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La recherche de marqueurs d’investigation de l’hypothèse

V. HYPOTHESES

5.2 Approfondissement de l’hypothèse et proposition d’une modélisation

5.3.2 La recherche de marqueurs d’investigation de l’hypothèse

Ces réflexions nous amène à nous interroger de la manière suivante : quels seraient les marqueurs groupaux de la famille dans sa capacité ou non à entrer dans une position dépressive familiale structurante, pour l’adolescent engagé dans des agirs sexuels violents, dans le contexte de cette dynamique de fonctionnement psychique groupale liée à la période de l’adolescence ?

Il est certain, que le mode d’aménagement du miroir dépend à la fois d’éléments structuraux et dynamiques du groupe familial, eux-mêmes s’articulant aux dimensions diachroniques et synchroniques du vécu groupal.

Pour étudier en finalité la constitution du miroir familial servant d’appui au remaniement psychique de ces adolescents, il nous semble nécessaire d’établir la recherche de marqueurs

suivant trois modalités d’investigations étroitement liées:

- Une dirigée vers l’étude de la qualité de la structuration du groupe familial (état structural).

- Une autre dirigée vers l’étude de la qualité de l’inscription généalogique (dimension diachronique).

- Et une autre dirigée vers l’étude du traitement pulsionnelle au sein de la famille (dimension synchronique et dynamique).

Le concept d’image du corps inconsciente familiale (Cuynet, 2005, 2010), constituant un organisateur de l’appareil psychique familial nous l’avons vu, au cours de sa présentation dans la partie théorique, constitue un concept fédérateur pour étudier ces différentes modalités, car il permet de rendre compte à la fois de la structuration et de la dynamique des liens familiaux, dans sa dimension diachronique et synchronique.

Par sa conceptualisation en enveloppe bi-face, l’image inconsciente du corps familial apporte à la fois la dimension d’étude de l’organisation des liens et de l’inscription généalogique (enveloppe d’inscription) et à la fois la dimension d’étude du mouvement et de la gestion pulsionnelle (enveloppe pare-excitatrice).

Ainsi, à partir de cet appui conceptuel, et de ces différentes modalités d’étude proposées, nous pouvons réfléchir aux marqueurs spécifiques d’un groupe familial « en mal de différenciation et de séparation », qui pourraient se traduire dans l’étude de l’image inconsciente du corps groupal.

Dans la présentation qui va suivre, nous différencierons les propositions de marqueurs suivant les deux dimensions d’étude des enveloppes psychiques de l’image inconsciente du corps familial proposées à savoir, l’étude de l’enveloppe d’inscription et l’étude de l’enveloppe pare- excitatrice. Nos propositions de marqueurs s’appuierons également sur la conceptualisation de Pascal Roman concernant l’étude de la position dépressive familiale, qu’il a lui-même expérimenté auprès d’une famille suivie (dont l’adolescent présentait un autre symptôme que l’agir sexuel violent), à partir de la passation familiale d’épreuves projectives individuelles (Rorschach/TAT), suivant une méthodologie présentée par Orgiazzi 146(1993, 1994).

146 ROMAN, P. (2008). Evaluation de la dynamique familiale et position dépressive familiale : apport des méthodes projectives.

a) Etude de l’enveloppe d’inscription de l’image inconsciente du corps familial a.1 Marqueurs à investiguer dans l’étude de la qualité de la structuration du groupe.

Selon Pascal Roman, la remise en jeu des liens parents-adolescents marquée par la perte de « l’infans » et les deuils associés, pourrait se repérer en premier lieu par l’étude de la modalité d’investissement du lien, qui peut se repérer au travers des alliances inconscientes, des fantasmes sous-jacents entre les membres suivant deux registres 147(Roman, 2005) : Celui du

registre préœdipien avec les enjeux narcissiques et identitaires : « en tant que reprise des

expériences précoces de différenciation sujet/objet telles qu’elles sont portées et élaborées par chacun des membres du groupe familial, et telles qu’elles se transfèrent dans le lien en négatif dans la qualité du lien intrafamilial »148 (Roman, 1999). Celui du registre œdipien avec les

enjeux objectaux et identificatoires : « propres aux procédures de différenciation intersexuelle

