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CHAPITRE II : LES BASES CEREBRALES DU LANGAGE ECRIT

III. NEUROIMAGERIE DE L’ECRITURE

III.2. L’identification des « centres de l’écriture »

Ce n’est donc qu’à partir des années 2000 que vont être conduites les premières études sur l’écriture en tant que telle. Les japonais Katanoda, Yoshikawa, et Sugishita (2001) ont posé les bases de l’étude de l’écriture en neuroimagerie en proposant à leur sujets, en plus d’une tâche d’écriture (dénomination écrite d’images), des tâches contrôles linguistique (dénomination subvocale d’images) et motrice (« finger tapping » : tapoter du doigt en réponse à un point présenté visuellement à l’écran). L’objectif de ce travail était d’identifier les « centres de l’écriture », dont l’existence est présumée par les descriptions neuropsychologiques des cas d’ « agraphie pure ». Ainsi il doit exister des aires actives lors de l’écriture du nom d’une image mais pas lors de la prononciation de ce même mot, et actives lors de la réalisation du geste d’écriture mais pas lors de la réalisation d’un geste moteur sans signification. Comme on peut le voir sur la Figure II-5, après réalisation de deux contrastes d’imagerie (identifiant les aires davantage activées lors de l’écriture par rapport à la dénomination subvocale, puis par rapport au finger tapping), une analyse de conjonction a permis à Katanoda et al. (2001) d’identifier trois aires remplissant ces conditions ; la partie antérieure du lobule pariétal supérieur gauche, la partie postérieure du gyrus frontal supérieur, et le cervelet droit.

Figure II-5 : Cartes d’activations rapportées par Katanoda et al. (2001) comparant une tâche de

dénomination écrite en IRMf à une tâche de dénomination et à une tâche de finger tapping, puis le résultat de la conjonction de ces deux contrastes.

La tâche d’écriture utilisée dans ce dernier travail impliquait de tracer avec le doigt des phonogrammes japonais (Kana), mais un paradigme semblable a par la suite été utilisé en anglais par Beeson et al. (2003). La tâche d’écriture utilisée ici était une tâche de « génération »,

dans laquelle les sujets devaient écrire des mots en réponse à une consigne du type « Ecrivez des noms d’animaux ». Là encore, une tâche contrôle linguistique (du type « Pensez à des noms de fruits »), ainsi qu’une tâche contrôle motrice dans laquelle les sujets devaient tracer des cercles de manière continue, étaient employées pour contrôler d’un côté les processus centraux (non spécifiques de l’écrit) et d’un autre côté les processus périphériques (visuo-kinesthésiques et sensori-moteurs). Une tâche d’écriture des lettres de l’alphabet était de plus introduite. Les contrastes comparant les activations dans ces différentes tâches semblaient supporter l’hypothèse d’un rôle des régions prémotrice et pariétale supérieure dans la transformation de l’information orthographique en commandes motrices. Cette dernière aire était de plus conjointement activée dans la tâche d’écriture de mots et la tâche d’écriture des lettres de l’alphabet. Beeson et al. (2003) soulignent aussi dans leur travail l’activation du gyrus fusiforme (BA 37), en lien avec la récupération orthographique, par opposition à l’absence d’activation du gyrus angulaire, une aire pourtant classiquement associée, depuis Dejerine (1891), à l’orthographe.

La recherche des centres de l’écriture par le biais de l’IRMf s’est poursuivie au Japon avec Sugihara, Kaminaga, et Sugishita (2006), qui ont utilisé un paradigme très semblable à celui de Katanoda et al. (2001) en demandant à leurs sujets de dénommer des images, soit de manière silencieuse (dénomination subvocale) soit en traçant les caractères (Kanas japonais) avec le doigt. Ils introduisent cependant une nouvelle condition dans laquelle les sujets doivent utiliser leur main gauche pour écrire. L’idée simple derrière cette modification du paradigme est que les processus « spécifiques » de l’écriture ne dépendent pas de l’effecteur utilisé ; si une activité motrice d’écriture avec la main droite implique une activation du cortex moteur gauche, et une activité motrice d’écriture avec la main gauche une activation du cortex moteur droit, les aires communément actives dans les deux conditions représentent des processus non moteurs de l’écriture. Chaque tâche étant préalablement contrastée avec la tâche de dénomination, on ne peut donc pas non plus affirmer que ces aires ont trait au traitement linguistique du stimulus présenté. Trois centres de l’écriture ont été identifiés dans l’hémisphère gauche par cette méthode : la terminaison postérieure du gyrus frontal supérieur, la partie antérieure du lobule pariétal supérieur et la partie antérieure du gyrus supramarginal. Il se confirme donc que deux régions de l’hémisphère, au niveau du sillon frontal supérieur et du sillon intrapariétal jouent un rôle crucial dans l’écriture manuscrite. Elles correspondent en effet à des sites lésionnels classiques de l’agraphie « pure », ou du moins de l’agraphie apraxique sans trouble de la parole associé. La nature de leur contribution respective est beaucoup moins claire : génération des programmes moteurs pour l’aire frontale contre capacité à guider visuellement le mouvement pour l’aire pariétale ? L’identification du gyrus supramarginal, en tant que « centre de l’écriture » est, elle, moins commune, et n’a pas été véritablement répliquée dans d’autres travaux de

