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Chapitre 2. Cadre théorique et méthode

2.1 Un cadre d’analyse intégrant paysage, système de décision et trajectoires

2.1.3 Approche systémique de l’exploitation agricole pour comprendre les décisions

2.1.3.1 L’exploitation agricole, un système socio-écologique ouvert et piloté

Pour comprendre les décisions des éleveurs, nous avons eu recours à une approche systémique de l’exploitation agricole. Cette approche permet d’identifier les causes directes des changements des usages des sols et de les interpréter en référence aux moteurs sous- jacents (Mottet et al., 2006). Même si notre focus concernait l’usage des sols et le système d’élevage, la compréhension de ces décisions nécessite une approche globale de l’exploitation afin de tenir compte des interactions et possibles rétroactions entre les différents composants de l’exploitation, ses finalités et son environnement.

Encadré 2-2 : Approche systémique

Proposée par Ludwig Von Bertalanffy au milieu du XXème siècle, l’approche systémique sert à éclairer le fonctionnement des objets complexes. Le système est vu comme « un complexe d’éléments en interactions » (Von Bertalanffy, 1968) qui « dans un environnement, doté de finalités, exerce une activité et voit sa structure interne évoluer au fil du temps, sans qu'il perde pourtant son identité unique » (Le Moigne, 1977). Quatre grands principes régissent leur fonctionnement (Donnadieu et al., 2003) :

- Complexité : cela renvoie aux difficultés de compréhension. Le système est flou, incertain, imprévisible.

- Interaction : il existe un rapport d’influence ou d’échange entre les constituants du système et ces relations concernent des flux de matière, d’énergie, et d’information.

- Globalité et émergence : le système est un tout dont ses propriétés ne se réduisent pas à celles de ses parties. Les éléments sont interdépendants. Ce principe amène à analyser les propriétés émergentes au niveau global qui ne seraient pas observables au niveau des éléments constitutifs ni au niveau des interactions élémentaires (Le Moigne, 1977).

- L’auto-organisation : désigne la capacité pour les éléments constitutifs du système de produire une structure qui est généralement hiérarchisée.

La théorie des systèmes (Encadré 2-2) a été appliquée à l’exploitation agricole à partir des années 1970-80, notamment par Gilbert et al. (1980), chercheurs à l’origine du concept de « farming system » (système d’exploitation), et par plusieurs agronomes français (Osty, 1978 ; Landais et al., 1988 ; Bonneviale et al., 1989 ; Brossier et al., 1989). Ce courant de recherche considère l’exploitation agricole (l’unité de production) et le foyer rural ou famille (unité de consommation) dans leur globalité (Gilbert et al., 1980). « L’exploitation agricole n’est pas la simple juxtaposition d’ateliers de production ni l’addition de moyens et de techniques de production » (Brossier, 1987). Il s’agit d’ « un tout organisé qui ne répond pas à des critères simples et uniformes d’optimisation » (Osty, 1978), mais qui est piloté en fonction des projets des exploitants et des contraintes (humaines, foncière, de capital) pour réaliser ces projets (Gilbert et al., 1980).

Dans ce courant, le système d’exploitation est ouvert et emboîté dans une structure hiérarchique complexe, multi-domaines et multiscalaire, i.e. les systèmes alimentaires. Ces dimensions économiques, sociales et écologiques interagissent dans le temps et à différents niveaux d’échelles spatiales (locale, régionale, nationale et internationale) (Darnhofer et al., 2010b ; Duru & Therond, 2014). Les systèmes d’exploitation et les exploitants jouent un rôle crucial dans cette hiérarchie puisqu’ils constituent une unité décisionnelle fondamentale dans le fonctionnement des agroécosystèmes (Darnhofer et al., 2010b).