et intergénérationnelle, mobilisées par les enjeux inter-transgénérationnels »149. L’étude de ce

registre serait essentielle, car le défaut de structuration du fantasme œdipien pourrait empêcher l’accès à une position différenciée et individuée du sujet au sein de son groupe. Pascal Roman l’évoque ainsi : « Racamier a bien montré quant à lui de quelles manières les

défauts de structuration du fantasme œdipien au sein du groupe familial mettraient en péril, au travers de ce qui est transmis en terme d’alliances inconscientes, la capacité de chacun de ses membres à investir une place différenciée et stable quant à ses investissements identificatoires » Racamier décrit cet avatar à travers la figure de l’incestuel dont il propose qu’elle pourrait constituer un organisateur pathologique au sein du groupe familial »150. L’incestuel se

traduisant par le déni des origines, un fantasme d’auto-engendrement et un écrasement de l’inscription intergénérationnel. Dans le cadre « d’aménagements pseudo », le lien s’organiserait sous ce mode : « tout se passe comme si l’échec narcissique se retournait sur le

versant de la séduction, comme modalités de sutures des béances et/ou des effractions dans le lien à l’objet, caractérisant ce que P.C Racamier (1992) nomme séduction narcissique »151.

Suivant les critères d’étude de l’image inconsciente du corps familial dans sa dimension d’étude de l’enveloppe d’inscription, il nous faudrait ainsi vérifier :

147 ROMAN, P. (2005). « Perdre l’enfant » : le deuil de l’infans chez les parents d’adolescents. Psychothérapies. 2005/3. Vol 25, p 188 148 ROMAN, P. (1999). La position dépressive familiale, un modèle pour penser la séparation. Apport des méthodes projectives. Psychiatrie de

l’enfant, XLII, I, 1999, p 139

149 Ibid, p 139 150 Ibid, p 137 151 Ibid, p 137

▪ La nature de la relation d’objet au sein de l’appareil psychique familiale : l’existence d’alliances inconscientes fortes entre deux membres, marquées par une structuration des liens de type « anaclitique » (« en appui sur », empêchant la séparation et l’accès à l’individuation).

▪ L’existence de liens familiaux marqués par une fonction tiers non-opérante, un défaut de structuration du fantasme œdipien (révélateur du non-respect de la loi de l’interdit de l’inceste et de la différence générationnelle), signe d’un surmoi familial défaillant.

▪ L’existence d’une prédominance de fonctionnement de l’appareillage familiale en pôle isomorphique (indifférenciation), révélateur d’une image du corps familial dite « en rétractation » (Cuynet, 2005). Dans le cadre d’un pôle isomorphique prédominant, la difficulté d’accéder à l’individuation tient à une angoisse de perte d’objet partagée. La famille vise l’identique dans le but d’un étayage narcissique par le groupe ou d’un de ses membres, ce qui annule la question de la différence entre les uns et les autres et l’accès à la subjectivité propre. ▪ Des mécanismes de défense groupaux ayant recours au clivage, au déni, à la projection, révélateurs d’une angoisse de perte et de séparation (en lien avec la nécessité d’un lien anaclitique), révélateur d’une rigidité de l’enveloppe.

▪ Un diagnostic de fonctionnement familial se situant hors champ de structuration œdipien (mode d’aménagement anaclitique/narcissique/état limite).

a.2 Marqueurs à investiguer dans l’étude de la qualité de l’inscription généalogique Pour Pascal Roman, l’étude du registre d’organisation du mythe familial, qui constituerait selon lui, le pôle organisateur de l’homéostasie familiale, a son importance dans l’étude des marques singulières de la séparation, dans le sens où celui-ci pourrait contenir et fonder la reconnaissance pour chaque membre du groupe familial de l’existence de chacun. Le mythe familial serait à voir comme : « une structure transitionnelle pour expérimenter un sentiment

d’existence »152. L’auteur s’appuie ainsi sur la maxime de René Kaës : « la filiation se construit

sur la reconnaissance d’une inscription dans la chaîne des générations » (1993).

