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CHAPITRE I : LANGAGE ECRIT : APPROCHE COGNITIVE ET PSYCHOLINGUISTIQUE

I. LES MODELES COGNITIFS DE LA PRODUCTION ECRITE

I.3. Modèles alternatifs l’accès orthographique

Plusieurs auteurs ont suggéré que les modèles modulaires utilisés fréquemment en neuropsychologie cognitive ne seraient pas les meilleures représentations de fonctions cérébrales (Seidenberg & McClelland, 1989). Des modèles computationnels alternatifs, connexionnistes, sous la forme de réseaux distribués de petites unités ont ainsi été développés. Les modèles connexionnistes comprennent des couches de petites unités indépendantes, aussi appelés « neurones formels », connectés entre eux, recevant chacun un signal d’entrée et fournissant un signal de sortie. Dans le domaine du langage, ils ont particulièrement été utilisés pour rendre compte des capacités de lecture et peuvent être utilisés pour modéliser le fonctionnement normal, l’apprentissage, ou les effets de lésions.

I.3.1. Un modèle computationnel à double-voie : le modèle DRC

Les modèles double-voie ont le plus souvent été développés pour modéliser l’accès orthographique à partir d’un mot lu. Comme nous l’avons vu, les processus centraux mis en œuvre lors de la production verbale écrite ne dépendent pas nécessairement de la nature de la sortie (e.g. écriture manuscrite, épellation orale) et l’architecture cognitive sous-tendue par les modèles de l’accès orthographique en lecture est bien souvent transposable à d’autres fonctions langagières. Le modèle DRC (pour Dual-Route Cascaded : modèle double voie à traitement en cascade) de Coltheart (Coltheart & Rastle, 1994; Coltheart, Rastle, Perry, Langdon, & Ziegler, 2001) est similaire aux modèles à double voie classiques mais présente certaines différences parmi lesquelles le fait que l’information circule en cascade. Ainsi les traitements effectués à un niveau peuvent débuter avant que les traitements du niveau précédents ne soient terminés. Ces

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traitements sont en outre interactifs : chaque module inclut des connections excitatrices et inhibitrices, bidirectionnelles, envers les modules adjacents (voir Figure I-6). Dans ce modèle, chaque module est en réalité conçu comme un assemblage d’unités discrètes, représentant les plus petits composants symboliques tels que les mots dans le lexique, ou les lettres.

Comme pour les modèles à double voie de l’écriture, une voie lexicale, passant par un lexique orthographique, et une voie sous-lexicale procédant par conversion des graphèmes identifiés en phonèmes, permettent d’aboutir à la sortie, qui est cette fois une représentation phonémique et articulatoire (Figure I-6). La reconnaissance visuelle des caractères est permise par un système en plusieurs couches, inspiré du modèle computationnel de McClelland et Rumelhart (1981) : une couche traitement des traits visuels, dont chaque unité va activer des unités de la couche suivante, les lettres contenant ces traits à la bonne position, qui vont ensuite activer les unités de la couche des mots contenant ces lettres à la bonne position. A chaque niveau, des connexions inhibitrices sont présentes, permettant par exemple aux unités « lettres » d’inhiber les unités mots contenant la lettre à une mauvaise position. L’activation va se propager dans le reste du système de manière analogue, les unités « phonème » allant activer les unités « mots » contenant ce phonème à la bonne position tout en inhibant les mots le contenant à une position différente. Ce modèle prévoit une propagation de l’activation de manière simultanée dans les deux voies, lexicale et sous-lexicale. La voie lexicale étant simplement plus directe et plus rapide. De la même manière que pour l’écriture, la voie lexicale sera prépondérante pour la lecture de mots connus ou réguliers alors que la voie « grapho-phonémique » sera essentiellement mobilisée lors de la lecture de mots inconnus ou de pseudo-mots.

Le modèle de Coltheart et al. (2001) peut être utilisé pour faire des prédictions quantitatives quant aux capacités à lire ou à orthographier des mots réguliers chez des sujets sains ou des patients en se basant sur leur capacité à orthographier des mots irréguliers et des pseudo-mots, sur le degré d’atteinte de l’une ou l’autre voie. Rapcsak, Henry, Teague, Carnahan, et Beeson (2007) sont ainsi parvenus à montrer qu’une telle équation issue du modèle DRC pouvait permettre de prédire avec une grande fiabilité les performances orthographiques de patients alexiques et agraphiques. Les résultats d’une analyse de régression multiple suggèrent de plus que les voies lexicale et sous-lexicale contribuent de manière indépendante à la lecture ou à l’écriture sous dictée.

