• Aucun résultat trouvé

Approfondissement de l’origine psychique inconsciente de la mise en acte sexuelle

III. ARGUMENTAIRE THEORIQUE DU DISPOSITIF DE RECHERCHE

3.2 Au début était la pulsion

3.3.3. Approfondissement de l’origine psychique inconsciente de la mise en acte sexuelle

Ainsi, nous pouvons mieux comprendre l’économie psychique en jeu chez ces adolescents, où leur mise en acte sexuelle transgressive correspondrait à une voie de recours et de traitement palliatif à une fonction de symbolisation non opérante, en lien avec une insuffisance de refoulement des fantasmes incestueux et meurtriers, ces derniers étant réactivés durant cette période développementale spécifique qu’est l’adolescence. Ce mouvement répondrait à une problématique psychique irrésolue, inconsciente, où serait avancée l’idée d’un narcissisme fragile et mal étayé chez ces sujets depuis la période de l’enfance (Ciavaldini, 2000 ; Roman, 2010).

Nous proposons d’approfondir maintenant cette question.

Rappelons que la période de l’adolescence correspond à une période de remaniements psychiques spécifiques, aboutissant à la refonte des assises narcissiques et identitaires. Ce mouvement dynamique inconscient appelle une exigence de travail de transformation dont les particularités vont déterminer la qualité du passage, du monde de l’enfance à celui de l’adulte. La mise en œuvre de ces remaniements engage la mise en route nécessaire chez l’adolescent de ce que l’on nomme le « deuxième processus de séparation-individuation » (Blos, 1967). Nous proposons d’approfondir ce concept qui aura une place importante dans le fil de notre cheminement.

3.3.3.1 Le processus de séparation-individuation à l’adolescence

La notion de « séparation-individuation » a été introduite par Mahler en 1967. Cet auteur élabore un modèle de développement du nourrisson qui va de la symbiose à l’autonomie. Au début, il existe une unité mère/enfant, puisque le nourrisson est dépendant de sa mère qui assure ses besoins. Puis, vers l’âge de 6 mois, le processus de séparation-individuation se met en place. L’enfant commencerait alors à développer un fonctionnement autonome en présence de sa mère pour acquérir progressivement le sentiment d’être séparé d’elle, ce qui lui permettrait d’accéder à l’individuation. En référence à Kaës (1993), c’est la conscience d’être séparé qui serait une condition préalable à une vraie relation d’objet. Blos (1967), dans la lignée des théorisations de Mahler, propose l’idée qu’à la période de l’adolescence s’engagerait une deuxième phase du processus de séparation-individuation.

Selon Bernateau, qui s’appuie sur les différents travaux de Blos et de Mahler, l’adolescence et la petite enfance auraient en commun d’être des périodes de restructuration et de renégociation du lien à l’objet, bien que ce soit de façon inversée : « là où la petite enfance sépare l’enfant de la mère réelle grâce à l’internalisation de celle-ci, l’adolescence sépare au contraire l’enfant de ses objets internalisés pour l’amener à rencontrer un nouvel objet réel ».56 Isabelle

Bernateau considère alors la séparation comme jouant un rôle central à l’adolescence, qui

interviendrait aussi bien dans le processus de différenciation que dans le processus de subjectivation. André Green l’évoquait également sous cette forme : « une des fonctions

fondamentales de la psyché est de tendre vers la séparation pour promouvoir l’individuation»57.

