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Accord et processus automatique versus contrôlé

Chapitre 1 : Accord et encodage grammatical

5. Erreurs d’attraction : proximité linéaire ou hiérarchique ?

5.1 Approches non syntaxiques

5.1.1 Accord et processus automatique versus contrôlé

Fayol et ses collaborateurs supposent l’existence d’un accord automatique du verbe

avec le nom le plus proche (Francis, 1986), associé à un processus de contrôle permettant de

vérifier l’exactitude de cet accord. L’intervention de ce processus serait contrôlée et

mobiliserait des ressources en mémoire de travail. Ainsi, les auteurs suggèrent que la plus ou moins grande disponibilité des ressources cognitives pourrait influencer les performances

dans l’accord entre le verbe et son sujet à l’écrit (Fayol & Got, 1991 ; Fayol, Hupet, & Largy,

1999 ; Fayol et al., 1994). Pour tester cette hypothèse, Fayol et Got (1991) ont proposé à des participants adultes francophones de rappeler par écrit des phrases de type « Nom 1 de Nom 2 + Verbe », présentées oralement selon quatre conditions (SS, PP, SP et PS). La dictée de phrases était réalisée sous deux modalités : soit les participants rappelaient uniquement la phrase (2a, condition de rappel simple), soit ils rappelaient la phrase suivie d’une série de cinq mots unisyllabiques (3a + 3b, condition de double tâche). Le rappel de mots était censé provoquer une charge en mémoire de travail permettant de simuler les conditions réelles de production écrite, lorsque les individus écrivent un segment déjà planifié tout en continuant à planifier les segments suivants.

(3a) Le chien des voisins arrive (3b) Craie, trait, fait, près, frais

Dans l’étude de Fayol et Got (1991), les erreurs d’attraction (dans les conditions SP et

PS) se sont avérées plus fréquentes en présence de la tâche secondaire, par rapport au rappel

secondaire a été observé dans toutes les études utilisant le paradigme de double tâche, qu’il

s’agisse d’un rappel de mots (en français à l’écrit : Chanquoy & Negro, 1996 ; Fayol & Got,

1991 ; Fayol et al., 1999 ; Fayol et al., 1994 ; Negro & Chanquoy, 2000a ; en néerlandais à

l’oral : Hartsuiker & Barkhuysen, 2006), d’un dénombrement de clics (Fayol et al., 1994, expérience 2) ou d’additions simultanément à la transcription de la phrase (Hupet et al.,

1996). Toutefois, le type de tâche secondaire utilisé ne détériore pas les performances dans

l’accord de la même façon. En effet, lorsque la tâche mobilise uniquement des capacités de

stockage – comme pour le rappel de mots et le dénombrement de clics –, la réalisation de

l’accord est moins perturbée que lorsque la tâche engage à la fois du stockage et du traitement

(i.e., addition de chiffres, Hupet et al., 1996). En outre, certains auteurs ont montré que les performances à la tâche secondaire diminuaient lorsque les deux noms préverbaux étaient de

nombre différent (conditions SP et PS), c’est-à-dire lorsque la gestion de l’accord était

complexe (e.g., Fayol et al., 1994 ; Hupet et al., 1996 ; Largy & Fayol, 2001).

Fayol et al. (1994) ont expliqué l’augmentation des erreurs d’accord lors de la

réalisation parallèle du rappel de phrases et d’une tâche secondaire via un modèle en deux

étapes. La première étape correspond à une activation automatique de la flexion du verbe par la flexion du nom qui le précède immédiatement. Ce traitement automatique résulterait de

l’existence d’une structure canonique très régulière des phrases en français : « Sujet + Verbe

+ Complément ». La présence de la flexion –s sur un nom précédant le verbe activerait automatiquement la flexion verbale –nt. L’accord du verbe avec le nom le plus proche, de par son exécution automatique, garantirait la rapidité de sa réalisation. Pourtant, si cet accord par

proximité s’avère efficace pour des configurations d’énoncés simples, il peut donner lieu à des erreurs d’accord lorsque le verbe est précédé de deux noms différant en nombre