Dans l’approche systémique, le système d’exploitation est ainsi souvent représenté sous la forme de deux sous-systèmes fonctionnant de manière interdépendante (Landais et al., 1988 ; Brossier et al., 1989 ; Gibon et al., 1999 ; Keating & McCown, 2001) (Figure 2-4) :

i) Le système de décision englobe les personnes, valeurs, objectifs, connaissances de l’exploitation (Keating & McCown, 2001). C’est là où sont exprimées les finalités (le projet porté par l’exploitation) et où est définie la stratégie en vue d’orienter et d’assurer le pilotage du sous-système de production. Les finalités présentent une certaine permanence dans le temps (Brossier et al., 1989), alors que la stratégie de conduite définit la façon flexible d'organiser les activités préconisées et un ensemble d’ajustement à faire en réponse à certains évènements possibles (Martin-Clouaire et al., 2016).

ii) Le système de production correspond aux processus productifs (tels que la croissance des plantes, des animaux) ayant lieu à l’échelle de la parcelle agricole et du troupeau. Le système de production fonctionne sur la base d’interactions entre éléments physiques et biologiques (plantes, sol, climat) (Le Gal et al., 2010). Il est généralement décomposé en :

- Système de culture : d’après Sebillotte (1990), il se caractérise par la nature des cultures et leur ordre de succession ainsi que les itinéraires techniques dont ces cultures font l’objet.

- Système d’élevage : concept introduit par Lhoste (1984), il est schématiquement représenté comme un système à trois pôles, piloté par « l’éleveur », en interaction avec « le troupeau » et « le territoire ». Landais (1992) a plus tard proposé une légère variante à ce schéma tripolaire en remplaçant « troupeau » et « territoire » par « animal » et « ressources ». Pour cet auteur, une caractéristique importante à considérer chez les animaux est leur mobilité. Cela joue sur le fonctionnement et la conduite des troupeaux (Landais, 1992) mais aussi sur la distribution spatiale et la localisation des activités dans l’espace.

- Système fourrager : mobilisé dans les exploitations d’élevages de ruminants, ce concept décrit « l’ensemble des moyens de production, des techniques et des processus qui, sur un territoire, ont pour fonction d’assurer la correspondance entre le ou les systèmes de culture et le ou les systèmes d’élevage » (Attonaty, 1980). Cette « correspondance » se caractérise par l’agencement dans le temps et dans l’espace des différentes ressources végétales destinées à l’alimentation des ruminants et visant un équilibre entre offre fourragère et besoins des animaux (Lemaire et al., 2003). Même si l’une des principales fonctions remplies par le système fourrager est alimentaire, il

présente aussi un caractère multifonctionnel (protection de la biodiversité, constitution d’un patrimoine foncier...). Trois types de ressources végétales font parties du système fourrager : la ressource pâturée (surfaces en prairies permanente, temporaire et naturelle), la ressource fourragère stockée issue de prairies ou de surfaces cultivées (foin, ensilages...), et la ressource complémentaire de concentrés issus de surfaces cultivées (céréales, oléoprotéagineux) (Lemaire et al., 2003).

iii) Système de décision et système de production interagissent via des flux, qualifiés de cybernétiques par Keating & McCown (2001). En effet, les décisions des agriculteurs influencent le sous-système de production qui à son tour sert d’indicateurs pour le système de décision (Le Gal et al., 2010). Les opérations peuvent différer des stratégies qui ont été préconisées, dans la mesure où elles sont réalisées en fonction de la disponibilité en ressources de l’exploitation (terre, capital, main d’œuvre) et de l’environnement à l’instant t (Martin-Clouaire et al., 2016).

