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Chapitre 3. Acquisition de l’accord en nombre

2. Expérience 1 : Influence des indices morpho-phonologiques portés par le verbe en

2.4 Discussion

L’objectif principal de cette étude était de tester, dans une perspective développementale, l’influence d’une marque audible du nombre portée par le verbe sur l’accord verbal. En premier lieu, les résultats ont révélé un effet du niveau des participants sur

les performances. Conformément au modèle de Fayol et al. (1999), les erreurs d’accord

diminuent avec le développement de l’expertise dans la réalisation de l’accord. Les erreurs sont plus fréquemment commises au pluriel chez les rédacteurs de CE2, pour qui l’utilisation des connaissances déclaratives sur l’accord sujet-verbe semble entravée par la gestion du

geste graphique (Bourdin & Fayol, 1994). En effet, la comparaison de leurs performances

dans l’accord du verbe entre la tâche de dictée et une tâche de complètement (cf., annexe 4, p.

5) a révélé que l’accord (des verbes du 1er groupe) était davantage réussi lorsque les

participants devaient simplement écrire la terminaison des verbes (28% d’erreurs en

complètement vs 38% en dictée chez les CE2). Conformément aux résultats de Fayol et al.

(1999), l’effet mismatch, typique des rédacteurs experts, émerge à partir du CM2. Le fait que les rédacteurs aient automatisé l’accord les conduit parfois à un accord du verbe par

proximité. Lorsque les deux noms préverbaux sont de nombre différent, l’accord par proximité peut conduire à une erreur. Cette erreur peut néanmoins être évitée si le rédacteur repère une ambiguïté et déclenche un mécanisme de contrôle prégraphique permettant de

corriger l’erreur avant qu’elle ne soit produite par écrit (e.g., Fayol et al., 1994). L’effet

mismatch a été observé chez les participants de CM2 et les adultes en condition de double

tâche. Chez les élèves de CM2, le simple fait de gérer la transcription graphique, cognitivement coûteuse (Bourdin & Fayol, 1994), monopoliserait les ressources

attentionnelles nécessaires à l’application du mécanisme de contrôle prégraphique. De la même façon, l’effet mismatch observé chez les adultes en condition de double tâche est

consécutif à la monopolisation des ressources par la réalisation de l’addition de chiffres

parallèlement à la transcription de la phrase. En revanche, l’effet mismatch n’a pas été relevé

chez les adultes en condition de rappel simple, car ces rédacteurs disposeraient de toutes les ressources attentionnelles nécessaires à la mise en œuvre du contrôle prégraphique permettant

d’empêcher l’apparition d’erreurs d’attraction (2% d’erreurs seulement).

Conformément aux résultats observés par Largy et Fayol (2001), les adultes en condition de double tâche ont commis plus d’erreurs d’accord sur les verbes du 1er groupe que sur les verbes du 2ème groupe. En présence d’une charge cognitive, permettant de simuler le

processus de planification consommant des ressources attentionnelles (e.g., Hupet et al., 1996), la marque audible du nombre portée par les verbes du 2ème groupe semble bien faciliter

le traitement de l’accord. Dans ces conditions, le rédacteur serait alerté par l’indice morpho-

phonologique de la terminaison verbale et pourrait, malgré le manque de ressources

attentionnelles, déclencher le processus de contrôle prégraphique permettant d’empêcher la survenue d’une erreur d’attraction. L’effet du type de verbe n’a pas été relevé chez les adultes

en condition de rappel simple car ces derniers peuvent aisément exercer ce contrôle, quels que soit les facteurs manipulés.

L’effet de l’indice morpho-phonologique est plus complexe chez l’enfant. En

analysant les erreurs avec une cotation stricte (i.e., en acceptant uniquement les terminaisons

–it au singulier et –issent au pluriel), les jeunes rédacteurs ont commis plus d’erreurs pour les

verbes du 2ème groupe que du 1ergroupe. Néanmoins, l’interaction entre le type de verbe et le nombre du nom sujet a révélé que les verbes du 2ème groupe provoquaient plus d’erreurs que ceux du 1er groupe au singulier, alors que la différence entre les deux types de verbe n’était

pas significative au pluriel. La distribution des terminaisons observées dans l’accord singulier

des verbes du 2éme groupe (cf. annexe 2, p. 3) laisse supposer que les rédacteurs de CE2/CM2

n’ont pas réellement acquis la conjugaison, pourtant régulière, de ce type de verbe. Cette

supposition est étayée par le fait que, contrairement aux verbes du 1er groupe, les proportions

d’erreurs et la distribution des terminaisons des verbes du 2ème

groupe sont similaires dans la tâche de production et de complètement, à la fois au singulier et au pluriel (cf. annexe 4, p. 5). De plus, en analysant plus précisément la distribution des terminaisons relevées pour les verbes du 2ème groupe, il s’est avéré que la plupart de ces flexions verbales était phonologiquement plausible pour marquer le nombre du verbe. Une seconde analyse a donc été menée, en acceptant ces terminaisons phonologiquement plausibles comme correctes. Les

résultats de cette nouvelle analyse ont alors révélé que les erreurs d’accord au pluriel étaient

plus nombreuses avec les verbes du 1er groupe qu’avec les verbes du 2ème groupe et que les

proportions d’erreurs au singulier ne différaient plus en fonction du type de verbe. Ainsi, les enfants utiliseraient l’opposition singulier/pluriel audible pour accorder les verbes du 2ème

groupe, en tout cas à un niveau phonologique, alors qu’ils éprouvent encore des difficultés

pour accorder les verbes ayant une prononciation similaire entre le singulier et le pluriel (verbes du 1er groupe).

Pour le singulier, la flexion –ie s’est avérée être la plus fréquemment produite par les rédacteurs de CE2 et de CM2. Ceci pourrait suggérer que la conjugaison des verbes du 2ème

groupe a, dans certains cas, été traitée comme celle des verbes du 1er groupe. Quel que soit le

groupe d’appartenance du verbe, l’accord verbal à la troisième personne du singulier a alors

été traduit par un –e à la fin du verbe. Pour le pluriel, même si la flexion –nt caractérisant le

pluriel des verbes n’était pas présente, les enfants ont utilisé la marque morpho-phonologique –isse pour accorder le verbe. Dans cette configuration, il est possible d’envisager que les

rédacteurs se soient acquittés de l’accord au pluriel par le simple fait de transcrire le phonème

/is/. D’ailleurs, en acceptant cette terminaison comme correcte, les élèves de CM2 commettaient moins d’erreurs d’attraction (conditions SP et PS) sur les verbes du 2ème

groupe que sur les verbes du 1er groupe.

Si le fait de disposer d’informations morpho-phonologiques au niveau de la terminaison verbale permet aux enfants d’accorder plus fréquemment le verbe au pluriel et

aux adultes de déclencher plus efficacement un processus de contrôle prégraphique, ceci devrait également se manifester au niveau des pauses précédant la transcription du verbe. Le paradigme de cette première expérience a donc été repris en lui adjoignant des mesures en

temps réel, grâce à l’utilisation d’une tablette graphique. L’analyse de ces données

chronométriques devrait mettre en exergue des différences temporelles dans le traitement de

l’accord entre les verbes ayant une terminaison phonologiquement distincte pour le singulier

et le pluriel (2ème groupe) et les verbes dont les formes singulier/pluriel ne diffèrent pas phonologiquement (1er groupe).

3. Expérience 2 : Etude en temps réel de l’influence des indices morpho-