Les modèles à double-voie utilisant des systèmes séparés pour lire ou écrire des mots irréguliers ou des pseudo-mots ont donc largement démontré leur capacité à décrire le comportement normal et pathologique mais plusieurs questions restent à élucider, comme le rôle joué par le système sémantique dans l’accès orthographique. Certaines approches non modulaires, beaucoup plus interactives, ont été développées.

I.3.2. Modèles connexionnistes

Les modèles connexionnistes se basent le principe d’un réseau de représentations distribuées, présentant des connexions distribuées et interactives, plutôt qu’une architecture composée de modules indépendants. Le modèle PDP (pour Parallel Distributed Processing) de Seidenberg et McClelland (1989) est le modèle connexionniste le plus largement accepté. Il a été là encore surtout développé pour être appliqué à la lecture. Il propose une totale interconnexion des représentations orthographiques ou de la forme visuelle des mots, des représentations phonologiques et des représentations sémantiques (voir figure I-7 ; Harm & Seidenberg, 2001; Harm & Seidenberg, 2004). Dans ce modèle, les mots ne sont pas représentés comme des nœuds uniques dans le réseau mais plutôt comme des schémas d’activation distribués au travers de plusieurs unités. Les trois couches d’unités (orthographique, phonologique et sémantique) sont connectées entre elles par le biais d’unités cachées servant à extraire ces schémas d’activité de plus haut niveau. Le modèle est « entraîné » en lui proposant un corpus de mots dont il extrait les régularités statistiques. Il peut ainsi être utilisé pour simuler et prédire la performance de lecteurs sains ou cérébro-lésés sans passer par l’utilisation d’un jeu de règles explicites préétablies (Plaut, McClelland, Seidenberg, & Patterson, 1996).

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Figure I-7 : Modèle « en triangle » de Seidenberg et McClelland (1989), implémenté par (Harm &

Seidenberg, 2001, 2004) pour examiner les liens entre codes phonologiques et codes orthographiques.

Des modèles de ce type ont aussi été conçus pour étudier la production orthographique à partir d’entrées différentes. Ainsi le modèle NETspell de Olson et Caramazza (1994) permet de générer des séquences de lettres à partir de séquences de sons. Il est composé d’une couche « phonologique » qui reçoit les entrées auditives, d’une couche intermédiaire cachée, et d’une couche « orthographique » de sortie. Chaque unité de chaque couche est interconnectée avec toutes les unités de la couche adjacente. Là encore, le système, qui ne contient ni règles de correspondance phonème-graphème, ni lexique, peut subir une phase d’apprentissage dans laquelle on lui présente des mots (i.e. signal d’erreur rétroactif, renforcement des connexions lorsque la prédiction est correcte) pour devenir par exemple capable d’ « apprendre » des formes orthographiques irrégulières. Certaines erreurs persistent parfois sur des mots irréguliers mais restent phonologiquement plausibles. En provoquant des « lésions » dans ce type de réseau, on peut générer un comportement semblable à celui de la dysgraphie de surface (incapacité à orthographier des morts irréguliers mais préservation des réguliers) (Brown & Loosemore, 1994; Olson & Caramazza, 1994).

Cependant, Houghton et Zorzi (2003) soutiennent que ces modèles ne permettent pas encore d’expliquer l’ensemble des données observées. Ils proposent un modèle hybride, connexionniste, à double voie, dans lequel les couches orthographiques et phonologiques sont connectées par deux voies distinctes : une voie directe et une voie indirecte contenant une couche intermédiaire d’unités cachées. Ce modèle est capable de reproduire le comportement de production orthographique d’individus normaux et de patients souffrant d’agraphie lexicale. Il prédit que la voie lexicale directe domine généralement la sélection de la représentation orthographique mais qu’une lésion partielle de celle-ci peut conduire à la production de

réponses qui semblent « mélanger » le produit des deux voies. Il est ainsi aussi capable de rendre compte des erreurs de patients comme LAT décrit par Rapp et al. (2002).

La validation et l’élaboration de ce type de modèle comme de tous les modèles de la production écrite précédemment décrits a nécessité de résoudre un certain nombre d‘interrogations et suscité un certain nombre de débats. Au-delà des apports considérables de la neuropsychologie cognitive, étudiant dans le détail les déficits de patients cérébro-lésés, agraphiques ou alexiques, les travaux de psycholinguistique s’intéressant au comportement normal peuvent tout autant nous renseigner sur les mécanismes cognitifs mis en jeu dans la production verbale écrite.

II. L’ETUDE DE LA PRODUCTION ECRITE DE MOTS EN