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Chapitre 2 : Rôle des informations non syntaxiques dans l’accord

4. Comment les informations non syntaxiques influencent elles l’accord ?

4.2 Modèle de satisfaction des contraintes

MacDonald et ses collaborateurs (Haskell & MacDonald, 2003 ; Thornton & MacDonald, 2003) ont proposé d’adapter les modèles de satisfaction des contraintes (pour une description détaillée de ces modèles, voir par exemple MacDonald, Pearlmutter, &

Seidenberg, 1994) à la production de l’accord sujet-verbe. Ces modèles d’activation reposent

Ce réseau permettrait de résoudre les ambiguïtés par l’activation simultanée de différents

types d’informations et la combinaison d’indices probabilistes issus de l’expérience passée de l’individu avec sa langue. MacDonald et ses collaborateurs n’envisagent pas l’accord comme

la copie du nombre du sujet sur le verbe, mais comme un processus de satisfaction des contraintes, au sein duquel de multiples facteurs sont utilisés pour produire la forme fléchie du

verbe. Plus précisément, l’accord du verbe dépendrait de la compétition entre les formes verbales et de l’interaction entre les différentes sources d’informations.

MacDonald et ses collaborateurs ont adapté cette approche à la réalisation de l’accord

à partir de résultats recueillis dans une série d’expériences manipulant les informations

conceptuelles et morpho-phonologiques du syntagme nominal sujet. Dans une première expérience, Haskell et MacDonald (2003) ont demandé à des locuteurs anglais de répéter puis compléter des préambules dont le nom sujet était soit un nom collectif (25a), soit un nom individuel (25b).

(25a) The cast in the weekend performances … [La troupe dans les spectacles du weekend]

(25b) The actor in the weekend performances … [L’acteur dans les spectacles du weekend]

Le nom sujet était toujours au singulier et le nom local pouvait être soit singulier (SS)

soit pluriel (SP). Les auteurs ont relevé le nombre d’erreurs pour chaque condition

expérimentale et ont également mesuré la latence d’initiation de la phrase (en millisecondes).

Les résultats ont révélé que les locuteurs commettaient davantage d’erreurs d’accord et

mettaient plus de temps pour produire les phrases dont le nom sujet était collectif (25a). Par

ailleurs, l’augmentation des erreurs d’accord et des latences d’initiation a également été

observée lorsque le nom local était au pluriel (condition SP, en opposition à la condition SS).

Ces résultats ont permis à Haskell et MacDonald d’envisager l’existence d’une compétition entre plusieurs formes verbales, résultant d’un conflit entre différents facteurs (contraintes). Dans le cas d’un nom sujet collectif grammaticalement singulier, le facteur conceptuel

activerait la forme du pluriel du verbe alors que le facteur grammatical activerait la forme du singulier. Les deux formes activées entreraient en compétition pour être sélectionnées. Dans

le cas d’une erreur d’accord face à un nom sujet collectif singulier, la compétition des deux

formes activées du verbe serait résolue en faveur de la forme verbale du pluriel. Le conflit

entre différentes sources d’informations permet ainsi d’expliquer le nombre élevé d’erreurs d’accord et les latences d’initiation plus longues pour les noms sujets collectifs dont le nombre grammatical est singulier. De la même façon, les erreurs d’attraction seraient le

résultat d’une compétition entre les formes verbales du singulier et du pluriel, l’une étant activée par le nom sujet et l’autre par le nom local.

Pour MacDonald et ses collaborateurs, l’accord sujet-verbe serait également dépendant

des interactions entre les différentes sources d’informations. Plus précisément, l’effet d’un

facteur serait modulé par ses interactions avec les autres facteurs. Haskell et MacDonald (2003) ont observé un effet de la régularité du nombre du nom local sur l’accord lorsque le

nom sujet était un collectif singulier. Dans cette situation, les erreurs d’accord étaient plus fréquentes en présence d’un nom local pluriel régulier (rat/rats) qu’irrégulier (mouse/mice). Pourtant, un tel effet n’a pas été observé lorsque le nom sujet était un nom individuel (Bock &

Eberhard, 1993 ; Haskell & MacDonal, 2003, expérience 2). Pour Haskell et MacDonald

(2003), un facteur peu influant lorsqu’il est envisagé de façon isolée (régularité morpho-

phonologique du nombre du nom local) pourrait fortement contraindre la production de

l’accord lorsqu’il est combiné à d’autres facteurs en conflit pour la sélection d’une forme

verbale (lorsque le nombre grammatical du nom sujet n’est pas congruent avec son nombre notionnel).