3.3.3.2 Echec du processus de remaniement psychique et « aménagements pseudo » dans la clinique des adolescents engagés dans des

comportements sexuels abusifs

Pour poursuivre sur ces dernières remarques, nous avons vu que les agirs sexuels des adolescents sont marqués par la difficulté de ces derniers pour considérer l’autre (la victime) comme sujet souffrant, l’objet étant dénié dans sa subjectivité. Cet élément est un indicateur

d’un processus de subjectivation inopérant. A ce propos, il nous semble intéressant de

rappeler les différentes réflexions de Pascal Roman58, lorsqu’il évoque l’organisation du lien de l’adolescent avec la victime. Il explique que se rejoue alors « la problématique du même » (Roman, 2012, p 43) où l’autre s’assimile à un double spéculaire. Dans cette situation, nous

pouvons constater que la capacité de séparation de l’adolescent avec l’objet semble là aussi mise à mal. En effet, à un âge où l’adolescent doit s’orienter vers un choix d’objet qui implique

un dégagement de ses liens d’objets initiaux (figures parentales) et le traitement de la réémergence des fantasmes incestueux et meurtriers, il se replierait alors sur une rencontre du même en lien soit avec la proximité du rapport d’âge, soit à la connaissance de la victime, à l’appartenance à la même fratrie ( Roman, 2012 p 2) ou bien par un choix d’objet (enfant), qui impliquerait l’idée de substitution de l’objet parental par inversement de la position infantile entre l’adolescent et l’enfant victime (l’enfant étant vu dans une relation spéculaire, en un rapport « au même », et l’adolescent adoptant la position parentale). C’est le retournement de la passivation en son contraire dont parle Pascal Roman. Il y aurait alors « un gel d’inscription

56BERNATEAU, I. (2008). La séparation, un concept pour penser les relations précoces et leur réaménagement à l’adolescence. La psychiatrie

de l’enfant. 2008/2 (Vol 51), p 425-455

57GREEN, A. (1990). La folie privée. Paris : folio, p 146

» dans la temporalité (Roman, 2012 p 24). L’agir sexuel violent contribuerait ainsi, dans sa dimension de rupture, au processus de subjectivation de l’adolescent nécessitant de se mettre en place à cette période (Roman, 2011). La mise en acte, met alors en scène « son corps pris dans

le risque de la subjectivité » (Roman, 2012, p 23) mais dans une problématique du double

spéculaire, l’objet (la victime) étant dénié dans sa subjectivité. On se trouverait alors face à « un avatar de la composition de l’affect », dans la difficulté de reconnaissance de l’affect de la victime, concept que Roman (2015, p 42) emprunte à René Roussillon (2002). Ce qui rejoint la théorisation de Ciavaldini de l’agir comme « un affect inachevé » (1995) et comme une défaillance du lien à l’objet. L’auteur interprétant le passage à l’acte sexuel comme: « une

transgression qui surgit d’une incertitude narcissique et d’une défaillance du lien à l’objet externe. L’agir devient une tentative d’emprise et de suppléance face à un effondrement dépressif potentiel »59 (Ciavaldini, 2012).

Ainsi, alors que la majeure partie des adolescents sont en possibilité de s’adapter et de s’aménager face à la période pubertaire, les adolescents engagés dans des agirs sexuels violents resteraient quant à eux bloqués à cette phase de processus : « les adolescents qui s’engagent dans des agirs sexuels violents se présentent dans l’impossibilité de tenir en tension ces différents enjeux de la crise pubertaire. Pour eux, l’adolescence comme temps de corps en acte prend la forme d’agirs qui mettent en péril la continuité de leurs investissements et/ou qui témoignent de la grande précarité de leurs ressources narcissiques (…) l’une des voies que peut emprunter le travail psychique de l’adolescent est celle que je nomme « aménagement pseudo » (…) comme forme de court-circuitage du processus adolescent et de sa temporalité propre »60 (Roman, 2012).

