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Chapitre 2 : Qu’est-ce que la santé psychologique au travail ?

1. Santé psychologique et santé psychologique au travail : quelle différence ?

1.2. Conceptualisations de la santé psychologique

1.2.3. Le modèle d’état complet de santé mentale

Proposé la première fois par Keyes et Lopez en 2002 et soumis à une vérification empirique (Keyes, 2005a), ensuite révisé en 2014 (Keyes, 2014), le modèle d’état complet de santé mentale constitue l’un des modèles les plus connus dans le domaine de la santé mentale (voir Figure 3). Anxiété situationnelle Anxiété trait Anxiété situationnelle Estime de soi Actualisation du potentiel Satisfaction de vivre Sens à la vie Détresse Bien-être psychologique Santé mentale

Ce modèle est apparu dans un contexte marqué par la concurrence entre deux grands courants de recherche. Le premier courant dit « pathogénique » qui focalise son attention sur l’étude de l’étiologie des troubles mentaux afin de proposer des programmes thérapeutiques adéquats. Le deuxième courant appelé « salutogène » s’intéresse plutôt aux aspects positifs de la santé (e.g., bien-être, fonctionnement optimal). Comme le précisent Keyes et Lopez (2002), l’objectif de ce modèle est d’identifier les facteurs qui favorisent le bien-être. Selon les mêmes auteurs, ces deux courants de recherche sont réducteurs car ils ne permettent pas d’avoir une vision complète de la santé mentale. Partant de ces constats et s’inspirant des travaux de Penninx et al. (1998) ainsi que ceux de Veit et War (1983), Keyes (2005a, 2014) développent un modèle se voulant complet de santé mentale. Celle-ci est conçue dans ce modèle comme un état complet qui ne se limite pas à l’absence de maladie mentale, et qui ne se résume pas simplement à la présence d’un niveau élevé de bien-être (Keyes, 2005a). Elle s’apprécie plutôt à travers la présence d’indices positifs (e.g., bien-être et fonctionnement optimale) et l’absence de symptômes de maladie mentale. Ce modèle suggère en outre que la santé mentale regroupe deux continuums. L’un indique la présence et/ou l’absence de santé mentale positive. L’autre renseigne sur la présence et/ou l'absence de symptômes de maladie mentale (Keyes, 2005a). Ces deux continuums déterminent six états de santé mentale qui sont comme suit (Keyes, 2014) :

a. Prospérité ou santé mentale complète : elle résulte de la combinaison d’un niveau faible de maladie mentale et une santé mentale élevée.

b. Santé mentale modérée : elle se compose d’une maladie mentale faible et d’une santé mentale modérée.

c. État de santé languissant : elle représente un état composé d’un niveau faible de santé mentale et de symptômes de maladie mentale.

d. Maladie mentale complète et état de santé languissant : elle se caractérise par un niveau élevé de signes de maladie mentale et un niveau faible de santé mentale.

e. Santé mentale et maladie mentale modérées : elle se caractérise par une maladie mentale modérée et une santé mentale modérée.

f. Maladie mentale et prospérité : elle s’appréhende à travers la présence d’un niveau élevé d’indices de maladie mentale et un niveau élevé de santé mentale.

Figure 3. Le modèle double continu de la santé mentale et de la maladie mentale (Keyes, 2014)

Sur la base d’une recherche effectuée auprès de 3 032 participants âgés de 25 ans à 74 ans, Keyes (2005a) conclut que la santé mentale et la maladie mentale ne sont pas deux états

Prospérité Santé mentale Etat de santé languissant Prospérité & Maladie mentale Etat de santé languissant & Maladie mentale modérée Santé mentale

& maladie mentale modérées

Santé mentale élevée

Maladie mentale élevée Maladie mentale faible

opposés d’un continuum unique. Elles constituent plutôt deux axes distincts. La santé mentale est constituée d’une part de santé mentale positive incluant le bien-être psychologique, émotionnel et social, le bonheur et la satisfaction, et d’autre part de la maladie mentale appréhendée à travers la présence de symptômes dépressifs, anxieux, attaques de panique et dépendance vis-à-vis de l’alcool. Ces deux continuums sont néanmoins corrélés. A ce propos, Keyes (2005a) montre une corrélation négative (r = - .53) entre la santé mentale et la maladie mentale.

Le présent modèle comporte plusieurs avantages. Premièrement, il établit des liens entre l’approche pathogénique et l’approche salutogène dans le domaine de la santé mentale. Selon ce modèle, la santé mentale représente un état complet, et par conséquent la santé mentale positive et la maladie mentale ne sont pas deux axes opposés. Ils forment plutôt deux continuums distincts mais reliés (Keyes, 2002). Cela veut dire que l’absence de la maladie mentale ne correspond pas à la présence d’une bonne santé mentale et vice versa. Deuxièmement, ce modèle bénéficie d’un soutien empirique, dans la mesure où il a été vérifié auprès de plusieurs populations et dans plusieurs pays (Keyes, 2009 ; Keyes et al., 2008 ; Westerhof & Keyes, 2010). In fine, ce modèle permet de capter et de hiérarchiser un large éventail d’états de la santé mentale de l’individu (e.g., prospérité, santé mentale modérée, maladie mentale modérée, maladie mentale complète).

Toutefois, ce modèle présente deux limites méthodologiques fondamentales. La première limite est que l’outil de mesure de la maladie mentale n’évalue que quatre troubles mentaux. Or, la maladie mentale recouvre plus que quatre aspects. A cet égard, Keyes (2005a) encourage vivement les futures recherches à inclure une évaluation plus large des troubles mentaux. De plus, le Composite International Diagnostic Interview-Short Form (CIDI-SF) employé pour évaluer la maladie mentale est conseillé pour être utilisé plus comme un outil de dépistage qu’un moyen de poser un diagnostic approfondi (Newman, Shrout, & Bland,

1990). La deuxième limite est que l’étude est basée sur des mesures d’auto-évaluation qui ne permettent pas de tester la causalité entre les variables incluses dans ce modèle.