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Chapitre 1. Contexte : Des systèmes d’élevage efficaces sur les fronts pionniers

1.3 Concilier élevage et forêt dans des paysages plus éco-efficients

1.3.2 Application du concept d’éco-efficience aux paysages d’Amazonie orientale

Récemment, plusieurs cadres de pensée ont émergé proposant de nouvelles alternatives à l’agriculture conventionnelle : l’agriculture durable, l’agriculture biologique, l’agriculture bas niveau d’intrants, l’agroécologie, l’éco-agriculture, l’agriculture écologiquement intensive, l’intensification durable, l’agriculture intégrée, l’agriculture de conservation, l’agriculture climato-intelligente... (Bonny, 2011 ; Chappell & LaValle, 2011 ; Griffon, 2013 ; Pretty & Bharucha, 2014). Ces formes d’agriculture se distinguent de l’agriculture conventionnelle par une mobilisation plus importante des processus écologiques au sein des agroécosystèmes et par le changement des pratiques basées sur la réduction voire l’élimination de l’usage des pesticides, des fertilisants inorganiques et de la mécanisation (Chappell & LaValle, 2011). Toutefois, les objectifs, les méthodes de production et les biens et services produits peuvent différer entre concepts1 (Pretty & Bharucha, 2014).

La transition des systèmes de production vers une meilleure mobilisation des processus écologiques requiert certes un changement des pratiques au sein des agroécosystèmes mais également une optimisation de l’organisation spatiale de ces pratiques dans les paysages (Bommarco et al., 2013 ; Öborn et al., 2014). Par exemple, l’agencement spatial des usages des sols a un rôle critique sur le cycle de l’eau (Gordon et al., 2010) et la qualité de l’eau (Chaplin-Kramer et al., 2016), le recyclage et les flux des nutriments (Sane et al., 2016), le stockage de carbone (Gilroy et al., 2014 ; Chaplin-Kramer et al., 2015), la biodiversité (Sabatier et al., 2014 ; Steckel et al., 2014), le contrôle des nuisibles (Tscharntke et al., 2005 ; Médiène et al., 2011). La dimension spatiale des pratiques est d’autant plus fondamentale dans les systèmes d’élevage bovins amazoniens que les prairies conduites de manière extensive occupent de très vastes surfaces.

Dans les systèmes d’élevage d’Amazonie orientale brésilienne, il existe d’importantes marges de manoeuvre pour encourager un mouvement d’intensification qui se fasse en adéquation avec la localisation des ressources naturelles et optimisent davantage les processus écologiques. En effet, comme nous l’avons expliqué précédemment, les éleveurs ont mis en valeur des terres pour des objectifs fonciers, sans nécessairement considérer la distribution spatiale des ressources naturelles dans ces paysages. Aussi, pour mener cette réflexion, nous nous sommes appuyés sur le concept de paysages éco-efficients.

L’origine de l’éco-efficience date du début des années 70 lorsque dans son rapport intitulé The Limits to Growth (Halte à la croissance), le « club de Rome » prône la nécessité de mieux gérer les ressources naturelles de la planète tout en maintenant un même niveau de produits économiques. Mais, le concept d’éco-efficience ne sera formulé pour la première fois qu’en 1991 par Stephan Schmidheiny et le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), dans le livre Changing Course. Dans cet ouvrage, l’éco-efficience

est définie comme un compromis entre performances environnementales et économiques (World Business Council for Sustainable Development, 2000). La déclinaison de ce concept dans le secteur agricole est plus tardive et son utilisation va principalement se disséminer à la suite de la parution du plan stratégique 2010-2012 du CIAT (International Center for Tropical Agriculture), « Eco-Efficient Agriculture for the Poor » (CIAT, 2009), puis du plan stratégique 2014-2020 « Building an eco-efficient future » (CIAT, 2014). Les définitions sont toutefois variables. Pour le CIAT, outre les performances économiques et environnementales, la dimension sociale est importante : « Eco-efficient agriculture increases productivity while reducing negative environmental impacts. Eco-efficient agriculture meets economic, social, environmental needs of the rural poor by beeing profitable, competitive, sustainable and resilient » (CIAT, 2009). Pour d’autres auteurs, la définition se restreint aux dimensions économiques et environnementales. Il s’agit de « l’efficience avec laquelle un ensemble de produits agricoles (évalués en termes de quantité ou qualité) est obtenu à partir d’un ensemble de ressources naturelles (terre, eau, nutriments, énergie, diversité biologique) tout en minimisant la production d’externalités environnementales négatives (e.g., pollution des eaux et des sols, émissions de GES, perte de biodiversité) » (Keating et al., 2010 ; Keating et al., 2013).

