• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3. Acquisition de l’accord en nombre

4. Accord en nombre et révision

La révision de l’accord verbal repose sur deux stratégies : une procédure algorithmique contrôlée et une procédure automatisée liée à l’expérience de l’individu avec l’écrit. La distinction entre ces deux procédures a été mise en évidence par les travaux de

Largy et ses collaborateurs sur des participants francophones (Dédéyan & Largy, 2003 ; Largy & Dédéyan, 2002 ; Largy, Dédéyan, & Hupet, 2004). Dans une perspective

développementale, ces auteurs ont conduit une série d’expériences sur la capacité des apprenants et des adultes à réviser l’accord verbal. Dans ces travaux, il était demandé explicitement aux participants de détecter la présence d’erreurs d’accord dans des phrases

présentées visuellement. Ces phrases, de type « Nom 1 de Nom 2 + Verbe », étaient construites de façon à ce que les deux noms préverbaux soient de même nombre (SS, PP) ou

de nombre différent (SP, PS). Les phrases qui apparaissaient à l’écran présentaient un accord

correct (26a) ou erroné du verbe (26b). (26a) La baguette des magiciens dirige (26b) La tige des tulipes cassent

Les participants devaient juger, en communiquant leur réponse à l’aide de deux

boutons (« juste » ou « faux »), si la phrase présentée à l’écran comportait ou non une erreur

d’accord. Les auteurs relevaient donc deux catégories d’erreurs : les fausses alarmes (i.e.,

accord correct jugé erroné) et les manqués (i.e., accord erroné jugé correct). Par ailleurs, le temps de réalisation de la tâche était soit contraint soit libre, afin de mesurer le coût

attentionnel de l’activité de détection d’erreurs. Les résultats recueillis par Largy et ses collaborateurs suivent la forme d’une courbe en U : les erreurs de détection diminuent avec le

niveau scolaire des jeunes participants (entre le primaire et le collège), puis augmentent

nettement entre la fin du collège et l’âge adulte (Largy et al., 2004). Ces différents profils de performances dans la détection d’erreurs d’accord traduisent le recours à deux stratégies de

révision : l’une novice et l’autre experte.

Au départ, les réviseurs novices auraient recours à l’application d’un algorithme de

vérification, mettant en jeu le même type de règles explicites que celles impliquées dans la

production de l’accord. La révision n’est donc possible que si les enfants connaissent les règles d’accord (i.e., à partir du CE1). L’algorithme de révision reposerait sur des règles de

« condition-action » comme par exemple : « si le mot est un verbe, si le sujet de ce verbe est

au pluriel et si le verbe n’a pas la terminaison –nt, alors ajouter cette terminaison ». Comme

le témoignent les nombreuses erreurs relevées chez les plus jeunes participants, l’application

de cette procédure serait initialement imparfaite et laborieuse. La procédure algorithmique serait cognitivement coûteuse car le réviseur novice commet davantage d’erreurs de détection

lorsqu’il est en situation de contrainte temporelle. Avec une pratique de plus en plus régulière, l’application de l’algorithme de vérification deviendrait, vers la fin du collège, une procédure efficiente et rapide. Parallèlement, l’expérience de la langue écrite permettrait à l’individu d’extraire l’une des régularités du français : la cooccurrence des flexions « –s et –nt » ou « –Ø

et –e » sur deux items successifs. Cet apprentissage implicite permettrait de stocker, en mémoire à long terme, les cooccurrences spatiales entre morphèmes flexionnels. La révision

experte s’opèrerait alors grâce à la récupération de ces configurations, permettant de décider si l’accord est correct ou non. Cette procédure automatisée servirait à détecter les erreurs

d’accord rapidement et de façon peu coûteuse, comme l’exigent les conditions réelles de

révision.

