôts en provenance de l’inconscient groupal familial en serait facilitée : « ce qui nous amène à penser

le sujet non comme une pure émanation du somatique, mais comme procédant d’un fond psychique groupal, généré dans l’espace inter et trans-subjectif sur lequel émerge une figure qui aura, si possible, une histoire singulière »124 (Cuynet, 2005). En effet, la famille, comme

tout groupe, est constituée sur des éléments primitifs de la psyché, qui lient les membres entre

116 AUBERTEL (2006). Indications pour une thérapie familiale psychanalytique. Revue de psychothérapie psychanalytique du groupe.116/1 117 CUYNET, P. (2005). L’image inconsciente du corps familiale. Le Divan Familial. 2005/2 (n°15), p 46.

118 Ibid, Aubertel (2006) p 62

119 CUYNET, P. (2005). L’image inconsciente du corps familiale. Le Divan Familial. 2005/2 (n°15), 43-58. 124 Ibid, p 46

eux par leurs alliances, par l’intermédiaire du mécanisme de l’interfantasmatisation, c’est-à- dire une communication de psychisme à psychisme en deçà de toute secondarisation des relations.

Lorsqu’un bébé vient au monde, se rejoue la redistribution des alliances inconscientes entre les membres : « Les alliances inconscientes primaires sont au principe de tous les liens » (Kaës, 1985). La famille, autour du berceau, doit s’assurer tout d’abord que le corps du nouveau-né vient bien les représenter, et leur ressemble suffisamment : « l’arrivée d’un bébé mobilise les

enjeux pulsionnels et favorise l’urgence d’investir un nouvel arrivant qui bouscule l’homéostasie du réseau familial »120 (Cuynet, 2008), cela pour pouvoir s’attacher à lui et

l’assigner à une place qui lui permettra de prendre à sa charge les valeurs familiales, à la fois dans la perpétuation et l’inscription du groupe dans un espace plus large. Il s’agit pour l’enfant de prendre une place acceptable pour le groupe, et pour lui-même en tant que sujet. C’est la notion de « contrat narcissique » définie par Pierra Aulagnier (1975) : « Charge à toi de prendre

l’héritage, de le transformer, afin de devenir toi-même »121.

4.4.1.2 Le stade du miroir familial

C’est ce que nomme Patrice Cuynet, « le stade du miroir familial » (Cuynet, 2001, 2010) où s’ouvre alors « un espace transpsychique, véritable lieu de dépôt d’un legs transgénérationnel

venu des ancêtres, éléments non mentalisés qui s’incorporent chez le futur sujet »122 (Cuynet,

2010,). La famille va alors se constituer tel un miroir qui reflète : « cette image du corps invisible

de la configuration des liens psychiques inter et trans-générationnels qui constituent l’unicité de la famille »123 (Cuynet, 2007). Par identification primaire, elle va à sa manière regarder

l’enfant : « à travers le prisme kaléidoscopique de son interfantasmatisation et de son ressenti

émotionnel d’ordre syncrétique ». En retour, le groupe est condamné à investir, car sa pérennité dépend de ce nouvel arrivant. Il en recherche les preuves dans une observation scrutatrice des capacités du corporel de l’enfant, afin d’étayer sa croyance narcissique et son idéalisation de lui-même ». 124 Et c’est sur ce fond syncrétique de nature groupale sur lequel le sujet naissant pourra prendre appui, pour qu’une représentation de lui-même puisse advenir.

120 CUYNET, P. (2008). La reconnaissance dans l’héritage. Le divan familial. 2008/1 (n°20), 48 121AULAGNIER, P. (1975). La violence de l’interprétation. Paris, PUF, 1986

122CUYNET, P. (2010). Lecture psychanalytique du corps familial. Le Divan familial. 2010/2 (N° 25), p 20.

123CUYNET, P. (2007). Trajectoire familiale du corps. In MARIAGE, A. CUYNET, P. (Sous la direction de). Corporéïté et famille. Presses Universitaires de Franche-Comté, p 20.

