• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 Effets des compromis sociaux sur les attendus spatio-temporels de la mise en œuvre de la

I.2 les enjeux spatio-temporel de la compensation écologique

Bien souvent il est attendu que les mesures de compensation soient mises en œuvre à proximité des

impacts, souvent au plus proche de ces derniers. Cette proximité peut renvoyer à différents objectifs:

cela permettrait de maintenir une biodiversité ayant les mêmes caractéristiques au même endroit ou

presque, permettant aux communautés de ne pas trop changer d’environnement pour leur

fonctionnement, augmentant ainsi les chances de conserver l’intégrité de l’écosystème (Gonçalves,

138

et al., 2015; McKenney et al., 2010). De même cela permettrait de maintenir un même niveau de

services écosystémiques pour les riverains (BenDor, et al., 2007; Brownlie et al., 2012; McKenney et

al., 2010; Quétier et al., 2011; Ruhl et al., 2006). Cela correspond à une compensation dite « in-kind »

(de même nature) et « on-site » (sur place). Cette approche est souvent préconisée mais elle a aussi

pu être critiquée étant donnée qu’elle ne permet pas de prendre en compte les autres

aménagements et impacts à l’échelle du territoire (Gonçalves, et al., 2015). De plus on a pu

reprocher à ce système de favoriser des petites mesures peu cohérentes générant un fort taux

d’échecs (McKenney et al., 2010). Les réflexions à l’échelle territoriale sont donc également mises en

avant (Gonçalves, et al., 2015; McKenney et al., 2010; BBOP, 2012). Cela permet de mieux considérer

la localisation des mesures de compensation (Kiesecker et al., 2009) et de les mettre en cohérence

entre elles, mais également avec les autres actions de conservation de la nature mises en œuvre sur

les territoires, ce qui permettrait une meilleure efficacité écologique (Underwood, 2011). Aux Etats

Unis par exemple, après avoir considéré la proximité de type « on-site » préférable pour la

restauration des ZH, les gestionnaires de l’environnement et les administrations ont préféré travailler

à l’échelle des sous- bassins versants en définissant des aires de services au sein desquelles les

impacts et les compensations ont lieux. Ces aires de services sont fondées sur des attributs physiques

et écologiques (bassins versants) et sont régies par des banques de compensation (McKenney et al.,

2010).

Le débat ne semble cependant pas tranché entre compensation « on-site » vs « off-site » pour

plusieurs raisons. Il existe des difficultés à comparer des valeurs de biodiversité qui ne se trouvent

pas au même endroit (Gonçalves, et al., 2015). Certains ont pu montrer que les stratégies de

compensation de ZH par l’offre avaient comme effets de reléguer ces zones humides vers des zones

rurales souvent moins peuplées, augmentant ainsi la disparité écologique entre territoires, ce qui

reviendrait en quelque sorte au débat sur le « land sharing » et le « land sparing » (BenDor et al.,

2007). De plus, d’un point de vue social cela peut poser question en termes de redistribution spatiale

des impacts et des bénéfices de la compensation (Gonçalves, et al., 2015 ; BenDor et al., 2007;

Maron, et al., 2016 ; Ruhl et al., 2006).

Il s’agit donc de continuer à étudier la localisation des sites de mesures de compensation et leurs

effets à l’échelle du paysage, tant d’un point de vue écologique et que social (BenDor, et al., 2009).

En France la doctrine ERC de 2012 préconise que les mesures de compensation soient « mises en

œuvre en priorité à proximité fonctionnelle du site impacté» (CGDD, 2012, p. 6). L’encadré 7 rappelle

ce que les lignes directrices françaises de 2013 préconisent :

139

Encadré 7 Préconisation des lignes directrice concernant la proximité des MC

La mesure compensatoire est mise en œuvre à proximité fonctionnelle de la zone impactée par

le projet, sur le site le plus approprié au regard des enjeux en présence et au sein de la même

zone naturelle. […] La « zone naturelle » est une région d’étendue souvent limitée, présentant

des caractères homogènes et similaires au site impacté en termes physiques (géomorphologie,

géologie, bathymétrie, courantologie, climat, sols ou substrat, ressources en eau, régime

hydrologique, etc.) et en termes d’occupation humaine (perception et gestion du territoire

développant des paysages et une identité culturelle propres).

La notion de « proximité fonctionnelle » implique de tenir compte du fonctionnement des

composantes des milieux naturels impactés dans la définition de la « zone naturelle ».

Natura 2000

La zone retenue pour la compensation doit être située dans la même région biogéographique.

Eau et milieux aquatiques : en cas d’impact résiduel susceptible de faire perdre une classe de

qualité à la masse d’eau, la compensation doit être réalisée au sein de la même masse d’eau

pour empêcher cette dégradation.

Dimension sociétale

Le ciblage et le dimensionnement des mesures compensatoires tiennent compte des personnes

impactées par le projet (ex. : riverains d’un cours d’eau), en particulier lorsque l’impact porte sur

des services écosystémiques (approvisionnement en eau, récréation, paysage, etc.).

