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Chapitre 2. Cadre théorique et méthode

2.3 Méthode

2.3.6 Modélisation multi-agents des interactions entre système de décision, paysage

Les données issues de l’analyse des systèmes de décision et des éco-efficiences ont été intégrées dans un modèle de type SMA (Systèmes Multi-Agents) développé à l’échelle de l’exploitation.

2.3.6.1 Une démarche de modélisation itérative et exposée

Notre démarche de modélisation s’est faite de manière itérative, avec une alternance de phases de conception du modèle conceptuel suivies de phases de simulation et d’exploration du modèle, comme proposé par Jakeman et al. (2006) (Figure 2-22). Au regard des sorties du simulateur informatique, nous avons ajusté le modèle conceptuel pour avoir une meilleure représentation des dynamiques du système.

Figure 2-22 : Dix étapes itératives dans le développement et l’évaluation de modèles environnementaux

(Jakeman et al., 2006)

Face à l’impossibilité de prouver mathématiquement les propriétés des SMA, il est nécessaire de suivre quelques grands principes afin d’en améliorer la crédibilité et la fiabilité. Pour l’élaboration du modèle conceptuel et son implémentation informatique, nous avons cherché à suivre les propositions de Bommel (2009) :

 La première étape fondamentale a consisté à expliciter la question. Le modèle ne peut pas être une représentation mimétique de la réalité. Plus la question est large et le modèle complexe, plus on augmente les sources d’erreurs et de biais, moins il sera facile de contrôler les simulations et d’en expliquer les résultats. Il était donc nécessaire de formuler précisément la question dès le départ afin de fixer les objectifs du modèle et restreindre le champ de l’étude même si le processus de modélisation peut amener à faire évoluer cette question. Réfléchir aux types de résultats que l’on souhaite obtenir a été un moyen de nous aider à définir cette question.

 Dans un second temps, nous avons procédé à une description de notre modèle conceptuel (c’est-à-dire de sa structure et des comportements des agents) en diagrammes UML (Unified Modeling Language). Ce langage graphique, simple, formel et normalisé est fréquemment utilisé dans la programmation orientée objet.

Ses atouts sont nombreux. Facile à comprendre, il permet de rendre lisible un modèle à des non-informaticiens. De plus, il est très adapté aux démarches de modélisation participative, au sein d’équipes interdisciplinaires ou avec des acteurs locaux, puisque cette présentation transparente du modèle SMA permet de mieux discuter, d’expliquer mais aussi de critiquer les choix opérés. Cette discussion est très importante sachant qu’un modèle n’est pas neutre et que sa construction repose nécessairement sur une représentation subjective. De plus, l’usage de diagrammes UML permet à d’autres personnes de pouvoir répliquer le simulateur.

 La troisième phase a consisté à explorer les résultats du simulateur et à vérifier la robustesse du modèle. Cette étape est très importante pour améliorer la compréhension du modèle, repérer d’éventuels disfonctionnements et s’assurer que les résultats découlent uniquement des mécanismes du modèle et non d’artefacts liés à la programmation et au paramétrage. La fiabilité du simulateur offre davantage de crédibilité au modèle.

 Du fait que notre approche soit basée sur un petit nombre de cas d’étude, il existait un risque de construire un modèle Ad’hoc, c’est-à-dire un modèle très descriptif dont le domaine d'application se limite juste au jeu de données collectées. Ce type de modèle ne fournit aucune hypothèse falsifiable, aucune valeur informative et aucune connaissance supplémentaire. Même si notre modèle est très descriptif, nous avons cherché à représenter des agents qui soient simples et stylisés par rapport à la réalité locale.

2.3.6.2 Données pour le paramétrage du modèle

Les données qui nous ont servi à paramétrer le modèle et notamment le comportement des agents sont issues de trois sources :

 Les informations que nous avons collectées à partir de nos enquêtes par immersion et des analyses de paysage et interprétées à travers l’approche systémique, l’analyse des trajectoires et la modélisation graphique ;

 Les trois modèles précédemment construits par l’équipe du DP Amazonie dans la région d’Amazonie orientale :

- Transamazon qui analyse les dynamiques d’utilisation des sols et leurs déterminants dans un contexte pionnier (Bonaudo, 2005 ; Bommel et al., 2010).

- Floagri qui compare les effets environnementaux et économiques de pratiques alternatives aux techniques d’abattis-brûlis (agriculture de conservation et gestion durable de la réserve légale) (Bommel et al., 2014).

- Amaz qui évalue les impacts de différentes stratégies d’usages des sols sur les services écosystémiques et les performances économiques (Bommel et al., 2012). Notre modèle s’en est particulièrement inspiré pour décrire les processus de dégradation des pâturages, l’évolution de la végétation, la reproduction du troupeau, la hiérarchisation des actions, etc.

 Des données à dire d’experts, issues de la bibliographie et des précédents travaux de recherche de l’équipe du DP Amazonie utilisées pour affiner la conceptualisation des comportements des agents et la dynamique des ressources naturelles et paramétrer le modèle (Hostiou, 2003 ; Poccard-Chapuis, 2004 ; Tourrand et al., 2004 ; Veiga et al., 2004 ; Piketty et al., 2005 ; Tourrand et al., 2013).

2.3.6.3 Stratégies d’intensification des éleveurs et sorties du modèle

Afin de faciliter l’implémentation du modèle, nous avons mis en évidence les similitudes de comportement et les spécificités des six archétypes d’éleveurs identifiés dans la thèse. Deux principaux types de logiques existent vis-à-vis de l’intensification des usages des sols : un type intensif ayant recours à un haut niveau d’intrants et un type intensif ayant recours à un faible niveau d’intrants. Avec quelques variantes, ces logiques peuvent se décliner pour toutes les tailles d’exploitation (les exploitations familiales, les fazendas de moyenne taille, les grandes fazendas).

