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Chapitre 1 La compensation écologique un objet sociotechnique ?

I. La compensation écologique : Point de Passage Obligé pour atteindre la non perte nette de biodiversité ? 65

II. 2 Des MOA nécessairement intéressés ?

Comme on l’a vu, la loi de 1976 sur la protection de la nature puis les différentes procédures

règlementaires ont imposé aux MOA la mise en place de mesures d’évitement, de réduction et de

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compensation pour les impacts résiduels sur la biodiversité afin d’obtenir l’autorisation de

construction du projet. La réforme de 2007 sur les dérogations EP semble avoir été décisive :

«Le sujet de la compensation écologique a cependant pris une ampleur nouvelle du fait

de la prise de conscience accrue de la dégradation de la biodiversité, et plus

prosaïquement du fait des arrêtés de 2007 portant sur les dérogations espèces

protégées. » SNCF Réseau.

Plusieurs projets ont pu permettre aux aménageurs de tirer une première expérience de la

compensation écologique. A la fin des années 1990, sur l’Autoroute 28 reliant notamment Tours au

Mans, le tracé est contesté par des associations naturalistes. En effet il traverse sur plusieurs

kilomètres le massif forestier de Bercé. Un militant fini par y découvrir une espèce protégée : le

pique-prune. Les experts sont unanimes et l’administration ordonne l’arrêt de la construction. Le

chantier est bloqué pendant près de 6 ans, engendrant des pénalités économiques importantes pour

l’aménageur. Un autre exemple concerne l’Autoroute 65 dont la construction a commencé au

moment du Grenelle. Dans l’étude d’impact porté à l’enquête publique, 65 ha de compensation

étaient prévu, mais après plusieurs ajustements et négociations l’enveloppe compensatoire attiendra

finalement 1500 ha. L’aéroport Notre Dame Des Landes a également fait l’objet de nombreux

contentieux juridiques, notamment en ce qui a concerné la compensation sur les ZH. La manière dont

les impacts sur les ZH avaient été quantifiés a été fortement controversée. Ces trois exemples

montrent que la compensation peut être en dernier recours un moyen pour faire annuler ou modifier

le projet quand il est controversé.

Après la signature des PPP avec les différents aménageurs ces derniers ont pris conscience que la

compensation écologique était un facteur de risque pour la réussite du projet. En effet peu

d’entreprises avaient de l’expérience sur le sujet et la prise en compte de la compensation

écologique comme un « projet dans le projet »19 n’a pas toujours été considérée dès le démarrage,

augmentant d’autant plus les risques de retard :

« On avait un gros risque […] de planning si les mesures compensatoires n’étaient pas

faites. […] Il fallait industrialiser le processus de mise en œuvre [des mesures

compensatoires]. […] Je ne comprenais pas ce que la loi attendait de nous au début. […]

On s’est dit qu’il fallait qu’on cadre cela avec les services de l’Etat. » MOA SEA

« Le timing est aussi un gros enjeu. Mettre en place une artillerie lourde en si peu de

temps c’est compliqué. » MOA CNM.

De même les coûts financiers liés à la compensation écologique n’ont pas toujours été pris en

compte de façon anticipée. En effet, pour les entreprises qui se sont engagées dans ces projets, les

coûts liés à la compensation écologique sont incertains, potentiellement élevés, et donc un facteur

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de risque important. C’est ce que relate le directeur du groupe qui a construit une des LGV, lors de la

commission d’enquête qui s’est tenue au sénat entre fin 2016 et début 2017. A la question posée par

une sénatrice sur le risque pris par le concessionnaire concernant le financement de la LGV, et

l’inclusion des coûts des mesures compensatoires dans le plan de financement du contrat de

concession, le concessionnaire répond :

« Le coût de gestion des mesures compensatoires fait partie de notre risque [ndlr : que

nous prenons dans notre contrat de concession]. » MOA SEA. (Dantec, 2017)

Ce contrat a été négocié entre 2009 et 2011. La compensation n’avait pas l’ampleur qu’on connait

aujourd’hui, et le coût de la compensation n’avait pas été inclus dans la négociation du contrat. Un

autre MOA, qui a dû mettre en œuvre des mesures compensatoires sur l’A65, témoigne que le coût

des mesures pour ce nouveau projet avait davantage été considéré :

« Non ce n’était pas prévu, en tout cas pas à la hauteur des enjeux [ndlr : sur le projet

d’autoroute]. Mais bon c’était une autre époque, on était au moment du Grenelle et

depuis de l’eau a coulé sous les ponts et pour la LGV ça a été budgété en investissement

et en fonctionnement ». MOA BPL.

Les coûts relatifs à la compensation écologique sont encore peu connus (Dantec, 2017), ce qui n’aide

pas à considérer cet aspect comme un réel facteur à prendre en compte au même titre que les autres

(acoustique, pollution,…).

« La restauration des Zones Humides, cela coûte très cher, et c’est préjudiciable pour

l’investissement et le pétitionnaire. » MOA SEA.

« On a des gros enjeux financiers. » MOA CNM.

La responsabilité du MOA quant à la mise en œuvre et la réussite des mesures compensatoires est

réaffirmée à maintes reprises en 2012 et en 2013 dans la doctrine et dans les lignes directrices

(CGDD, 2012, 2013).

De plus la compensation écologique semble être de plus en plus attendue par la société et les

éventuels partenaires :

« Il fallait qu’on gagne la confiance et le respect des acteurs. […] On avait un gros risque

d’image si les mesures compensatoires n’étaient pas faites. » MOA SEA.

« Associer les acteurs locaux ça permet d’augmenter l’acceptabilité du projet. » MOA

SEA.

« Création d’un climat de confiance. » MOA BPL.

« Mettre en place des mesures compensatoires ce n’est pas le boulot de MOA. » MOA

CNM.

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On voit donc que la compensation écologique devient un motif d’acceptabilité des projets par les

acteurs locaux et que cela constitue dorénavant un risque pour l’image des aménageurs.

On observe que les aménageurs n’avaient pas forcément anticipé la mise en œuvre de la

compensation écologique. Mais la réglementation et le renforcement de son application ont amené

les pétitionnaires à s’y intéresser davantage. Elle est donc devenue un facteur de risque à la fois en

terme de respect des délais, en terme de maîtrise des coûts et en termes d’acceptabilité du projet :

éviter d’éventuels blocages permet de mener à bien le projet mais également de maintenir l’image et

la réputation du MOA.

Ces différents risques font des mesures de compensation un élément important à prendre en compte

dans les stratégies des MOA, et constituera potentiellement un avantage compétitif pour la suite.