Le sujet est ainsi pris dans ce paradoxe inéluctable, aux confins de l’individuel et du groupal. Il va devoir trouver dans le parcours de sa vie, une solution de compromis, à savoir servir l’équilibre familial tout en servant sa propre subjectivité : « selon la place imaginaire qu’il

occupe dans le monde intrapsychique des parents et dans le monde inter et trans-psychique du groupe familial, le bébé va hériter d’un legs d’obligations lié fréquemment aux désirs insatisfaits et aux failles des précédents, ce qui peut faire souffrance. A-t-il le choix ? Peut-il refuser ? Comme on ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas les cartes avec lesquelles nous allons jouer la vie. Nous avons pourtant la liberté de les jouer selon notre style singulier »125

(Cuynet, 2008).

4.4.1.3 La question de la transmission psychique : transmission intergénérationnelle et transgénérationnelle

C’est donc en fonction de ces défauts de la transmission psychique à partir de l’héritage transgénérationnel négatif (« ses legs aliénants », Fustier, Aubertel, 1997), que vont se configurer les affiliations, les alliances, les appartenances groupales : « chacun va tisser des

liens de regroupement, en quête d’un lieu de dépôt et de ré-étayage de son héritage ingérable. Nos ancêtres nous lèguent un livre d’histoire dont ils nous imposent l’écriture des pages manquantes, arrachées, et nous avons des comptes à rendre sur ce qu’ils nous ont transmis ».126 (Evelyne Granjon, 1990). C’est en ce sens que nous pouvons reprendre l’hypothèse de

René Kaës ou « toute affiliation se fait sur les failles de la filiation » (1985).127 Déjà Freud (1914) avait pressenti cette conception de la transmission, où dans son ouvrage « pour

introduire le narcissisme », il évoque le narcissisme de l’enfant s’étayant sur ce qui manquerait

à la réalisation narcissique des parents.

a) Les deux formes de transmission psychique128

Dans un article, Evelyn Granjon (1990) en référence aux conceptions de René Kaës et de sa théorie psychanalytique du groupe, approfondie le phénomène de la transmission. Nous nous appuierons sur ses propos (p 64) :

Tout d’abord la transmission est un processus qui apparait obligatoire : « on ne peut pas ne

pas transmettre » et il est impératif de transmettre ».

125 CUYNET, P. (2008). La reconnaissance dans l’héritage. Le divan familial. 2008/1 (n°20), 48.

126GRANJON, E. (1990), «Alliance et aliénation, ou les avatars de la transmission psychiqueintergénérationnelle », Dialogue 1990/2 (n°108).

127 KAES, R (1985). Filiation et affiliation. Quelques aspects de la réélaboration du roman familial dans les familles adoptives, les groupes et

les institutions. Gruppo, 1, 23-46.

128GRANJON, E. (1990), «Alliance et aliénation, ou les avatars de la transmission psychiqueintergénérationnelle », Dialogue 1990/2

Elle distingue tout comme René Kaës, deux types de processus qui constitueraient deux aspects essentiels et nécessaires de la transmission que nous allons retenir :

- des processus de transmission avec transformation concernant « des objets transformables » dont la représentation intra-psychique est possible. Cette modalité de transmission est qualifiée de « transmission psychique intergénérationnelle ». - Des processus de transmission sans transformation que « la pulsion à transmettre »

impose, concernant alors des objets non-transformables issus de traumatismes de l’histoire familiale qui viennent se manifester dans le négatif (au sens de ce qui est non- pensé, non révélé et irreprésentable ; cette transmission trouve dans certaines zones psychiques ou somatiques et dans la trame du groupe, un lieu d’accueil et d’action). Cette transmission psychique est alors qualifiée de transmission psychique transgénérationnelle : « Transmis malgré tout et tels quels, ces éléments en souffrance

sont projetés, clivés, déniés, dans un véritable télescopage généalogique, puis diffractés dans le groupe. C’est la trace qui se transmet, ne peut être abolie et peut reparaître, quelques générations plus tard, sous forme d’énigme ou de signe, trouvant parfois son expression dans certains symptômes individuels somatiques ou psychiques et, au niveau groupal-familial, dans ce qui apparaît en thérapie sous forme « d’objets bruts »(…) « le sujet singulier a pour mission d’activement actualiser ce qui lui est Héritage généalogique et charge généalogique constituent pour le sujet singulier son histoire et son destin » (Granjon, 1990, p 65).

