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Les apports potentiels liées à la prise en compte de la groupalité familiale dans la

V. HYPOTHESES

5.2 Approfondissement de l’hypothèse et proposition d’une modélisation

5.3.1 Les apports potentiels liées à la prise en compte de la groupalité familiale dans la

L’énoncé de notre hypothèse, suppose l’intérêt de la prise en compte de la groupalité familiale dans la clinique de l’agir sexuel violent d’un point de vue évaluatif d’une part, pour approfondir à un autre niveau les données cliniques maintes fois repérés par les praticiens et les chercheurs dans le domaine d’étude intrapsychique de ces adolescents, à savoir la constitution d’un narcissisme fragile et le blocage du processus adolescent ; et pour permettre par l’apport de ces connaissances supplémentaires, la possibilité de mise en œuvre d’actions opérantes d’un point de vue thérapeutique d’autre part.

Nous avions vu que selon René Kaës, l’espace intrapsychique individuel n’est plus considéré comme le lieu unique de l’inconscient. L’auteur a élaboré alors une métapsychologie intersubjective de l’inconscient, où il démontre que les formations et les processus qui sont à l’œuvre dans le lien intersubjectif et notamment dans sa forme groupale, témoigneraient du même inconscient que celui qui est étudié par la psychanalyse dans le domaine intrasubjectif, à la différence près où, ne se mettraient pas en œuvre les mêmes formations et les mêmes processus, en comparaison à l’étude du sujet. Cette hypothèse traduirait ainsi la possibilité d’étudier une part de ce même inconscient à des niveaux d’inclusion différents (intrapsychique/intersubjectif ou bien intragroupal), à la condition de la prise en compte de la spécificité propre au niveau d’inclusion étudié, le type de ses processus, et les formations psychiques qui lui sont associées. René Kaës évoquait par ailleurs en 1993, l’intérêt d’une lecture groupale familiale pour la prise en compte du sujet. Il s’exprimait en ces mots : « la psychothérapie familiale psychanalytique pourrait fournir de précieuses données sur les modalités constitutives de l’inconscient de chaque sujet, au lieu même de leur interstructuration avec le groupe familial » (…) on peut supposer que la mise en œuvre de dispositifs méthodologiques aptes à développer une situation de travail psychanalytique avec une famille (…) constituerait assurément un progrès considérable pour la validation de ces hypothèses (…) malheureusement il existe encore peu de recherches sur ce problème décisif (Kaës, 1993)140.

Rappelons que Kaës, perçoit dans le modèle de l’appareil psychique groupal la possibilité de trois niveaux d’analyse :

- celui du sujet singulier dans le groupe. - Celui des liens de groupe.

- Et celui du groupe comme ensemble.

Rappelons que selon René Kaës, l’étude de ces différents niveaux d’analyse de l’appareil psychique groupal, nécessiterait alors une prise en compte et une prise en charge spécifique telle que la mise en œuvre de dispositifs réunissant plusieurs sujets, considérés dans leurs liens et l’ensemble psychique qu’ils constituent : « Entendue dans ce registre, la problématique de

l’intersubjectivité nous ouvre l’accès à des souffrances psychiques et à des formes de la psychopathologie contemporaine qui ne peuvent être comprises, analysées et soulagées que

d’être articulées avec les valeurs et les fonctions qu’elles ont prises ou qu’elles continuent de prendre pour un autre, pour plusieurs autres et finalement pour le groupe dont le sujet est partie constituée et partie constituante » (…) la clinique nous apprend que, du fait de ces liens,

une psychopathologie spécifique affecte les couples, les familles, les groupes et les institutions » (Kaës) (..) ces troubles ne sont pas accessibles à une connaissance et à un traitement par le

seul moyen de la cure classique. D’autres accès se sont avérés utiles, sinon nécessaires pour mettre en évidence et en travail le fait, établi par Freud dès l’analyse de Dora, que le symptôme est « tenu de plusieurs côtés », et notamment du côté du groupe familial.141(2008)

En affiliation avec la théorisation de René Kaës, ainsi que la théorisation psychanalytique familiale, nous proposons que la prise en compte de notre hypothèse familiale, par l’exploration d’un niveau d’inclusion différent, additionnel, qui serait celui de la groupalité psychique familiale, permettant l’étude du sujet adolescent singulier dans son groupe d’appartenance, des liens de son groupe, et celui de son groupe comme ensemble, rendrait compte d’une nouvelle perspective d’analyse innovante de cette clinique de l’agir sexuel violent adolescent.

Resitué dans un modèle d’inclusion aux théorisations précédentes, l’analyse de la groupalité familiale dans son niveau d’étude trans-psychique, pourrait conduire, suivant notre hypothèse,

141KAES, R. (2008). Définitions et approches du concept du lien. Adolescence, 2008/3 (n°65), 763-780.