Récemment, plusieurs travaux de recherche ont extrapolé le cadre conceptuel des systèmes socio-écologiques (SES) aux systèmes d’exploitation (Fairweather, 2010 ; Feola & Binder, 2010 ; Milestad et al., 2012 ; Rueff et al., 2012). Le Système Socio-Ecologique (Socio- Ecological System)1 est défini comme un système constitué d’un sous-système sociétal (composante humaine) et d’un sous-système écologique (biophysique) en interaction mutuelle (Gallopin, 1991). Les écosystèmes sont en effet influencés par les humains qui fournissent en retour des services écosystémiques (e.g., aliments, fibres, énergie et eau potable) essentiels au bien-être des sociétés (Berkes & Folke, 1998 ; Folke et al., 2010). Les SESs sont des systèmes complexes et très dynamiques co-évoluant en réponse aux processus rétroactifs et aux changements perpétuels de l’environnement (Darnhofer et al., 2010a). Multiniveaux, les SESs sont emboîtés dans une structure hiérarchique (Holling, 2001). Les interactions entre processus écologiques et sociaux ont lieu à de multiples échelles spatiales et temporelles (Liu et al., 2015) ce qui peut générer des effets inter-échelles descendants ou ascendants2 (Holling, 2001). Les dynamiques au sein des SESs ne sont pas linéaires et des comportements imprévisibles peuvent émerger au niveau global du fait des décalages temporels qui peuvent exister entre les interactions Nature-Société (Gallopín, 2006 ; Liu et al., 2007 ; Darnhofer et al., 2010b). Les SESs possèdent une capacité d’adaptation et d’apprentissage avec l’expérience (Holling, 2001). Les humains présentent en effet la capacité de se rappeler et d’apprendre du passé, mais aussi de percevoir les états actuels et futurs de leur environnement biophysique et social (Matthews & Selman, 2006).

Ces différentes caractéristiques font des systèmes socio-écologiques un cadre pertinent pour approcher le système d’exploitation et analyser les interactions entre système de décision et paysage. Le système d’exploitation est composé d’un système social, associé aux composantes humaines de l’exploitation, c’est-à-dire à l’exploitant agricole avec sa famille

1 D’autres auteurs préfèrent le concept de « Coupled Human-Natural System » ou de « Socio-Environmental

System » (Turner Ii et al., 2016).

(dans le cas d’une exploitation familiale), ses projets, valeurs, savoirs, perceptions, ressources humaines, financières et matérielles, et d’un système écologique représentant l’agroécosystème.

Figure 2-4 : Schéma conceptuel du système d’exploitation.Adapté de Bonneviale et al. (1989) et Keating &

McCown (2001)

2.1.3.2 Des décisions guidées par un projet

Pour étudier les décisions des agriculteurs, nous nous sommes appuyés sur les théories suivantes.

- Les agriculteurs font des choix leur paraissant satisfaisants plutôt qu’optimum. Cette théorie de la rationalité limitée proposée par Herbert Simon (Simon, 1959) considère que les agents économiques disposent d’une quantité d’information et de capacités cognitives limitées leur empêchant d‘optimiser leur choix.

- Les décisions ne sont pas toujours basées sur des choix rationnels, des informations scientifiques, ou des évaluations objectives de faits, mais sur des informations filtrées selon leur perception et leurs modèles mentaux (construits cognitifs) (Darnhofer et al., 2010a). De récentes études ont montré que les modèles mentaux des agriculteurs sur les services écosystémiques (Meyfroidt, 2013 ; Lamarque et al., 2014) et les paysages (Vuillot et al., 2016) influencent leurs pratiques d’usage des sols.

- Les décisions des agriculteurs sont cohérentes avec leurs projets (ensemble d’objectifs plus ou moins conscients, hiérarchisés et contradictoires), et compte tenu de la perception qu’ils ont de leur situation et des finalités fixées à l’exploitation. « Les agriculteurs ont des raisons de faire ce qu’ils font » (Bonneviale et al., 1989) et leurs décisions ne répondent pas à la seule logique de maximisation du profit, de la productivité ou d’une fonction objectif (Landais et al., 1988 ; Dent et al., 1995 ; Papy,

2000 ; Edwards-Jones, 2007 ; Karali et al., 2013). D’après Petit et al. (1975), ces décisions s’ajustent dans le temps du fait de l’existence d’un double processus d’adaptation entre situation et objectifs. La situation dépend des objectifs et les objectifs évoluent en fonction de la situation de l’exploitation (Chia et al., 2014) et des opportunités apparaissant dans l’environnement (Milestad et al., 2012). Parmi les principaux facteurs internes pouvant influencer les décisions sur les choix des pratiques agricoles, on note les caractéristiques sociodémographiques de l’agriculteur, du foyer agricole (étape dans le cycle de vie, pluriactivité) et la structure de l’exploitation agricole (taille, type, situation financière) (Edwards-Jones, 2007).