En fonction de l’histoire et de la problématique familiale, le sujet pourra plus ou moins « se dépêtrer » de son héritage, et son individuation sera plus ou moins possible.

b) La question du remaniement psychique des liens

Cet héritage va se remettre en jeu à des moments particuliers de la vie, qui peuvent occasionner de véritables crises, mais qui peuvent offrir également de réelles opportunités pour une réélaboration. Les liens familiaux sont en effet bouleversés périodiquement par les évènements ordinaires de la vie tels que les naissances, les morts, les mariages, mais aussi à la période de l’adolescence, c’est-à-dire tout ce qui vient potentiellement attaquer le fonctionnement connu par tous et la place de chacun avec les autres, et qui contribuent à retrouver l’équilibre dans les relations intersubjectives.

Nous avons vu que l’adolescence est une période correspondant à un mouvement de remaniement psychiques des liens qui n’est pas sans influence sur le groupe familial. En effet de son côté, l’adolescent a un travail de deuil à faire, de l’enfant qu’il a été, et doit se

désengager de ses liens objectaux, renoncer aux vœux œdipiens pour se tourner vers un choix d’objet « acceptable ». Ce travail psychique implique également un autre travail en parallèle du côté de la famille, et cela à plusieurs niveaux. Nous allons comprendre en quoi il consiste.

c) La résurgence de la part psychique non-traitée déposée par le groupe familial chez l’adolescent

Selon Benghozi (2007), quand l’un des membres de la famille est touché par l’adolescence, c’est l’ensemble du groupe familial qui est concerné par le même processus : l’adolescence

confronte les familles à des nécessités de réaménagements physiques comme psychiques et à des conflits souvent virulents, dont la charge émotionnelle est d’autant plus forte pour les parents qu’elle réactive des traumatismes de leur propre adolescence. Ce qui avait été déposé, mis « à l’abri » par des processus de diffraction et de projection dans l’espace psychique familial (J. Bleger, 1967) refait surface et revient en boomerang, avec d’autant plus de virulence que chacun tente de s’en protéger et que les mécanismes d’identification projective fonctionnent alors à plein régime »129.

Selon Françoise Aubertel (2011), l’adolescent en entrant dans le processus de séparation- individuation, tenterait de se départir des éléments négatifs projetés initialement par le groupe familial, en les restituant psychiquement à la famille : « l’enfant cherche, d’une certaine façon,

« à faire le ménage » dans son psychisme : celui-ci a toujours été plus ou moins squatté par des dépôts des projections parentales, issus des contrats narcissiques et des pactes dénégatifs qui ont présidés à la construction de son psychisme en devenir. (…) il tente de se dégager de ces projections, identifications, objets qui encombrent son espace psychique, et ce faisant, il les renvoie à l’espace commun ou à un destinataire précis »130. Cette situation marque alors la rupture de l’homéostasie familiale. Chez l’enfant « en mal d’adolescence », il y aurait une remise en question du contrat narcissique et une remontée à la surface du pacte dénégatif qui pourtant aurait dû rester « en consigne » (Aubertel, 2011), mais qui reste bien trop lourd à soutenir. En effet, le pacte comporterait les parts de souffrance non transformées de l’histoire de ses parents. Avec ce que nous pourrions nommer « ce retour à l’envoyeur », les parents sont alors en prise à leur insu, à la résurgence de leurs parts douloureuses non traitées. C’est ce que

129BENGHOZI, P-J. (2007). La trace et l'empreinte : l'adolescent, héritier porte l'empreinte de la transmission généalogique », Adolescence

2007/4 (n° 62), p. 756.

Pascal Roman (2005) nomme « le deuil de l’infans », où les parents sont placés à retraiter leur propre modalités de deuil à leurs objets de l’enfance.

d) Le deuil de l’infans

Pascal Roman définit l’infans comme : « la part des objets de l’enfance qui inscrit l’enfant dans

une histoire de relation primaire : il s’agit des investissements infantiles, liées à la dépendance à la sollicitude maternelle, qui sont marquées par les modalités sexuelles dites infantiles et livrés/soumis à la violence primaire de la fonction porte-parole de la mère »131.

