• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Modèles explicatifs de la santé au travail : rôle de la perception

1. Les modèles de stress et des problèmes de santé au travail

1.2. Le modèle « exigences-contrôle-soutien »

Selon ce modèle (voir Figure 6), le soutien social se rapporte à l’aide que peut avoir l’individu de la part de la hiérarchie et/ou des collègues de travail quand il est confronté à des problèmes et des situations contraignantes. De ce fait, la disponibilité du soutien social représente un facteur de protection de la santé, tandis que le manque de soutien reflète une situation dite d’isolement au travail qui constitue un facteur de risque et de dégradation de la santé de l’employé.

Le présent modèle repose sur deux hypothèses principales. La première hypothèse dite, isolement-tension, selon laquelle l’emploi qui se caractérise par des exigences élevées, une faible latitude décisionnelle et un faible soutien social est associé à un état de santé au travail dégradé (De Jonge & Kompier, 1997 ; Johnson & Hall, 1988). A ce sujet, Karasek et Theorell (1990) soulignent que l’absence de soutien social peut aboutir à l’isolement au travail qui représente un facteur de détérioration de la santé du travailleur (e.g., manifestation de souffrance psychique, de maladies cardiovasculaires et de pathologies). La deuxième hypothèse dite tampon qui défend l’idée que la disponibilité de l’autonomie au travail et du soutien social atténue les effets néfastes des exigences du travail sur la santé et le bien-être des employés (Van der Doef & Maes, 1999) et peut favoriser leur motivation au travail ainsi que les opportunités d’apprentissage (De Jonge & Kompier, 1997).

Les postulats de ce modèle ont reçu un certain appui empirique. En effet, Johnson et Hall (1988) montrent que le risque de développer une maladie cardiovasculaire est deux fois

plus élevé chez les travailleurs qui ont des exigences lourdes, peu d’autonomie et de soutien social comparativement aux employés qui ont des exigences faibles et qui ont une certaine latitude décisionnelle et un certain soutien social. En outre, les travailleurs occupant des emplois « actifs » rapportent un haut niveau d’implication au travail, alors que ceux qui occupent des emplois « à forte tension » éprouvent de l’insatisfaction au travail (Landsbergis, Schnall, Deitz, Friedman, & Pickering, 1992). De même, Rodríguez, Bravo, Peiró et Schaufeli (2001) constatent que les exigences professionnelles, le contrôle et le soutien social prédisent de manière significative de l’insatisfaction professionnelle. Par contre, ces auteurs n’ont pas trouvé des effets d’interaction significatifs de ces trois variables avec l’insatisfaction au travail.

Figure 6. Le modèle « exigences-contrôle-soutien » (Johnson & Hall, 1988)

A l’instar du modèle JD-C, le modèle « exigences-contrôle-soutien » aborde implicitement la notion de perception. En effet, Johnson et Hall (1988) font allusion à ce concept lorsqu’ils notent que les outils de mesure de la demande psychologique, du contrôle et du soutien utilisés reflètent la perception subjective des employés. La perception constitue ici un moyen qui permet au chercheur d’avoir des informations sur ces trois dimensions du

travail qui représentent des sources de tension. En outre, ces auteurs ajoutent que les connaissances accumulées sur les effets de l’environnement psychosocial sur la santé au travail seront renforcées s’il existait des données plus objectives.

Compte tenu de ce qui précède, nous pouvons noter que le modèle de Karasek (1979) et celui de Johnson et Hall (1988) proposent des conceptions intéressantes sur les facteurs qui agissent sur la santé au travail. Ils défendent l’idée selon laquelle la prise en compte des facteurs préconisés, de façon simultanée, permettra de mieux comprendre les problèmes de santé auxquels les travailleurs sont exposés. En outre, Van der Doef et Maes (1999) rapportent, sur la base d’une méta-analyse, que l’hypothèse selon laquelle la baisse du bien-être et l’augmentation des problèmes de santé s’observent chez les employés qui ont des exigences élevées et un manque de contrôle sur leur travail est soutenue par un nombre considérable de recherches. De même, ces auteurs précisent que la moitié des études apporte un appui à l’hypothèse d’isolement-tension qui suggère que les employés exerçant un emploi exigeant avec un faible contrôle et un manque de soutien éprouvent un niveau très faible du bien-être. En revanche, toujours selon les mêmes auteurs, les effets modérateurs de la latitude décisionnelle et du soutien social sur la relation entre les exigences du travail et la santé des employés dans ses aspects positifs comme négatifs sont moins consistants dans la littérature.

Par ailleurs, ces deux modèles sont associés à un questionnaire d’évaluation des conditions psychosociales au travail. Il s’agit de « Job Content Questionnaire » (JCQ, Karasek et al., 1998). Ce questionnaire auto-rapporté constitue l’un des outils les plus utilisés pour poser un diagnostic des contraintes psychosociales au travail. Il comporte, dans sa version française validée par Niedhammer ses collaborateurs, 26 items répartis comme suit : 9 items pour mesurer la demande psychologique, 9 items pour mesurer la latitude décisionnelle et 8 items pour évaluer le soutien social (Niedhammer, Chastang, Gendrey, David, & Degioanni, 2006).

Cependant, ces deux modèles comportent certaines limites que nous mentionnons ici. Tout d’abord, ils fournissent une conception figée et simpliste de l’environnement de travail, dans le sens où ils préconisent un nombre très restreint de facteurs à retenir pour étudier la santé au travail (Bakker & Demerouti, 2007). Or, l’environnement de travail est complexe et changeant, et par conséquent il faut plus de trois dimensions pour atteindre une meilleure compréhension du bien-être et du mal-être au travail (Bakker & Demerouti, 2014). Ajoutons à cela que les facteurs qui peuvent affecter la santé au travail ne sont pas les mêmes pour tous les métiers et ils varient selon les contextes et les milieux professionnels (Bakker & Demerouti, 2017). En outre, et bien qu’un certain nombre d’auteurs qui s’inspirent de ces deux modèles ont tenté de comprendre certains aspects positifs de la santé des employés (e.g., satisfaction, bien-être général), ces modèles restent plutôt ancrés dans l’approche pathogénique de la santé. Celle-ci consiste à explorer davantage les facteurs de détresse psychologique et des problèmes de santé physique. Or, cette approche est très limitée, voire dépassée car elle ne tient pas compte des facteurs qui génèrent du bien-être (Gilbert et al., 2011 ; Keyes, 2005a). Enfin, ces deux modèles ne prennent pas en considération une catégorie de facteurs aussi importants qu’indispensables dans le domaine de la psychologie du travail, à savoir les caractéristiques individuelles. En d’autres mots, ces modèles négligent le rôle des caractéristiques personnelles (e.g, surinvestissement, optimisme, résilience, locus de contrôle), alors qu’elles peuvent jouer un rôle primordial dans la santé au travail (Rodríguez et al., 2001). Pour combler notamment cette dernière limite, Siegrist (1996, 2002) a introduit un autre modèle qui propose une conception un peu plus élargie des déterminants de la santé au travail. Il s’agit du modèle « déséquilibre effort-récompense ».