Les décisions des agriculteurs peuvent viser différents horizons temporels : le temps long (plusieurs années) ou le temps rond (temps des pratiques journalières et saisonnières). Les types de décisions sont étroitement liés à cette temporalité. Les décisions d’ordre stratégiques qui concernent le choix des productions, des équipements, de main d’œuvre, ou d’amélioration génétique renvoient au temps long. Les décisions d’ordre tactique concernant l’organisation des processus productifs (par exemple choix des pâturages à réformer, des parcs à diviser, des surfaces de cultures à implanter) mettent en jeu l’horizon temporel annuel voire pluriannuel. Les décisions d’ordre opérationnelle (semis, nettoyage des pâturages, entretien des clôtures) concernent un horizon de temps infra-annuel, au jour le jour ou à une échelle très proche. L’ensemble de ces décisions interagit de manière descendante et ascendante : les décisions tactiques dépendent des décisions stratégiques qui peuvent en retour les influencer (Aubry & Michel-Dounias, 2006).

Les décisions d’intensification étudiées ici portent sur les types d’usage des sols et leur localisation ainsi que sur la conduite du troupeau. Les décisions qui nous intéressent sont à la fois d’ordre stratégique (quelles sont les adaptations dans le système de production, et la structure de l’exploitation ?) et tactique (quels sont les choix de cultures, les surfaces implantées et la configuration spatiale des usages des sols ?).

2.1.3.3 Spécificités des systèmes de décision dans les exploitations d’élevage d’Amazonie brésilienne

Alors que les systèmes d’exploitation d’Amazonie orientale brésilienne ont classiquement tendance à être divisés en deux groupes, les exploitations familiales1 et les fazendas (ranchs), il existe en réalité plus de variantes. Nous distinguerons au moins trois types, chacun présentant des spécificités dans le fonctionnement du système de décision. La définition de cette typologie simplifiée n’exclut pas que des types hybrides puissent exister.

1 La loi n°11.326 (Brasil, 2006a) définit les exploitations familiales comme des entités gérées par l’agriculteur

familial et sa famille, exploitées majoritairement par une la main d’œuvre venant de la propre famille. La taille de l’exploitation est inférieure à quatre modules fiscaux et le revenu familial est principalement généré par l’activité de cet établissement agricole.

Dans les systèmes exploitation-famille (exploitation familiale de moins de 500 ha en général), les décisions stratégiques, tactiques et opérationnelles sont prises par les chefs d’exploitations et assimilés. Ces décisions sont guidées par le projet familial. La main d’œuvre salariée (minoritaire dans la force de travail) n’est généralement pas associée aux prises de décisions.

Dans les fazendas, les frontières entre décideur stratégique, tactique et opérationnel peuvent varier. Les ranchs sont la propriété de personnes physiques ou morales (sociétés) qui fixent les orientations/finalités du ranch. Parmi ces propriétaires, on trouve des entrepreneurs de type « éleveurs » issus de familles avec une forte tradition dans l’élevage et ayant migré dans la région attirés par les opportunités foncières (amélioration du patrimoine) et des entrepreneurs de type « investisseurs » venant du secteur primaire (salariés des filières agricoles, techniciens), secondaire ou tertiaire (industriels, médecins, avocats...), pour lesquels l’élevage constitue une activité secondaire (Piketty et al., 2015b).

