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Apprentissage explicite et application de règles

Chapitre 3. Acquisition de l’accord en nombre

3. Accord en nombre : quels mécanismes d’apprentissage ?

3.1 Apprentissage explicite et application de règles

L’apprentissage explicite renvoie aux situations où un apprenant est confronté à l’instruction explicite d’un comportement, d’une règle, à l’issue de laquelle il devra mettre en pratique ce qu’il a appris. Ce type d’apprentissage conduit à l’élaboration d’une procédure, permettant d’appliquer la règle apprise à de nouveaux items de façon plus ou moins

automatisée.

3.1.1 Modèle d’Anderson

Afin d’aborder la question d’un apprentissage explicite de l’accord, Fayol et ses collaborateurs ont adopté la théorie d’Anderson (1983). Dans son modèle « Adaptative

Control of Though », Anderson définit trois grandes étapes dans l’acquisition d’une nouvelle

compétence, pouvant être transposables à l’accord en nombre.

Au cours d’une première étape, des savoirs sont transmis sous la forme d’un

enseignement de règles explicites. Progressivement, les apprenants vont stocker ces règles en mémoire à long terme, sous la forme de connaissances déclaratives (e.g., « pour accorder au pluriel, il faut ajouter un –s »). En se référant à ces connaissances, les individus sont en mesure de récupérer les règles apprises mais ne sont pas encore capables de les appliquer.

Concernant l’accord, cette étape correspond à l’aptitude des jeunes enfants de comprendre les

marques du pluriel tout en étant dans l’incapacité de pouvoir les produire (e.g., Largy, 2001 ; Totereau et al., 1997).

Dans une deuxième étape, dite de compilation, les apprenants vont transposer leurs connaissances déclaratives sous la forme de procédures. Un apprentissage procédural se met en place sous la forme de règles type « condition-action », appelées également algorithmes.

Ces règles permettent de repérer l’élément déclencheur du comportement et d’agir en conséquence. Dans le cas de l’accord, la procéduralisation permet aux enfants de commencer

à produire les accords grammaticaux. A cette période, la réalisation de l’accord est lente et

approximative car, n’étant pas encore automatisée, elle consomme une grande quantité de

ressources attentionnelles. En effet, les enfants doivent rechercher et accéder à la règle adéquate en mémoire, vérifier la pertinence de son application par rapport au contexte et enfin, produire la terminaison appropriée.

Enfin, l’étape procédurale marque l’accès à l’expertise de la compétence acquise. L’application de la procédure devient de plus en plus efficace grâce à trois mécanismes. La généralisation va permettre d’appliquer la règle dans plusieurs contextes ainsi que dans des

nouvelles situations. Le mécanisme de discrimination donne lieu à la création de sous-

catégories parmi les règles générales. Concernant l’accord, la première règle « si pluriel, alors –s », n’opère aucune distinction entre les différentes catégories syntaxiques existantes (e.g.,

Fayol, 2003 ; Fayol et al., 2006), ce qui conduit à des erreurs de surgénéralisation. Le

traitement de l’ensemble des accords requiert donc de créer des conditions supplémentaires à

cette première règle, en fonction des catégories syntaxiques : « si pluriel et nom ou adjectif, alors –s » et « si pluriel et verbe, alors –nt ». Enfin, le troisième mécanisme renforce les procédures correctes et élimine les procédures incorrectes (e.g., –s pour le pluriel des verbes),

cette étape, la procédure est complètement automatisée et ne nécessite plus de contrôle

conscient comme la recherche d’une règle en mémoire.

Dans ce cadre, la maîtrise de l’accord résulte de l’apprentissage de règles enseignées de façon explicite à l’école. Grâce à la pratique, ces règles se transforment progressivement en procédures, plus ou moins automatisées, que l’enfant est en mesure d’appliquer dans de nouvelles situations. Plusieurs résultats empiriques ont permis de confirmer l’importance de l’apprentissage explicite dans la maîtrise de l’accord en nombre.

3.1.2 Arguments empiriques en faveur d’un apprentissage explicite

Cette conception de l’apprentissage a été validée empiriquement grâce aux études évaluant l’effet d’un enseignement de règles explicites et de leur mise en pratique sur les performances de l’accord en nombre (David, Guyon, & Brissaud, 2006 ; Negro & Chanquoy,

2005b ; Thévenin, Totereau, Fayol, & Jarousse, 1999).

Thévenin et al. (1999) ont comparé le taux de réussite d’élèves scolarisés du CP au

CE2 à un exercice de complètement, selon qu’ils avaient suivi ou non une instruction directe des règles d’accord (sur le nom, l’adjectif et le verbe). Une partie des enfants ne recevait

aucun enseignement particulier sur la morphologie du nombre. Dans ce groupe contrôle,

l’apprentissage des règles d’accord était par conséquent restreint à la simple exposition au langage écrit. L’autre groupe de participants recevait des instructions explicites sur l’accord

pendant plusieurs semaines et réalisaient également de nombreux exercices portant sur

l’application des règles enseignées. Thévenin et al. évaluaient l’impact de l’enseignement

explicite et de la pratique en comparant les performances pré- et post-test des participants via une tâche de complètement sur l’accord des noms, verbes et adjectifs. Les résultats ont révélé

un effet bénéfique de l’instruction explicite sur les performances des enfants lors de l’évaluation post-test, quels que soient leur niveau scolaire et le type d’accord à réaliser. Par

ailleurs, les enfants ayant reçu une instruction explicite commettaient significativement moins

d’erreurs d’omissions au pluriel que les enfants du groupe contrôle. Des observations similaires ont été rapportées concernant l’entraînement explicite à la morphologie du participe

passé en CM2 (David et al., 2006). De la même façon, Negro et Chanquoy (2005b) ont

montré qu’un entraînement explicite à la recherche du nom sujet de la phrase améliorait significativement les performances en production d’accord verbal en CE1 et CM2.

Pourtant, les jeunes rédacteurs ne semblent pas recourir systématiquement aux règles

montré que les jeunes anglophones étaient moins performants dans l’accord au passé de

pseudo-verbes non-analogues à des verbes existants (e.g., bayp) que de pseudo-verbes

proches d’une forme réelle (e.g., lind pour find [trouver]). Si l’accord consistait exclusivement en l’application d’une règle, une telle différence n’aurait pas été constatée. En effet, le caractère génératif des règles suppose qu’elles soient appliquées de la même façon sur tous les items (déjà rencontrés ou nouveaux). Ainsi, même lorsque les règles d’accord sont

explicitement enseignées, il semble que les enfants n’y aient pas systématiquement recours.

D’autres mécanismes, basés sur un apprentissage de type implicite, entreraient également en

jeu lors de la production de la morphologie flexionnelle du nombre.