Si la révision experte par proximité s’avère la plupart du temps efficace, elle présente

néanmoins un risque pour certaines configurations, notamment les phrases de type « Nom 1 de Nom 2 + Verbe ». Lorsque les ressources attentionnelles du réviseur sont limitées (e.g.,

situation de contrainte temporelle), il arrive que l’expert considère un accord verbal correct

comme erroné (e.g., La baguette des magiciens dirige). Les flexions proximales étant ambigües (e.g., nom–s + verbe–Ø), le réviseur peut détecter un conflit et juger l’accord

comme étant faux. Inversement, l’erreur dans une phrase présentant un accord par proximité

(e.g., La tige des tulipes cassent) peut ne pas être détectée, dans la mesure où la cooccurrence des flexions « –s et –nt » n’alerte pas le réviseur. Toutefois, lorsque l’expert dispose de

l’ensemble de ses capacités attentionnelles, il est en mesure de déclencher l’algorithme de vérification, nécessaire pour détecter les erreurs d’accord dans les phrases complexes. L’amélioration des performances observée chez les adultes en l’absence de contrainte

temporelle laisse supposer que les deux stratégies de détection d’erreurs – utilisation des cooccurrences des flexions et/ou algorithme de vérification – coexistent à un certain niveau

d’expertise.

Une étude de Dédéyan, Largy et Chanquoy (en préparation) a permis de confirmer

l’utilisation de la cooccurrence de flexions dans la révision experte. Ces auteurs ont étudié l’impact de la police d’écriture sur les performances en détection d’erreurs dans des phrases

de type « Nom 1 de Nom 2 + Verbe ». Les phrases étaient présentées selon trois modalités : police normale, police dégradée et mise en gras des flexions du Nom 2 et du verbe. Les résultats ont révélé que seuls les participants adultes se montraient sensibles aux variations de police des phrases. Plus précisément, par rapport à la condition contrôle (i.e., police normale), les experts étaient davantage performants dans la condition de police dégradée mais

commettaient plus d’erreurs dans la condition de police grasse. D’après les auteurs, la

dégradation des lettres, et notamment des marques du nom local et du verbe, gênerait la procédure experte de révision basée sur le repérage de la configuration des flexions

proximales. Dans cette situation, l’expert appliquerait donc systématiquement l’algorithme de

vérification, et améliorerait ainsi ses performances. A l’inverse, la mise en exergue des

flexions avec la police grasse faciliterait l’application de la procédure experte basée sur le

La procédure experte de détection d’erreurs serait donc sensible aux indices visuels. D’ailleurs, le calepin visuo-spatial de la mémoire de travail semble particulièrement impliqué dans la détection d’erreurs chez les adultes qui s’appuient sur la cooccurrence des flexions

(Dédéyan, Largy, & Negro, 2006). Si la procédure experte semble être affectée par les indices

de surface de l’accord (Largy et al., 2005), la procédure contrôlée utilisée par les novices

serait davantage influencée par des facteurs sémantiques.

Largy et ses collaborateurs (Dédéyan & Largy, 2003 ; Largy et al., 2004) ont manipulé la plausibilité de la relation entre le nom local et le verbe dans une tâche de détection

d’erreurs de l’accord verbal chez l’enfant et l’adulte. Dans la phrase (27a), le nom local

constitue un sujet plausible du verbe, alors que dans la phrase (27b), cette relation est non plausible.

(27a) Le gardien des prisonniers respirent (27b) Le gardien des bâtiments respirent

Les résultats ont montré que les performances des adultes étaient équivalentes quelle que soit la relation de plausibilité entre le nom préverbal et le verbe. Lesindices perceptifs de

la cooccurrence de flexions semblent donc l’emporter sur les indices sémantiques lors de la

procédure experte. En revanche, les enfants jusqu’en fin du collège détectaient mieux les erreurs pour les phrases où la relation entre le nom local et le verbe était non plausible.

D’après Largy et ses collaborateurs, la non plausibilité faciliterait l’identification du nom sujet

de la phrase, car le nom local serait rapidement exclu comme sujet potentiel du verbe. Dans ces conditions, la procédure algorithmique de révision serait plus efficace. Les apprenants sont donc sensibles aux informations sémantiques, du moins dans une tâche de détection

d’erreurs d’accord. Ce dernier résultat permet d’aborder plus spécifiquement la question du fonctionnement de l’encodage grammatical chez le rédacteur novice.