Selon Pascal Roman, « ces aménagements pseudo » seraient révélateurs au cours du processus adolescent d’un échec de la liaison des motions identitaires-narcissiques et des motions identificatoires-objectales, traduisant une défaillance s’originant dans le développement psycho-affectif pré-pubertaire. (Roman, 2003). Pascal Roman s’appuie sur la conceptualisation de W. Winnicott (1974) autour de la crainte de l’effondrement et des défenses paradoxales, pour traduire les aménagements pseudo comme des défenses pare-excitatives de dernier recours, qui interviendraient alors pour gérer les excitations (internes), en tentant de les contenir à la surface (externe).Ceux-ci traduiraient une tentative de se sortir de ce processus d’adolescence, par une modalité de réponse à l’environnement sur un mode traumatique : « qui viserait à la fois à

59CIAVALDINI, A. (2012). Violences sexuelles chez les mineurs. Moins pénaliser, mieux prévenir. Paris : Editions In Press, p 77. 60 ROMAN, P. (2012). Les violences sexuelles à l’adolescence. Comprendre, accueillir, prévenir. Paris : Elsevier-Masson, p 24-25.

pallier la réémergence du conflit œdipien, dans sa version propre à l’évolution du développement libidinal à l’adolescence, tout en maintenant les investissements au plus près des exigences parentales ». (…) Et c’est dans la répétition de l’expérience de la confusion, que s’engagerait l’espace d’une élaboration potentielle (…) où il s’agirait tout à la fois d’éprouver, dans la répétition, l’expérience traumatique et de se prémunir contre l’effondrement.61 (Roman,

2003), Ainsi, pour Pascal Roman, l’agir sexuel violent à l’adolescence rendrait compte, au travers de l’investissement d’une structure instable, d’une manière de cristalliser des mouvements pulsionnels, et d’une tentative de réorganisation paradoxale du lien infantile aux figures parentales.

L’énoncé de ces éléments pourrait se traduire également selon nous, en toute cohérence théorique avec ce qui a été précité, par une tentative de résolution détournée non-opérante, du processus de séparation-individuation chez ces adolescents.

Ces nouvelles données offrant une compréhension de la problématique sous un angle de vue plus élargi, nous proposons de les illustrer en guise de résumé, par un second schéma situé ci-dessous.

61ROMAN, P. (2003). Les aménagements pseudo : figures paradoxales de la résolution de la crise adolescente. Psychothérapies 3/2003 (Vol.

Schéma 3 : récapitulatif

Dans ce deuxième schéma, illustrant une compréhension de la problématique des adolescents engagés dans des agirs sexuels violents plus approfondie que le précédent, nous retrouvons l’adolescent, en situation d’être confronté inconsciemment à la réactivation des fantasmes œdipiens et meurtriers, lié à la mise en route du processus pubertaire (Gutton, 1990). Cette réactivation des fantasmes déclenche pour en tenter le traitement, la mise en route du processus de séparation-individuation (Bloss, 1967), destiné à réaliser le deuil aux objets parentaux de l’enfance, et le choix d’un objet extérieur « acceptable ». L’échec de la résolution de ce processus aboutira à un « aménagement pseudo » (Roman, 1999)

SYMPTOME: Agir sexuel violent

Echec de transformations des pulsions: autre voie

«Aménagement pseudo» de l’adolescent

Enclenchement du processus de séparation- individuation Echec processus d’individuation Echec processus de subjectivation

Réactivation des fantasmes œdipiens et meurtriers

correspondant à un réaménagement paradoxal des liens parentaux. Ce mode de réaménagement ne permettra pas un travail de transformation approprié des pulsions, ce qui aboutira à une décharge par le recours à l’agir, correspondant au symptôme de l’agir sexuel violent.

Tableau récapitulatif des concepts utilisés pour ce schéma

Concepts théoriques

psychodynamiques utilisés

(abord intra-psychique)

Auteurs

Symptôme Freud (1905) Pulsion Freud (1915)

Fantasmes œdipiens et meurtriers Processus pubertaire

Freud (1910) Gutton (1990)

Processus de séparation-individuation Mahler (1967) Bloss (1967)

Aménagement pseudo Roman (1999)

Agir

Agir sexuel violent adolescent

Balier (1996), Ciavaldini (2004), Jeammet (1980)

Roman (2012)

Ces éléments étant posés, nous allons pouvoir passer à l’étude de la problématique.

IV. PROBLEMATIQUE