à de nombreux apports cliniques et répondre aux enjeux thérapeutiques actuels de cette problématique spécifique. Nous proposons de les resituer dans le paragraphe qui va suivre.

a) Repérage de facteurs encore non-identifiés comme facteur de risque de l’agir sexuel violent adolescent

Nous l’avions repéré dans notre revue de question, l’élargissement de l’angle de vue de cette problématique répondrait à un besoin : « les données récentes provenant des études de suivi

auprès des adolescents délinquants sexuels suggèrent de ne pas restreindre l’ensemble des interventions et des évaluations au seuls aspects des abus sexuels (…) l’évaluation clinique doit demeurer plus extensive, puisque des facteurs demeurant non-identifiés comme facteurs de risque sont susceptibles d’être déterminants »142 (Tardif, Quenneville, Jacob, Auclair, 2012).

La prise en compte de la groupalité familiale dans la clinique de ces troubles, pourrait répondre à ces recherches de facteurs, à la fois comme facteurs de risque, mais aussi à la fois comme facteurs ressources pour l’évolution de l’adolescent.

b) Prise en compte de la groupalité familiale comme levier thérapeutique dans la recherche d’un meilleur réaménagement psychique de l’adolescent.

Si cette hypothèse se vérifiait, la connaissance des zones de blocage du processus de séparation- individuation à cette période de l’adolescence, dans une perspective groupale, pourrait alors permettre au thérapeute de disposer de connaissances précises du fonctionnement familial qui, si elles s’avéreraient mises en travail, pourraient offrir un effet de levier sur l’essai d’un réaménagement psychique de meilleure augure de l’adolescent (du point de vue du déblocage de son processus de séparation-individuation). En effet, on peut concevoir aisément que si l’adolescent doit trouver l’appui nécessaire sur son groupe familial, sur « son miroir familial », pour réaliser son travail de transformation propre à la phase développementale qu’il traverse, il y aurait un intérêt à restaurer la dynamique d’étayage de ce groupe, si celui-ci présenterait une défaillance à ce point de vue, notamment du point de vue d’un empêchement du travail psychique de séparation, caractérisé par une position dépressive familiale métadéfensive. Pascal Roman, lorsqu’il présente d’une manière générale le concept de deuil de l’infans des parents et la conceptualisation de la position dépressive familiale, évoque également l’idée d’un intérêt à prendre en compte l’abord familial: « mettre l’accent sur l’emboîtement de ces deuils

142 TARDIF, M. QUENNEVILLE, R. JACOB, M. AUCLAIR, N. (2012). L’évaluation clinique et du risque de récidive. In TARDIF, M.

JACOB, M. QUENNEVILLE, R. PROULX, J. (sous la direction de). (2012). La délinquance sexuelle des mineurs. Approche clinique. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, p 60.

permettrait d’en comprendre les ancrages générationnels et d’engager, dans la prise en compte soignante, le registre du familial ».143 (2005) (…) On peut faire du dégagement du lien infantile

aux figures parentales le cœur du travail à l’œuvre dans le processus adolescent149 (Roman,

2003).

Nous pouvons alors transposer cette proposition à la clinique de l’agir sexuel violent adolescent, où il y aurait un intérêt selon nous, à prendre connaissance d’éventuels points de blocage au sein du groupe familiale d’un point de vue évaluatif, et à les prendre en compte dans la prise en charge thérapeutique.

D’autant plus que les zones de blocage repérées pourraient prendre leur origine dans un processus antérieure à la période de l’adolescence si l’on se réfère au concept d’aménagement pseudo décrit par Pascal Roman qui pourrait traduire : « un traitement de ce qui a échappé à

l’élaboration, dans le temps de la première enfance, d’une subjectivité en appui sur des alliances narcissiques suffisamment stables au sein du groupe familial »144. Pascal Roman

(2003)

Et que celles-ci pourraient être révélatrices de problématiques du point de vue de la transmission

: En d’autres termes, on pourrait penser que nous sommes face à des histoires de transmission qui sont davantage marquées par des processus de l’ordre de l’identification intrusive, ainsi que propose de les penser A. Ciccone (1999), que par des processus d’identification projective, la marque de ces processus d’identification intrusive se traduisant sur le mode de

l’effraction145.

c) Recherche d’interruption de la transmission transgénérationnelle de la problématique d’abus sexuel

« L’urgence n’est pas seulement de transmettre, elle est aussi d’interrompre la

transmission » (Kaës, 1993)

« Vous avez semé un bébé et récolté une bombe » (Winnicott, 1971, Jeu et

réalité p 200)

Dans notre revue de question, nous avions constaté en effet, qu’il est loin d’être rare de retrouver une problématique d’abus sexuel chez l’un des parents (Tardif et al. 2005). Selon la théorie familiale psychanalytique et en référence à la théorisation psychanalytique du groupe de René Kaës, cet évènement traumatique, qui n’aurait pu bénéficier d’un traitement répondant à un

143 ROMAN, P. (2005). « Perdre l’enfant » : le deuil de l’infans chez les parents d’adolescents. Psychothérapies. 2005/3. Vol 25, p 188 149 ROMAN, P. (2003). Les aménagements pseudo : figures paradoxales de la résolution de la crise adolescente. Psychothérapies 3/2003 (Vol. 23), p 143.