De même, l’étude de « l’enveloppe généalogique familiale » (Evelyne Granjon, 1987) pourrait permettre selon l’auteur la poursuite de cette étude des possibilités de la séparation- individuation. Ce concept organisateur de l’espace psychique familial, se fonde en effet sur la

152 ROMAN, P. (1999). La position dépressive familiale, un modèle pour penser la séparation. Apport des méthodes projectives. Psychiatrie de

constitution des alliances inconscientes. Selon Evelyne Granjon, il existerait ainsi trois organisateurs principaux de l’enveloppe153 :

- La fonction de délimitation et de frontière (en référence aux fonctions proposées par Didier Anzieu par son concept du Moi-peau de contenance, protection et structuration identitaire)

- La fonction de différenciation entre les générations (ordre fondateur de l’interdit de l’inceste)

- L’inscription des liens au sein de la famille (en fonction de l’histoire familiale et de son mode de transmission).

Nous retrouvons ces éléments également dans la conceptualisation de l’enveloppe d’inscription de l’image inconsciente du corps familial.

Les ruptures au sein de l’enveloppe généalogique familiale en terme de défaillance du point de vue de la contenance et de la transmission, se retrouveraient d’un point de vue clinique par le recours par le groupe familial du mécanisme de déni, clivage, et de configurations groupal évoquant le registre de la confusion.

Suivant les critères d’étude de l’image inconsciente du corps familial dans sa dimension d’étude de l’enveloppe d’inscription, il nous faudrait ainsi vérifier :

▪ L’existence d’un roman familial en panne d’écriture et de traces, révélateur de failles dans le processus identitaire.

▪ Une enveloppe en panne d’inscription, avec des failles du point de vue l’affiliation (identité), révélateur d’enveloppes psychiques familiales qui se confondent les unes dans les autres pour devenir une figure paradoxale sans début ni fin (concept « d’inclusions réciproques » de Sami Ali, 1985)

▪ L’existence de transmissions de type trans-générationnelle, favorisant la transmission de legs aliénants, tels que la transmission transgénérationnelle de la problématique d’abus sexuel (pouvant être à l’origine d’une impossibilité du deuil de l’infans des parents).

153 GRANJON, E. (2005). L’enveloppe généalogique familiale. In DECHERF, G. DARCHIS, E. (Sous la direction de ) Crises familiales et

reconstructions. Pari : In Press, collections psychanalytiques, 69-86

b) Etude de l’enveloppe pare-excitatrice

b.1 l’étude du traitement pulsionnelle au sein de la famille

L’étude de la dynamique de fonctionnement psychique doit également être complétée par l’étude de l’enveloppe pare-excitative qui rend compte de la pulsation de l’enveloppe groupal à cette phase de développement, ainsi que du traitement des excitations pulsionnelles groupales. A l’adolescence, dans la représentation d’une image du corps « qui palpite » : « il doit exister

une dynamique centrifuge, où le corps familial doit s’ouvrir au monde, en se dilatant pour s’enrichir d’éléments extérieurs »154. Si les liens psychiques seraient trop ténus, l’enveloppe familiale deviendrait opaque et étouffante, empêchant l’individuation des membres, et un investissement pulsionnel externe au groupe familial.

Suivant les critères d’étude de l’image inconsciente du corps familial dans sa dimension d’étude de l’enveloppe pare-excitatrice, il nous faudrait ainsi vérifier :

▪ La nature de la relation d’objet au sein de l’appareil psychique familiale : l’existence d’alliances inconscientes fortes entre deux membres, marquées par une structuration des liens de type « anaclitique » (« en appui sur », empêchant la séparation et l’accès à l’individuation).

▪ L’existence de liens familiaux marqués par une fonction tiers non-opérante, un défaut de structuration du fantasme œdipien (révélateur du non-respect de la loi de l’interdit de l’inceste et de la différence générationnelle), rendant compte d’un défaut de traitement des excitations groupales internes, et d’une faille du point de vue de l’enveloppe pare-excitative.

▪ L’existence d’une prédominance de fonctionnement de l’appareillage familiale en pôle isomorphique (indifférenciation), révélateur d’une image du corps familial dite « en rétractation » (Cuynet, 2005) et d’une rigidité de l’enveloppe pare-excitative. Dans le cadre d’un pôle isomorphique prédominant, la difficulté d’accéder à l’individuation tient à une angoisse de perte d’objet partagée. Les membres, peuvent alors difficilement s’autoriser à diriger leur investissement pulsionnel en dehors du groupe.