(conditions SP et PS). Les auteurs ont alors suggéré l’existence d’une seconde étape au cours

de laquelle un processus de contrôle prégraphique permettrait de vérifier l’exactitude de l’accord et, le cas échéant, de le recalculer. Ce processus serait appliqué de façon contrôlée

par le rédacteur dans certaines situations, notamment lorsque les deux noms précédant le verbe à accorder sont de nombre différent (SP et PS). Le caractère contrôlé de ce processus rendrait son application coûteuse en ressources cognitives. Par conséquent, lorsque la mémoire de travail est surchargée, comme dans le cas de la gestion parallèle d’une tâche secondaire, les ressources habituellement allouées au processus de contrôle ne seraient plus disponibles. La surcharge cognitive créée par une tâche secondaire constituerait alors un

L’existence de processus automatiques versus contrôlés dans la réalisation de l’accord, défendue par Fayol et ses collaborateurs, permet d’expliquer la survenue des erreurs lorsque

les ressources cognitives sont limitées. Toutefois, cette explication est purement hypothétique.

D’une part, comme le soulèvent Hupet et al. (1996), la réalité d’un accord automatique du verbe avec le nom le plus proche reste encore à prouver expérimentalement. D’autre part, l’existence d’un processus prégraphique de contrôle permettant d’empêcher les erreurs d’accord ne repose que sur des observations indirectes : (1) la perturbation de l’accord lorsque

le rédacteur doit mener en parallèle la gestion de deux tâches concurrentes ; (2)

l’augmentation des erreurs d’accord et la diminution des performances à la tâche secondaire dans les conditions SP et PS, nécessitant l’application du processus de contrôle prégraphique. Ainsi, les auteurs n’ont jamais pu mettre directement en évidence le lien prédictif entre les performances à la tâche secondaire et les performances d’accord. Un tel lien aurait pourtant permis de confirmer l’hypothèse des chercheurs sur l’existence d’un processus prégraphique de contrôle. En effet, si l’exactitude de l’accord est due à l’application coûteuse d’un

processus de contrôle, les performances à la tâche secondaire devraient être plus faibles

lorsque l’accord est correct. Inversement, les performances à la tâche secondaire devraient

être meilleures en cas d’erreurs d’accord, puisque le processus de contrôle n’est pas déclenché

et ne consomme pas de ressources cognitives. Or, à ce jour, cela n’a jamais été mis en

évidence. Les résultats de Fayol et ses collaborateurs suggèrent cependant que les ressources de la mémoire de travail sont nécessaires pour accorder correctement un verbe avec son sujet.

L’étude de la relation et de l’impact éventuel des capacités limitées de la mémoire de travail sur la réalisation de l’accord a également été conduite en anglais à l’oral. Bock et Cutting (1992) ont étudié plus précisément l’impact des capacités de la mémoire de travail sur l’accord, en évaluant à la fois le nombre d’erreurs d’orthographe, selon le paradigme habituel, et l’empan en mémoire de travail des participants. Outre la tâche classique de complètement

des phrases « Nom 1 de Nom 2 + Verbe », Bock et Cutting ont mesuré la taille de l’empan verbal de leurs participants en adaptant le Speaking Span Test, élaboré par Daneman et Carpenter (1980). Ce test consistait à présenter des listes allant de deux à cinq mots. Les

participants avaient pour consigne d’élaborer une phrase pour chaque mot de la liste. Afin de mettre en évidence le lien entre les capacités de la mémoire et l’accord, Bock et Cutting

(1992) ont calculé des corrélations entre les empans des rédacteurs (i.e., le nombre total de

menées par les auteurs, une seule a mis en évidence un faible lien entre empan et erreurs

d’accord. En revanche, la taille de l’empan de la mémoire de travail et le nombre d’erreurs de

répétition des préambules corrélaient significativement : plus l’empan des participants était faible, plus les erreurs de répétition étaient nombreuses.

Bock et ses collaborateurs (Bock & Cutting, 1992 ; Bock & Miller, 1991) ont

également mesuré l’impact des ressources limitées de la mémoire travail sur l’accord en

faisant varier la distance linéaire séparant le verbe de son sujet.