Ainsi le processus-de séparation-individuation se rejouerait en miroir de son apparition chez l’adolescent, particulièrement sur le versant parental, où serait réactivé chez les parents : « les restes non-symbolisés de leur propre expérience de séparation à l’égard des

figures parentales, de leur propre expérience du deuil de l’infans »132.

L’état de la dynamique du lien familial marquée par cette période du travail de la séparation, et de la participation de la parentalité au sein de ce lien, se traduit alors par le concept de « position

dépressive familiale » (Roman, 1999), concept qui pour nous, a tout l’intérêt d’être présenté.

e) L’avènement de la position dépressive familiale e.1 Définition

Selon l’auteur, ce concept pourrait être proposé comme : « la métaphore familiale de la position

dépressive infantile décrite par Mélanie Klein » (1934, 1940) (Roman, 2005, p 193).

Initialement, la position dépressive infantile chez Mélanie Klein : « appartient à un système,

inscrit dans le projet d’une modélisation large pour la compréhension des étapes fondatrices de la procédure de séparation-individuation et de l’établissement de la relation objectale. (…) elle mettrait à l’œuvre une double dynamique, s’établissant, dans une intrication des processus, dans une participation à la constitution du narcissisme de l’enfant d’une part, et à son expérience d’une continuité narcissique dans l’ordre des générations d’autre part : ainsi assisterait-on à un double maillage des enjeux de la libido sur les plans narcissique et objectal qui va se traduire en termes d’alliances inconscientes. »133 (Roman, 2008).

131 ROMAN, P. (2005). « Perdre l’enfant » : le deuil de l’infans chez les parents d’adolescents. Psychothérapies. 2005/3. Vol 25, 188 132 Ibid, p 188

133 ROMAN, P. (2008). Evaluation de la dynamique familiale et position dépressive familiale : apport des méthodes projectives. Psicologia :Teoria

Dans la lignée de ce concept, Pascal Roman propose que le concept de position dépressive familiale viserait à rendre compte des modalités d’établissement des procédures de séparation/individuation dans la mesure où ces modalités se trouvent inscrites dans l’ordre des générations. Il définit alors la position dépressive familiale comme : « la capacité du groupe

familial à proposer un espace de différenciation suffisant, dans le cadre d’un mouvement de séparation/individuation qui engage les modalités selon lesquelles se sont construites, au sein de la famille, les transactions inconscientes propres à chacune des lignées maternelles et paternelles »134, Roman, 1999, p 139.

e.2 Les différentes voies de la position dépressive familiale

Pascal Roman dégage deux voies princeps de la position dépressive familiale : - Une voie structurante : « qui s’appuie sur un dégagement des liens incestueux

autorisant la confrontation et l’inscription dans des investissements différenciés sur le plan intersexuel et intergénérationnel » (Roman, 1999, p 141) ;

- Une voie défensive : « signe au travers de ce que j’appellerai une position de co-

étayage indifférenciée, la mise en sommeil des enjeux schizo-paranoïdes propres à l’accompagnement de la séparation, aux fins d’investir un lien à l’objet qui s’installera sur un mode anaclitique » (Roman, 1999, p 21). On y retrouve alors déni de la

séparation, clivage des modalités d’investissement parentales sur le mode amour/haine qui viendrait empêcher le processus de subjectivation.

Les trois grandes figures de la position dépressive familiale

Il décrit alors trois grandes figures de la position dépressive familiale, figures qu’il a mis en évidence par l’utilisation au cours de situations cliniques des épreuves projectives individuelles présentées (utilisation du Rorschach et TAT, au travers de protocoles recueillis en famille, selon la méthodologie présentée par Orgiazzi, 1993, 1994). Ainsi, Pascal Roman distingue135 :

134 ROMAN, P. (1999). La position dépressive familiale, un modèle pour penser la séparation. Apport des méthodes projectives. Psychiatrie de

l’enfant, XLII, I, 1999, 139.