Chapitre II – Les bases cérébrales du langage écrit

neuroimagerie. L’activation d’une telle aire, dont on a vu qu’elle aurait un rôle phonologique dans l’écriture (Roeltgen et al., 1983), découle peut-être de l’utilisation de Kanas japonais, dont l’écriture s’appuie particulièrement sur le processus de conversion phonème-graphème (Sugihara et al., 2006).

C’est une même combinaison de tâches : écriture de mots sous dictée, répétition orale de mots et traçage de cercles, cette fois avec des caractères alphabétiques en français, qui a permis à Roux et al. (2009) d’isoler une aire cruciale pour l’écriture dénommée « GMFA » (pour « Graphemic/Motor Frontal Area). Cette aire située au niveau de la partie postérieur du sillon frontal supérieur (BA 6) et concordant donc avec les observations précédentes (notamment de Sugihara et al., 2006), correspondrait à l’aire frontale traditionnellement désignée comme « l’aire d’Exner ». Dans leur étude utilisant l’IRMf, Roux et al. (2009) ont en effet montré que cette aire circonscrite était active, une fois prises en compte les différentes tâches contrôles, aussi bien chez des sujets droitiers, que chez des sujets gauchers, et ce, quelle que soit la main utilisée pour écrire (e.g. droitiers écrivant avec la main gauche) (voir Figure II-6, en haut). De manière intéressante, cette aire se révélait bilatérale, même chez les droitiers (dont le langage est réputé pour être essentiellement latéralisé à gauche). Les auteurs ont par conséquent proposé que cette aire (GMFA) puisse supporter un processus à l’interface entre les processus centraux et périphériques de l’écriture, dans le transcodage des représentations orthographiques ou graphémiques abstraites des mots en programmes moteurs « allographiques » (les dynamiques et trajectoires qui donnent notamment un « style graphique » à l’écriture de chacun). L’originalité de ce travail réside surtout dans le fait qu’il présentait aussi des résultats concordants (i.e. sur l’identification de la GMFA) issus d’expérimentations utilisant la technique de stimulation corticale directe (dont il sera question plus loin). Ainsi, une stimulation électrique ce cette région frontale supérieure chez des patients pendant une opération du cerveau pouvait provoquer des symptômes semblables à l’agraphie pure : une perturbation de l’écriture sans affecter d’autres tâches langagières (e.g. dénomination orale), ni même provoquer de contraction musculaires de la main (la localisation de ces sites de stimulation est illustrée Figure II-6, en bas). Le tracé graphique de ces patients pendant la stimulation était lent et pauvre et pouvait aller jusqu’à l’arrêt total de l’écriture.

Figure II-6 : Résultats de Roux et al. (2009) identifiant l’aire GMFA. En haut, résultats d’IRMf chez les

sujets droitiers et gauchers. En bas, extrait des résultats de l’expérimentation de stimulation corticale directe. Les points bleus ciel représentent les sites « d’agraphie pure ».

De manière intéressante, les deux aires dont de plus en plus de travaux s’accordent à démontrer la contribution cruciale dans le processus d’écriture s’avèrent sensibles à la longueur des mots écrits (Rapp & Dufor, 2011). En effet, cette expérimentation (dont d’autres aspects seront évoqués plus loin) a comparé l’écriture de mots courts et longs dans le but d’identifier le siège de la mémoire de travail orthographique (i.e. le buffer graphémique). Au sein du réseau de l’écriture préalablement localisé, le sillon frontal supérieur (BA 6) et le lobule pariétal supérieur (BA 7) démontraient une telle sensibilité, malgré une « quantité d’activité motrice » contrôlée (i.e. les sujets devaient écrire en continu, que le mot soit court ou long). Les auteurs ajoutent ensuite que lors d’une analyse plus rigoureuse utilisant uniquement les résultats issus d’une partie de leurs stimuli (i.e. afin que le nombre de lettres réellement écrites diffère au minimum), seule l’aire frontale montrait réellement une activité sensible à la longueur.