▪ Des mécanismes de défense groupaux ayant recours au clivage, au déni, à la projection, révélateur d’une angoisse de perte et de séparation (en lien avec la nécessité d’un lien anaclitique), ainsi que d’une rigidité de l’enveloppe.

154CUYNET, P. (2007). Trajectoire familiale du corps. In MARIAGE, A. CUYNET, P. (Sous la direction de). Corporéïté et famille. Presses Universitaires de Franche-Comté, p 21.

Nous présentons un tableau récapitulatif des marqueurs qu’il conviendrait d’investiguer pour la vérification de cette hypothèse spécifique

Tableau récapitulatif des marqueurs proposés en vue de l’investigation de notre hypothèses

ETUDE DE LA POSITION DEPRESSIVE FAMILIALE / DU MIROIR FAMILIAL CONSTITUE A L’ADOLESCENCE

PAR L’ETUDE DE L’IMAGE INCONSCIENTE DU CORPS FAMILIAL ETUDE DE L’ENVELOPPE D’INSCRIPTION

ETUDE DE LA QUALITE DE STRUCTURATION DU GROUPE

▪ ETUDE DE LA RELATION D’OBJET

- Etude des relations d’objets (Nature des alliances inconscientes de type anaclitique/ Mode de structuration des liens et histoire de ces

investissements)

▪ ETUDE DE L’EQUILIBRAGE GROUPAL DES LIENS

- Etude de l’équilibrage position isomorphique/homomorphique ▪ ETUDE DE LA STRUCTURATION DU FANTASME OEDIPIEN

- Etude du respect des interdits fondamentaux

- Etude de la dimension incestuelle

- Etude de l’opérativité du Surmoi familial

▪ ETUDE DES MECANISMES DE DEFENSES GROUPAUX UTILISES

- Etude si recours au clivage, au déni, à la projection, révélateur d’une angoisse de perte et de séparation

▪ ETUDE DE LA NATURE DES ANGOISSES GROUPALES

- Etude si existence d’angoisse de perte et de séparation ▪ ETUDE DU DIAGNOSTIC DE FONCTIONNEMENT FAMILIAL

- diagnostic de fonctionnement familial se situant hors champ de structuration œdipien

ETUDE DE LA QUALITE DE L’INSCRIPTION GENEALOGIQUE

▪ ETUDE DE L’ENVELOPPE GENEALOGIQUE ◦ Etude de la qualité du roman familial

- Connaissance des lignées

- Opérance des identifications, et de la différence générationnelle :

vérification si de l’existence d’enveloppes psychiques en mode d’inclusions réciproques

- Vérification de l’existence d’une enveloppe généalogique en panne d’inscription /Sentiment d’appartenance aux lignées

- Etude du soi familial

◦ Etude de la transmission

- Etude des alliances inconscientes

- Dépister l’existence de transmissions trans- générationnelles notamment, d’ordre de l’abus sexuel

- Nature des deuils de l’infans à réaliser pour les parents

VIETUDE DE L’ENVELOPPE PARE-

EXCITATRICE

ETUDE DU TRAITEMENT PULSIONNEL GROUPAL

▪ ETUDE DE LA RELATION D’OBJET (existence de collage, mode anaclitique) ▪ ETUDE DE L’EQUILIBRAGE GROUPAL DES LIENS

- Etude de l’équilibrage position isomorphique/homomorphique ▪ ETUDE DE LA STRUCTURATION DU FANTASME OEDIPIEN

- Etude de la dimension incestuelle

- Etude du traitement de l’excitation pulsionnelle dans la famille ▪ ETUDE DES MECANISMES DE DEFENSES GROUPAUX UTILISES (souplesse de l’enveloppe psychique)

- Etude si recours au clivage, au déni, à la projection, révélateur d’une angoisse de perte et de séparation

▪ ETUDE DE LA NATURE DES ANGOISSES GROUPALES Etude si existence d’angoisse de perte et de séparation

5.3.3 Des pistes déjà données avec Claude Balier par la clinique individuelle