Ces dynamiques anthropiques (décisions de gestion des systèmes fourragers et usages des sols des éleveurs) sont croisées avec des dynamiques naturelles (évolution naturelle de la végétation et de trois types de ressources naturelles, l’eau verte, la fertilité et la structure des sols). Divers indicateurs biophysiques et socio-économiques sont mesurés afin de caractériser les trajectoires d’intensification et les dynamiques des paysages : la proportion des différents types d’usages des sols et leur distribution spatiale, le processus de division des pâturages, leur dynamique de dégradation, la récupération des réserves forestières et ripisylves, la productivité fourragère (capacité de charge des parcs et de l’exploitation) et animale (démographie), l’aggradation ou la dégradation des ressources naturelles, et le revenu de l’exploitation. Plusieurs de ces indicateurs sont spatialement explicites.

2.3.6.4 Simulation et scénarios

La simulation est une phase importante dans la modélisation car en déroulant le temps elle permet de faire interagir les entités et de voir émerger les propriétés globales du système qui ne sont pas nécessairement évidentes et prévisibles. Le recours aux simulations a d’autant plus d’intérêt dans notre analyse que certaines pratiques peuvent avoir des effets rétroactifs sur les ressources naturelles. De plus, la simulation permet de tester divers scénarios et ainsi de comparer les conséquences de changements sur le système. Les SMA se montrent particulièrement bien adaptés aux scénarios exploratoires, c’est-à-dire à des scénarios qui cherchent à savoir ce qu’il pourrait éventuellement se produire suite à des changements de décisions stratégiques prises par les agents ou suite à des évènements externes (politiques, économiques, climatiques, par exemple) qui vont générer de nouvelles opportunités ou contraintes sur les décisions (Börjeson et al., 2006).

Le modèle multi-agent a été implémenté sur la plateforme de simulation libre de droits Cormas (Common-Pool Resources and Multi-Agent Systems), version 2015, développée par l’UPR GREEN (CIRAD), http://cormas.cirad.fr (Le Page et al., 2012). La programmation est basée sur langage orienté-objet SmallTalk. Cormas produit deux types de variables de sorties :

 un rendu virtuel spatialisé des paysages observable à différentes échelles spatiales (au niveau du pixel ou d’unités agrégées) ;

 des indicateurs non spatialisés (sondes) observables soit au niveau global (plusieurs entités) soit au niveau individuel (une entité).

En l’état actuel de développement, le modèle ne simule que le scénario de base (business as usual) qui correspond au projet d’intensification des éleveurs intensifs consommant un haut niveau d’intrants (forte intensification) vs les éleveurs intensifs utilisant un faible niveau d’intrants (faible intensification) pour une taille moyenne d’exploitations (1000 ha dans la région).

Conclusion du chapitre

Dans ce chapitre, nous avons présenté les cadres théorique et méthodologique employés pour analyser les décisions relatives à l’intensification des systèmes fourragers en lien avec l’éco- efficience des paysages.

Sur le plan théorique, le paysage, défini comme un agroécosystème spatialisé, dynamique et piloté par un ou plusieurs systèmes de décisions fournit un cadre pertinent pour l’analyse conjointe des dynamiques de production économique et de gestion des ressources naturelles et raisonner la construction de paysages plus éco-efficients. Le paysage, géré par de nombreux acteurs, est majoritairement façonné par les éleveurs bovins sur les fronts pionniers d’Amazonie brésilienne orientale. Cette unité décisionnelle étant la principale entité de gestion des paysages, c’est donc à cette échelle que nous avons focalisé notre analyse spatiale du processus d’intensification. Nous sommes partis de la compréhension des décisions des éleveurs à l’origine des pratiques d’intensification et de l’organisation de ces pratiques dans les paysages. Pour ce faire, l’exploitation agricole est conceptualisée comme un système socio-écologique, adaptatif et dynamique, interagissant avec un environnement complexe et changeant. Pour appréhender les adaptations et les dynamiques dans ces systèmes, nous nous sommes appuyés sur le cadre des trajectoires et la modélisation multi-agents.

Sur le plan méthodologique, les systèmes d’exploitation étant complexes et la compréhension des décisions nécessitant un important travail de terrain, nous proposons d’étudier un petit échantillon d’exploitations agricoles représentatives de la diversité des systèmes d’élevage face à la transition agraire, sélectionnées empiriquement sur la base d’un zonage territorial, de connaissance d’experts, et d’entretiens exploratoires. Notre méthode de collecte des données dans ces exploitations repose sur des enquêtes par immersion qui visent à décrire le fonctionnement de l’exploitation, les pratiques d’usages des sols, de gestion de systèmes fourragers et des ressources naturelles. L’analyse des données est basée sur la formalisation des trajectoires d’exploitation et de modèles paysagers. Ceci permet d’identifier les principaux déterminants de la localisation des pratiques dans les paysages, mais aussi les facteurs externes à l’exploitation qui ont favorisé le processus d’intensification. Le rôle des pratiques dans les éco-efficiences a été apprécié à partir d’une approche qualitative (via un tableau qualifiant l’impact des pratiques sur les ressources) et quantitative (via un bilan énergétique mesuré avec l’outil de diagnostic ANERPAAM). L’ensemble de ces données couplées à des connaissances d’experts de notre équipe et à des données bibliographiques sont enfin utilisées pour conceptualiser un système multi-agents représentant les stratégies d’usages des sols et de gestion du système fourrager d’une diversité de profil d’éleveurs et simulant les impacts de ces stratégies sur les paysages. Ce modèle a été implémenté via la plateforme Cormas.

Chapitre 3. Intensification des systèmes d'élevage,