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Chapitre 2. Cadre théorique et méthode

2.3 Méthode

2.3.4 Méthode d’analyse des systèmes de décision et des paysages

L’ensemble des informations collectées a été synthétisé sous la forme de monographies articulées autour de cinq thèmes : l’exploitation dans son environnement naturel et socio- économique, atouts et freins ; la gestion de l’élevage et des fourrages (itinéraires techniques et successions, dynamique des usage des sols, entretien et réforme des pâturages, mode de pâturage…) ; les pratiques mises en place pour mieux gérer les ressources naturelles ; le respect de la législation environnementale ; les perspectives d’avenir.

Pour caractériser les pratiques de gestion des fourrages, nous avons utilisé la typologie proposée par Poccard-Chapuis et al. (2015b) qui classe les pratiques selon 5 grands types de gestion :

- La gestion extensive / traditionnelle : implantation après brûlis, nettoyage manuel ou avec feu, faible charge à l’hectare ;

- La gestion « bonnes pratiques » basée sur une faible à moyenne consommation d’intrants chimiques : division des pâturages, nettoyage régulier, pâturage tournant, légère fertilisation au semis ;

- La gestion intensive basée sur une forte consommation d’intrants chimiques : fertilisation fréquente, usage d’herbicides, pâturage tournant intensif, nouvelles graminées, irrigation ;

- La gestion intégrée (intégration agriculture-élevage) ;

- La gestion écologiquement intensive : usage de système agro-sylvopastoral, introduction de légumineuses, gestion intégrée des ravageurs.

En ce qui concerne les pratiques de gestion du troupeau, nous avons comparé les exploitations selon la gestion de l’alimentation (uniquement à l’herbe, complémentation via la production d’ensilage ou l’achat d’aliment du commerce), de la reproduction et de la génétique (de la monte naturelle non contrôlée à l’insémination artificielle) et des allotements.

En ce qui concerne les pratiques de gestion de la réserve forestière et des APP, nous avons distingué les exploitations selon l’état de la couverture végétale (déforestée, régénérée, préservée).

Pour formaliser le discours des éleveurs sur leurs perceptions et leurs motivations (les déterminants des pratiques), et trouver un vocabulaire commun entre les enquêtés, nous avons procédé à une analyse thématique. A partir des réponses des enquêtés, nous avons extrait les principales idées que nous avons regroupées ou dissociées selon leur degré de similitude ou de distinction. Ce classement nous a permis d’obtenir des catégories de réponses (Berthier, 2006).

2.3.4.2 Analyse des trajectoires

Les informations collectées par enquêtes rétrospectives ont été systématisées en suivant la méthode de traitement proposée par Moulin et al. (2008). Nous avons retranscrit manuellement l’ensemble des événements majeurs de l’exploitation et de son environnement socio-économique sur une frise chronologique, puis décomposé les chroniques des exploitations en un ensemble de phases de cohérence successives (liées aux objectifs de production et aux pratiques) et de phases de transformations (Figure 2-19).

La construction graphique des trajectoires s’est faite en deux temps. Nous avons tout d’abord représenté sur la frise un ensemble d’indicateurs nous permettant d’analyser le processus d’intensification et la gestion des ressources. Ces indicateurs quantitatifs et qualitatifs ont été classés en quatre catégories principales : les facteurs de production (famille, foncier, main d’œuvre et équipements), la gestion du système d’élevage, les innovations et la gestion des paysages. Puis nous avons retenu les indicateurs les plus discriminants nous permettant de rendre compte des différences d’évolution entre exploitations.

L’analyse des trajectoires des exploitations s’est aussi opérée en deux étapes. Nous avons tout d’abord réalisé une analyse diachronique afin de mettre en évidence les principaux changements socio-techniques et paysagers qui ont eu lieu dans chaque exploitation et différentier des phases de cohérence. Nous avons ensuite procédé à une analyse synchronique comparative dans le but de distinguer les similarités et différences entre exploitations face à un même évènement (e.g. comment réagissent-elles face aux politiques de lutte contre la déforestation ?) ou dans une même phase de cohérence (e.g., où les exploitations localisent- elles les usages des sols intensifs ?).