135 ROMAN, P. (2008). Evaluation de la dynamique familiale et position dépressive familiale : apport des méthodes projectives. Psicologia :Teoria

- La figure du clivage où le sujet singulier serait « atomisé » selon deux modalités potentielles :

▪ Dans un retournement sur le sujet de la désorganisation née de la rencontre avec l’objet (vécu de perte de limites, perte de repères)

▪ Et/ou une projection sur l’environnement de la diffraction d’objets internes empêchant tout travail de liaison au sens d’une inscription généalogique. Ici le vécu du lien est soit persécutoire, soit sans objet.

- La figure de la confusion, qui s’organise à partir d’un déni de l’altérité, déni qui vise à protéger l’enveloppe familiale. Il existerait ici un rabattement des investissements narcissiques et objectaux selon un modèle s’apparentant à celui de la séduction.

- La figure de l’idéal familial, espace potentiel d’élaboration de la position dépressive familiale, support d’une circulation fantasmatique, et un dégagement au lien dépressif, ou l’altérité de l’objet serait reconnu.

L’aménagement de cette position dépressive familiale va engendrer alors selon nous, l’enclenchement d’un deuxième stade du miroir familial.

f) L’hypothèse de la constitution d’un deuxième stade du miroir familial

Nous l’avons vu, la période de l’adolescence, par le remaniement psychique des liens qu’elle impose, entraîne la résurgence de la part psychique non traitée déposée initialement en legs chez l’adolescent, par le groupe familial au moment de sa naissance. Cette situation rompt l’homéostasie groupale initiale et remet en jeu ce qui avait constitué « le berceau psychique », et « le miroir familial » permettant au sujet naissant, de s’appuyer sur ce fond synchrétique de nature groupal, rendant possible alors la construction d’une représentation de lui-même. La famille doit réaliser un travail psychique et refaire ce mouvement de se pencher sur son adolescent, ce qui va participer là aussi, « à la révision du nouage des liens de filiation

identitaire entre le sujet et son groupe d’appartenance »136 (Cuynet, 2007). C’est en cela que

nous proposons que se rejouerait à la période de l’adolescence, un deuxième stade du miroir familial. En effet, à cette période, c’est bien face à un corps nouveau, d’adulte naissant que le groupe familial a à faire. Les modifications physiologiques et corporelles brutales survenant à

136CUYNET, P. (2007). Trajectoire familiale du corps. In MARIAGE, A. CUYNET, P. (Sous la direction de). Corporéïté et famille. Presses Universitaires de Franche-Comté, p 24.

l’adolescence, révélant les marques de la maturation de l’appareil génital, place le groupe familial autant que leur adolescent, a un vécu « d’étrange-étrangeté » (Freud). Le corps adolescent en transformation déclenche des angoisses de nature groupale (de l’ordre de l’angoisse de perte) qui rejaillissent sur le corps familial, où les enveloppes de contenance, les limites sont impactées. La solidité et la structure interne du corps familial sont mises à l’épreuve. La nouveauté du corps, laisse place à la perte de repères, et met également à jour le possible départ prochain d’un membre du cercle familial, ce qui active la fonction de dé-liaison du groupe. Les polarités dedans/dehors, l’homéostasie familiale se trouve bousculée. Le corps familial, en lien avec la recherche d’équilibre entre un fonctionnement isomorphique (indifférencié) et homomorphique (laissant place à l’individuation), est alors traversé par des mouvements antagonistes lié à la reconfiguration des liens à l’égard de l’adolescent, marqués par des forces centripèdes et centrifuges (Cuynet, 2010) tels que rejeter/s’agripper, s’approprier/désinvestir, lâcher/resserrer. Ces mouvements marquent « la pulsation de

l’enveloppe groupale », où la tension pulsionnelle entre l’adolescent et sa famille « fait varier la place du corps, de centre à la périphérie de la cellule familiale »137 (Cuynet, 2007, p 24). Cette expérience de la perte et de la séparation, associée à la résurgence de la part psychique non traitée déposée initialement en legs chez l’adolescent, fait redistribuer les cartes de la configuration des liens psychiques inter et transgénérationnels. L’image inconsciente du corps familial, re-configure son enveloppe psychique, en fonction des traces restantes plus ou moins élaborées de l’histoire familiale et de la redéfinition des limites, en lien avec la résolution du deuil de l’infans des parents, et de la voie de structuration que prendra la position dépressive familiale.