Ces propriétaires emploient généralement un gérant et plusieurs ouvriers agricoles. Le gérant gère au quotidien la fazenda et selon l’ampleur des activités développées dans le ranch et le nombre de salariés, il dirige soit directement l’ensemble des salariés et opérations, soit indirectement en responsabilisant des chefs par atelier (machines, comptabilité, administration, fourrage, troupeau). Gérants et chefs d’ateliers constituent donc des unités décisionnelles supplémentaires par rapport au système exploitation-famille. Dans les fazendas, les processus de décision peuvent donc impliquer une pluralité de personnes.

Dans les fazendas de taille moyenne pour la région (moins de 2 000 ha), le propriétaire fixe les finalités du ranch et prend les décisions tactiques annuelles. Le gérant ne fait que les appliquer. Ce dernier prend en revanche les décisions opérationnelles quotidiennes voire les délègue aux chefs d’ateliers.

Dans les grandes fazendas (plus de 2 000 ha), les décisions stratégiques sont fixées par le fazendeiro. En revanche, le fazendeiro se concerte avec le gérant pour prendre les décisions tactiques voir les lui délègue. Les décisions opérationnelles quotidiennes sont généralement prises par les chefs d’ateliers.

2.1.3.4 Les pratiques à l’interface entre décisions et paysages

Les pratiques sont un objet d’étude central dans la thèse. Elles sont à la fois l’interface entre le système de décision et les paysages mais ont aussi des impacts directs ou indirects sur les ressources naturelles et donc sur les éco-efficiences. Les pratiques constituent en effet une entrée privilégiée pour remonter aux décisions des éleveurs et à leur projet (Landais et al., 1988). Les pratiques correspondent « aux manières concrètes de faire des agriculteurs » (Teissier, 1979) et sont directement observables (Milleville, 1987), contrairement aux décisions qui sont implicites et qui ne sont pas toujours faciles à saisir pour un observateur extérieur (Landais et al., 1988). Les pratiques constituent également une entrée privilégiée

pour analyser les paysages et pour étudier les éco-efficiences. En effet, selon leur localisation spatiale les pratiques vont avoir un effet positif ou négatif sur les ressources naturelles.

Le concept de pratique se distingue de celui de technique sur le point suivant : la pratique relève de l'action et est dépendante de l’agriculteur et des conditions dans lesquelles il la met en œuvre alors que la technique est indépendante de l’agriculteur (Teissier, 1979). Les pratiques sont le résultat de choix à un moment donné en fonction de l’information et de la connaissance technique dont les éleveurs disposent et des orientations stratégiques fixées pour atteindre des objectifs (Caron & Hubert, 2000). L’analyse des pratiques permet de « rendre compte synthétiquement des décisions prises pour gérer l’incertain au sein de l’environnement complexe (biologique, économique, sociologique,….) dans lequel ils agissent » (Darré & Hubert, 1993). L’étude des pratiques ne permet pas de reconstituer le processus décisionnel des éleveurs. Toutefois, plusieurs travaux (Hostiou, 2003 ; Girard et al., 2008 ; Cialdella et al., 2010) montrent que leur combinaison permet de rendre intelligible a posteriori une certaine cohérence d’ensemble correspondant à une « stratégie réalisée ».

L’étude des pratiques peut se faire de trois manières (Landais et al., 1988):

- par les modalités, c’est-à-dire par la description « externe » des pratiques : Que fait l'agriculteur ? Comment le fait-il ?

- par l’efficacité, c’est-à-dire par l’analyse des effets et des conséquences des pratiques : Quels sont les résultats de son action (sur la productivité, les éco-efficiences) ?

- par les opportunités, c’est-à-dire par la formalisation des déterminants des pratiques : Pourquoi fait-il cela et en fonction de quels critères de décision ?

Il existe une grande diversité de modalités de pratiques d’élevage. Il est possible de les regrouper en deux types (Tableau 2-1) : les pratiques de gestion des animaux et des produits animaux (Landais et al., 1987) et les pratiques de gestion de l’espace aussi qualifiées de pratiques territoriales (Caron & Hubert, 2000 ; Naïtlho et al., 2003 ; Girard et al., 2008). « L’espace devient territoire grâce à l’action organisatrice de l’éleveur » (Caron & Hubert, 2000).