Figure 2-19 : Exemple de chronique d’une exploitation enquêtée

2.3.4.3 Modélisation graphique

Pour chaque phase de cohérence identifiée à travers l’analyse des trajectoires des exploitations et sur la base des données collectées dans l’analyse de paysage (2.3.3.2), nous avons élaboré les modèles paysagers correspondants. Notre démarche s’inspire de la chorématique (Brunet, 1986) et de la méthode d’analyse par les indicateurs paysagers (Laques, 2003). Les chorèmes sont des symboles graphiques qui visent à représenter une structure spatiale élémentaire ou un processus spatial. Ces chorèmes, une fois combinés sur un même fond, permettent d’éclairer le fonctionnement du système spatial étudié et d’en déduire des traits d’organisation. Les intérêts des chorèmes sont multiples : ils permettent de

découvrir, de représenter et de hiérarchiser les dynamiques au sein d’un territoire mais aussi de comprendre les mécanismes majeurs d’organisation spatiale. Cette approche graphique présente aussi l’avantage d’intégrer différents niveaux d’organisation et de prendre en compte différentes temporalités. Initialement utilisés dans les travaux de géographie, les chorèmes ont été mobilisés pour modéliser le fonctionnement de territoires d’exploitation (Lardon & Capitaine, 2008 ; Bonin & Houdart, 2012). L’usage de la chorématique nécessite de recourir à un alphabet graphique (symboles) représentant les modules élémentaires du fonctionnement spatial de l’exploitation agricole. Il est possible de créer son propre alphabet ou de recourir à un alphabet déjà existant tel que l’alphabet général de Brunet (1986), ou à des alphabets spécifiques aux activités agricoles (Cheylan et al., 1990 ; Piveteau & Lardon, 2002).

Pour représenter ces modèles paysagers, nous avons d’abord recherché les formes élémentaires qui les structurent tant sur le plan écologique que social ainsi que les dynamiques. Les symboles utilisés représentent les structures et processus biophysiques du paysage (réseau hydrographique, topographie, type de sols, dynamiques des ressources naturelles) et anthropiques (usages des sols, pratiques de gestion du système fourrager et aménagements réalisés sur l’exploitation). La formalisation de modèles paysagers nous permet de comparer les situations d’exploitation de façon synchronique, et d’analyser leurs dynamiques spatiales de façon diachronique.

Les trajectoires des modèles paysagers ont ensuite été caractérisées sur la base d’indicateurs paysagers et de conduite du système fourrager. La définition de ces indicateurs s’est appuyée sur plusieurs travaux menés dans la région (Laques, 2003 ; Venturieri, 2003 ; Poccard- Chapuis, 2004 ; Oszwald et al., 2011). Cinq dimensions se sont révélées pertinentes pour analyser le processus d’intensification en lien avec l’éco-efficience des paysages (Tableau 2-9) :

La nature des éléments qui composent le paysage : Les types d’usages des sols (Encadré 2-3), le type de conduite des pâturages et le linéaire de clôture sont des indicateurs du niveau d’intensification d’une exploitation.

La proportion des éléments : reflète le niveau de spécialisation, et la capacité à intensifier.

La distribution spatiale des éléments dans les paysages : reflète les stratégies d’organisation spatiale des exploitations en lien avec la gestion des ressources naturelles et humaines. Les unités géomorphologiques choisies et la distance aux aménagements nous montrent quels sont les déterminants qui guident les décisions de localisation des éleveurs.

La forme de ces éléments : La fragmentation des forêts (bloc ou fragmenté), la connectivité (conservation de ripisylves) et l’hétérogénéité (mosaïques d’usages des sols) sont des métriques pertinentes pour caractériser l’écoefficience des paysages.

Les dynamiques temporelles de ces composants : L’expansion agricole (surface annuelle défrichée) renseigne sur la logique d’occupation du producteur et la capacité

à investir, les successions des usages sur la gestion de la fertilité avec l’arrêt de l’usage du feu.

La combinaison de ces indicateurs spatiaux nous a permis d’identifier des archétypes paysagers représentatifs des interactions entre système d’élevage et ressources naturelles dans les paysages.