144 Ibid, p 143. 145 Ibid, p 143

travail de transformation suffisant des éprouvés, se serait alors « transmis » à l’état brut, sur le mode de la transmission trans-générationnelle, comme malgré soi, à l’adolescent. Nous pouvons donc aisément imaginer, que l’hypothèse d’un deuil de l’infans difficile à réaliser par les parents, pourrait être dans de nombreuses situations, en partie, liée à cette problématique, et que le contrat narcissique de l’adolescent constitué à sa naissance, pourrait être lié à cette impossibilité du deuil des parents. Le repérer, et ainsi donner la possibilité au clinicien de le mettre en travail, pourrait permettre une lutte contre la récidive à un autre niveau encore peu investigué jusqu’à présent, alors que cela constitue un véritable enjeu de santé publique : celui de ce que l’on pourrait nommer : « la récidive post-générationnelle » de la problématique de l’abus sexuel, correspondant, le lecteur l’aura bien compris, à la répétition trans-générationnelle de l’abus sexuelle. En effet, au regard des statistiques révélant des chiffres importants de présence de la problématique sexuelle en amont générationnel de l’adolescent, nous pouvons aisément nous interroger sur le fait que de traiter celui-ci, et de constater qu’il ne récidive pas, ne préserve pas pour autant selon nous, d’une répétition trans-générationnelle de sa problématique au sein des générations ultérieures, si un travail en profondeur n’est pas réalisé à ce point de vue dans une perspective groupale familiale. Cette donnée est actuellement peu évaluée dans les recherches traitant de l’évaluation de la récidive. En effet, le niveau de difficulté tenant à une telle recherche en raison de la nécessité d’études longitudinales qu’elle imposerait, rend sa mise en œuvre difficilement applicable. L’apport de telles données rendrait toutefois toute sa pertinence à l’étude de l’efficacité des soins.

d) L’abord familial : un point de départ logique nécessaire, mais dans un construit théorique argumenté

Ainsi, l’abord familial dans la clinique de ces troubles nous semble un point de départ, logique, nécessaire.

Il n’est cependant pas récent. En effet, il faut souligner les apports systémiques dans ce domaine, notamment par des cliniciens tels que Nicole Tardif (Canada), ou Denis Lafortune (2002) précurseurs dans la prise en compte de la famille dans les soins de ces adolescents, pressentant, observant, l’idée d’une influence directe ou indirecte de la famille sur le développement de la problématique d’abus sexuels de l’adolescent, sans que cela soit traduit à ce jour, par des modèles théoriques intégrant les systèmes d’interactions complexes entre le jeune et son milieu familial.

Notre apport spécifique à notre niveau, consiste en une conception théorique orientée argumentée, du possible lien entre dynamique familiale et problématique du processus de séparation-individuation de l’adolescent, en appui sur les théories tenants au modèle psychodynamique dont celui de la théorie familiale psychanalytique encore peu investiguée jusqu’à présent, dans ce domaine de recherche. A travers un angle de vue hypothétique conceptuel précis, nous relions un niveau de compréhension psychodynamique initialement intrapsychique à un niveau de compréhension psychanalytique groupal familial, pour proposer une compréhension modélisée élargie du processus de l’agir sexuel adolescent, où dans le cadre d’un système d’interactions complexes, la dynamique familiale pourrait être à l’origine de cet empêchement du processus adolescent repéré initialement par les cliniciens de l’approche intrapsychique chez ces jeunes. Cet empêchement pouvant être le générateur de la mise en acte, point de départ de notre argumentation.

C’est ainsi que tout naturellement, nous dirigeons le focus sur la groupalité familiale, dans une perspective spécifique, trans-psychique, qui consisterait à prendre en compte le groupe famille dans sa capacité ou non à entrer dans une position dépressive familiale structurante, et de l’état du miroir familial constitué à cette période de l’adolescence.

Pour approfondir cette réflexion, nous proposons de répertorier plus précisément les marqueurs du miroir familial, qui pourraient nous permettre une telle investigation, en nous appuyant sur la conceptualisation théorique familiale psychanalytique. C’est ce que nous proposons de présenter au prochain chapitre.