Les pratiques de gestion des animaux et des produits animaux incluent les pratiques d’agrégation c’est-à-dire d’organisation du cheptel en sous-unités (troupeaux et lots). Les pratiques de conduite regroupent l’ensemble des pratiques visant à assurer l’entretien des animaux, leur alimentation et leur reproduction. Les pratiques d’exploitation font référence aux pratiques où l’éleveur exerce un prélèvement (traite pour le lait, tonte pour la laine...). Les pratiques de valorisation correspondent à l’ensemble des pratiques de transformation et de valorisation des produits animaux (Landais et al., 1987).

Les pratiques de gestion spatio-temporelle du territoire nous permettent de nous informer sur les stratégies spatiales des éleveurs. Elles peuvent elles-mêmes être subdivisées en six types. Les opérations foncières incluent les opérations qui modifient le territoire de l’exploitation

telles que les achats, ventes et location de terres. Les modes d’usages des sols englobent les différentes surfaces cultivées (cultures de céréales, oléagineux) les prairies, la sylviculture, et les surfaces naturelles de forêt (primaire, secondaire, etc.). La gestion des couverts végétaux inclue les pratiques liées à la conduite des cultures et prairies (défriche, préparation du sol, semis, entretien, récolte). La gestion du pâturage fait référence aux différents modes de pâturage (continu, tournant, rationné ou au fil, zéro pâturage). Les aménagements regroupent l’ensemble des bâtis, chemins, clôtures, points d’eau (pour le bétail), infrastructures d’irrigation. La gestion spatiale de l’allotement correspond au mode d’allocation des lots d’animaux dans les parcs. La configuration spatiale des usages des sols reflète l’organisation spatiale des usages dans le parcellaire de l’exploitation.

Même si notre approche par le paysage nous a conduit à nous intéresser davantage aux pratiques spatialisées d’intensification de l’élevage, il est important de souligner que ces pratiques sont mises en place dans un système d’exploitation et qu’elles sont donc réfléchies en concordance avec la gestion des animaux. Par exemple, pour la gestion spatiale de l’allotement, l’éleveur peut décider de privilégier certains espaces de l’exploitation aux animaux ayant la meilleure génétique.

Tableau 2-1 : Typologie des pratiques étudiées dans les exploitations d’élevage

Groupe Pratiques

Gestion des animaux et produits animaux

Agrégation des lots : allotement

Conduite : entretien, reproduction, alimentation

Exploitation : prélèvement sur les animaux (traite, tonte, gestion des fumiers…)

Valorisation : transformation, commercialisation Gestion spatio-temporelle du

territoire

Opérations foncières : achat, vente, location de terres Mode d’usage des sols : agriculture, prairies temporaires et permanentes, forêt, friche...

Gestion des couverts végétaux : défriche (changement d’usage), préparation du sol, semis, entretien (fertilisation, désherbage), récolte

Gestion du pâturage : continu, tournant, rationné ou au fil, zéro pâturage

Gestion spatiale de l’allotement

Aménagement du territoire de l’exploitation : bâti, chemins, clôtures, point d’eau, irrigation

Configuration spatiale des usages du sol (incluant les éléments semi-naturels et naturels)

Adapté de Landais & Lhoste (1987) ; Caron & Hubert (2000) ; Naïtlho et al. (2003) ; Girard et al. (2008)

La combinaison de ces différents types de pratiques doit nous permettre de caractériser des stratégies :

- d’intensification vs extensification : augmentation ou maintien de la productivité par unité de surface et animale ;

- de spécialisation vs diversification ;

- de mobilisation des mécanismes des agroécosystèmes : traditionnel (feu) vs bas niveau d’intrants vs chimique.

2.1.4 Modéliser les changements socio-techniques et les dynamiques de