Si cette approche se révèle pertinente pour décrire dans quelles mesures les facteurs conceptuels et morpho-phonologiques influencent l’accord, elle présente néanmoins un point faible majeur. En effet, elle ne prend pas en compte les dépendances structurales qui relient

les différents éléments d’une phrase et permet l’accord entre deux constituants. Néanmoins, MacDonald et ses collaborateurs suggèrent que l’effet des constructions syntaxiques sur l’accord – en tout cas pour l’anglais – dépendrait du lien entre les expériences passées de l’individu avec sa langue et son comportement vis-à-vis de l’accord. D’une part, les auteurs supposent que le phénomène d’attraction serait le résultat de l’utilisation de l’information

relative à la proximité linéaire entre un nom et un verbe (Haskell & MacDonald, 2005). En effet, dans les langues dont la structure est habituellement SVO, la proximité linéaire constituerait un indice fiable pour déterminer avec quel élément le verbe doit être accordé.

D’autre part, l’effet de certaines structures syntaxiques dépendrait de la fréquence d’association entre une structure donnée et une forme verbale. Haskell et MacDonald (2003)

prennent en référence les constructions de type « a … of … », qui seraient fortement corrélée

à l’utilisation d’un verbe au pluriel car le nom tête agit comme un quantifieur du nom local

(e.g., a bunch of marbles [un tas de billes]). Selon eux, plus une phrase serait similaire à ce type de construction – comme « the editor of the books » – plus l’activation d’une forme verbale du pluriel serait forte. Si ces différentes interprétations semblent pertinentes pour

certaines situations, elles ne permettent pourtant pas d’expliquer l’intégralité des résultats

portant sur les manipulations de la structure syntaxique de la phrase (cf. chapitre 1).

5. Conclusion

Le modèle Feature Selection and Copy et le modèle de satisfaction des contraintes présentent tous deux des arguments théoriques recevables pour décrire la réalisation de

l’accord, mais comportent néanmoins quelques faiblesses pour interpréter l’intégralité des données expérimentales recueillies jusqu’à ce jour. Pour résumer les principaux résultats issus de la littérature, l’impact des informations conceptuelles dépend de leur congruence avec l’information lexico-syntaxique. Elles peuvent faciliter la réalisation de l’accord si elles coïncident avec l’information lexico-syntaxique, c’est-à-dire lorsqu’elles viennent renforcer le

nombre ou le genre syntaxique du nom sujet. A l’inverse, lorsque les informations conceptuelles et lexico-syntaxiques du nom sujet ne sont pas congruentes, elles peuvent entrer

en concurrence et favoriser l’apparition d’erreurs d’accord. La présence d’informations

morpho-phonologiques permettrait de renforcer le nombre ou le genre du nom sujet et de

diminuer la probabilité d’occurrence des erreurs d’accord. A l’inverse, en l’absence de tels indices, l’accord serait davantage sensible aux informations lexico-syntaxiques d’un nom

interférent conduisant à des erreurs d’attraction. Les informations lexico-sémantiques, comme la plausibilité de la relation entre un nom et un verbe, seraient quant à elles utilisées pour

déterminer l’attribution des fonctions syntaxiques. Leur impact sur l’accord serait donc établi

de façon indirecte.

Les différents modèles et résultats empiriques présentés dans ce chapitre étaient axés sur la réalisation de l’accord chez le locuteur/rédacteur adulte. Pourtant, il semble délicat de postuler que des processus identiques sont à l’œuvre chez de jeunes rédacteurs, pour qui

l’accord est en cours d’acquisition. En effet, les rédacteurs novices sont confrontés à certaines

contraintes, comme le coût de la transcription graphique, qui peuvent perturber le traitement des processus de plus haut niveau (Bourdin & Fayol, 1994). Il convient donc de s’intéresser

aux mécanismes responsables de l’apprentissage de la production écrite avant d’aborder plus précisément les questions relatives à l’accord, comme l’influence des informations non-

syntaxiques chez le rédacteur novice. La perspective développementale du traitement de