L’éco-efficience est un concept à la fois multidimensionnel et multi-scalaire (Keating et al., 2010). D’après ces auteurs, la notion d’éco-efficience peut s’appliquer à l’échelle cellulaire (métabolisme photosynthétique des plantes), de la parcelle, de l’exploitation, d’une région et même à l’échelle globale. Plusieurs indicateurs s’avèrent nécessaires pour caractériser les éco- efficiences d’une production agricole et selon le contexte, ils sont susceptibles d’être ajustés en fonction des ressources biophysiques, économiques et humaines les plus limitantes (Park et al., 2010). Par ailleurs, il n’existe pas une seule solution pour augmenter l’éco-efficience de l’agriculture (Mateo & Ortiz Rios, 2013). Même si ce concept est basé sur le rapport « plus avec moins », d’après Keating et al. (2013), au moins quatre scénarios existent pour améliorer les éco-efficiences :

 produire plus de produits agricoles ou moins d’externalités environnementales négatives avec moins de ressources naturelles (e.g., réduire l’usage de fertilisants, ou les volumes d’eau d’irrigation) ;

 produire beaucoup plus de produits agricoles avec un petit peu plus de ressources naturelles (utiliser par exemple la fertirrigation) ;

 produire plus de produits agricoles avec la même quantité de ressources naturelles (mieux organiser l’usage des sols dans l’espace, améliorer l’usage des ressources dans le temps grâce à l’usage de prévisions saisonnières) ;

 produire moins avec beaucoup moins (arrêter de produire sur des surfaces où les ressources naturelles ne peuvent pas être utilisées de façon efficiente pour des raisons climatiques ou édaphiques par exemple).

La notion de trade-off (compromis) entre performances agricoles et environnementales est un élément-clé à considérer pour améliorer les éco-efficiences. Pour évaluer le meilleur

compromis entre production et externalité environnementales, Keating et al. (2013) proposent d’appliquer le concept de frontière d’efficience (Figure 1-8).

Figure 1-8 : Exemple d’une relation de trade-off entre produits souhaités (desired outputs) et externalités

négatives (undesired outputs) (Keating et al., 2013). La frontière d’efficience (courbe tracée à partir des points situés en périphérie) représente le niveau maximum d’output (produits) qui peuvent être obtenus moyennant un niveau déterminé d’externalités négatives. La différence entre la frontière et le point correspond aux marges de manœuvre possibles.

Le concept de paysage éco-efficient (« eco-efficient landscape ») a été formalisé dans le cadre du projet DURAMAZ (Gond et al., 2012 ; Poccard-Chapuis et al., 2014 ; Lavelle et al., 2016). Un paysage éco-efficient est un paysage qui produit des biens et des services écosystémiques et qui présente un équilibre entre performances économiques et environnementales. Appliqué aux systèmes d’élevage amazoniens, cela consiste à adopter des pratiques agricoles permettant une mobilisation forte des processus écologiques dans les agroécosystèmes et à localiser ces pratiques en adéquation avec la distribution spatiale des ressources naturelles de façon à permettre un usage efficient de ces ressources et à optimiser la production de biens et de services écosystémiques. A ce jour, il n’existe ni cahier des charges ni label « paysage éco-efficient ». Dans la thèse, nous abordons la construction des paysages éco-efficients comme une transition, un horizon vers lequel tendre plutôt qu’un état statique. De plus, il n’existe pas de solution unique selon le contexte social, environnemental, économique, politique et l’état de départ.

Le recours au concept de paysage éco-efficient nous semble pertinent à plus d’un titre. Premièrement, ce concept nous semble suffisamment flexible par rapport à la diversité de situations agraires, de trajectoires et de projets productifs existant en Amazonie orientale brésilienne. Rappelons que certains systèmes fourragers se basent encore sur le modèle d’agriculture itinérante (usage du feu, mobilisant mal les processus écologiques et peu productifs), alors que d’autres se basent sur des modèles productivistes (utilisation des dernières technologies de pointe, recherche d’une forte productivité à l’hectare). Par ailleurs, il nous permet d’appréhender la dimension spatiale de l’agroécosystème. Enfin, il nous

permet de considérer des processus écologiques ayant lieu à une échelle dépassant la parcelle agricole (cycles de l’eau et du carbone, érosion des sols, biodiversité).

1.3.3 Intensification de l’élevage et espace : caractériser et comprendre les