Tableau 2-9 : Indicateurs utilisés pour caractériser les archétypes paysagers

Type Indicateurs Modalités

Nature des composants

Type d’usages des sols Cultures annuelles/pluriannuelles, cultures pérennes, pâturage propre, pâturage sale, régénération jeune, régénération âgée, Forêt primaire ou secondaire âgée Type de conduite de pâturage Extensif, bonnes pratiques, intensif, écologiquement

intensif, intégré, irrigué Clôture Linéaire (km)

Proportion des composants

Pourcentage des usages des sols

Surface usage sols/ surface totale

Densité de parcs Nombre de parcs / Surface des parcs Distribution

spatiale des composants

Localisation des usages des sols sur les unités

géomorphologiques

Plateaux, rebord convexe des plateaux, fond de vallée, versants découpés par le réseau, versants peu ondulés (glacis), colline, bas-fond, bordure du réseau

hydrographique Distance des usages des sols

aux aménagements

Distance au corral, au siège de l’exploitation, à la salle de traite

Forme des composants

Fragmentation des forêts Bloc, fragmenté

Connectivité Linéaire ripisylves conservés

Hétérogénéité Mosaïques d’usages, forme régulière ou irrégulière Dynamique

temporelle des composants (chronoséquence)

Expansion agricole Surface défrichée (ha/an)

Succession des usages - Expansion pionnière : Forêt / agriculture / pâturage ; Forêt / pâturage.

- Réhabilitation de surfaces productives : Régénération / agriculture / pâturage ; Régénération / pâturage

Encadré 2-3 : Différenciation des usages des sols

Culture annuelle/pluriannuelle : culture qui complète son cycle en une ou deux années. Exemple : soja, maïs, manioc, riz, légumes.

Culture pérenne : culture permanente qui a un cycle de végétation de plusieurs années. Exemple : poivre, arbres fruitiers, plantations forestières.

Pâturage propre : Moins de 30% de recrus forestiers ou d’adventices herbacées. Pâturage sale : Plus de 30% de recrus forestiers ou d’adventices herbacées.

Régénération jeune : Composée d’arbustes et de petits arbres (hauteur maximum de 3 mètres). Le couvert de graminées est en voie de disparition.

Régénération âgée : Composée essentiellement d’arbres ou palmiers plus que d’arbustes (hauteur minimum = 3 à 4 mètres).

Forêt secondaire âgée ou primaire : Forêt qui n’a jamais été déforestée ou il y a plus de 20 ans. Peut être dégradée.

2.3.4.4 Formalisation des règles de décisions de localisation des pratiques

L’analyse globale des exploitations, des trajectoires des exploitations et des modèles paysagers nous a servi à expliciter les variables décisionnelles et les critères de décision sous- tendant la localisation des pratiques dans les paysages. Ce travail de formalisation a été effectué pour les pratiques suivantes :

- Localisation des usages des sols (cultures annuelles et pérennes, pâturage, forêt…) - L’implantation et la réforme des pâturages

- L’entretien des pâturages (gestion de la fertilité, des adventices, de la charge animale) - L’aménagement des paddocks (division des parcelles, installation de système

d’irrigation, d’abreuvoirs...)

- La gestion des forêts (réserve forestière, ripisylve).

Pour expliciter les déterminants sous-tendant la localisation des pratiques, nous avons testé pour chaque exploitation les variables et critères de décision inventoriés dans la littérature et à travers les entretiens exploratoires. De plus, notre méthode d’entretien semi-directive nous a permis de voir émerger de nouveaux déterminants. Les variables décisionnelles et les critères de décision que nous avons testés sont détaillés dans la Figure 2-20. Ces variables sont liées aux caractéristiques biophysiques (unités géomorphologiques, végétation, sols), topologiques et socio-économiques (distance, forme des parcelles, accessibilité).

Le rôle de ces variables a été analysé à l’échelle des parcelles pour les exploitations familiales et de blocs de parcelles pour les fazendas de grande taille compte tenu du nombre élevé de parcelles. La comparaison entre exploitations nous a permis d’identifier des similarités et les spécificités de chaque exploitation. Puis nous avons établi des règles de décision en vue de la conceptualisation et de l’implémentation du modèle SMA (2.3.6), en suivant le formalisme de type « SI…. ALORS… » et « SI…. ALORS…. SINON… ».

Figure 2-20 : Liste des variables décisionnelles et des critères de décision potentiellement déterminants dans la