(CGDD, 2013 p. 111)

De plus la localisation doit veiller à ce qu’une certaine additionnalité écologique puisse être fournie,

c’est-à-dire que l’action de compensation fournisse des gains écologiques supplémentaires

(McKenney et al., 2010 p. 170). L’additionnalité peut être appréhendée lors des différentes

phases de la séquence ERC. En effet, pendant la phase d’évitement et de réduction, d’une certaine

façon, des gains de biodiversité doivent être obtenus par rapport au niveau de biodiversité existant si

on n’avait pas mis en place de mesures d’évitement ni de réduction (Gardner, 2013; Gonçalves et al.,

2015; Maron et al., 2018). Les réflexions sur la localisation du projet et sur les mesures d’évitement

doivent permettre d’éviter une certaine dégradation de biodiversité ce qui en soit peut être

considéré comme une « production de gains » de biodiversité par rapport à ce qui aurait pu être fait

si on n’avait pas réfléchi ni à l’évitement ni à la réduction. Pendant la phase de compensation,

l’additionnalité peut être appréciée à deux niveaux : celui de la parcelle et des mesures de

restaurations en elles-mêmes et par rapport aux autres programmes et politiques publiques de

conservation de la nature déjà existant.

Au niveau de la parcelle il est possible d’envisager des actions de création, restauration,

réhabilitation, gestion, et préservation du milieu, selon les besoins identifiés et la compensation

140

ciblée (McKenney et al., 2010 ; Gardner, 2013; BenDor et al., 2009). L’encadré 8 défini les différentes

mesures possibles.

Les gains écologiques qui peuvent être attendus des différentes mesures ne sont pas de même

importance. En effet une mesure de création va apporter plus de gains écologiques du point de vue

de la biodiversité ciblée par le nouvel écosystème créé. Souvent il est considérait qu’une mesure de

restauration écologique apportera plus de gains écologique qu’une mesure de préservation (BenDor

et al., 2009; McKenney et al., 2010; Quétier, et al., 2015).

Encadré 8 définition des mesures de compensation possibles

la création, fabrication d’un écosystème dans un but utile,

ou remplacement intentionnel d’un écosystème supposé

être de plus grande valeur sur le site en question. (Clewell,

et al., 2010).

la restauration, processus qui vise à faciliter le

rétablissement ou la réparation d’un écosystème

endommagé. (Clewell, et al., 2010)

La réhabilitation, « tout comme la restauration, se sert des

écosystèmes historiques ou préexistants comme modèles

ou références, mais les deux activités diffèrent aux niveaux

de leurs buts et de leurs stratégies. La réhabilitation insiste

sur la réparation des processus, de la productivité et des

services de l’écosystème, tandis que le but de la

restauration vise aussi à rétablir l’intégrité biotique

préexistante en termes de composition spécifique et de

structure des communautés. » (SER 2004, p. 13)

la gestion, manipulation d’aire naturelle ou semi naturelle

par des gestionnaires pour maintenir l’intégrité et la santé

de l’écosystème. (Clewell, et al., 2010)

la préservation, qui consiste à supprimer les menaces qui

pèsent sur un écosystème en assurant sa protection sur le

long terme, par exemple par la mise en place de statuts

141

Au niveau des autres politiques publiques, il faut donc « S’assurer que les mesures compensatoires

garantissent des résultats de conservation supplémentaire qui n’auraient pu être obtenus

autrement » (IUCN, 2016 p. 3). Aux Etats Unis, par exemple, il est clairement précisé que « les terres

utilisées pour mettre en place des banques de compensations ne doivent pas, auparavant, avoir été

dédiés à des espaces de conservation» (US DOI 2003, cité par McKenney & Kiesecker, 2010 p. 170).

De même, dans l’Etat des Nouvelles Gales du Sud en Australie la compensation doit être

« additionnelle aux actions ou travaux mis en place grâce à des fonds publics ou aux actions mises en

œuvre dans un cadre réglementaire » (NSW DNR 2005, cité par McKenney et al., 2010 p. 171). C’est

également ce qui est préconisé en France il s’agit donc de « concevoir des mesures compensatoires

qui apportent une plus-value démontrée par rapport à l’état initial du site de compensation et des

engagements publics et privés existants. » (CGDD, 2013 p. 103).

Nous allons également nous interroger dans cette partie sur les effets temporels de l’action

collective, sur l’objectif de NPN de biodiversité.

Deux principes normatifs peuvent exister, la compensation :

- Doit être effective avant le démarrage des travaux et

- Doit être pérenne dans le temps, c’est-à-dire perdurer aussi longtemps que les impacts.

Comme on l’a vu dans l’introduction de cette partie, le temps est un facteur essentiel pour les

processus écologiques. L’anticipation de la mise en œuvre est utile sur plusieurs plans :

- maintenir l’état de l’écosystème et son fonctionnement afin de ne pas engendrer de pertes

supplémentaires – les pertes de biodiversité peuvent avoir un effet de perturbation sur les

populations qui voient leurs effectifs diminuer au moins dans un premier temps (Robert et al.,

2015) . Il est cependant possible que des seuils d’extinction soient dépassés (Fahrig, 2001)

engendrant alors des pertes de biodiversité, altérant les communautés et le fonctionnement

de l’écosystème proche ou environnant (Gardner, 2013; Quétier et al., 2011). Anticiper la

compensation permet donc de maintenir l’état de l’écosystème et donc les niveaux de

biodiversité et de fourniture de services associés (Bull, et al., 2013) ;

- laisser le temps aux écosystèmes de récupérer – après restauration le temps de récupération

des écosystèmes est variable selon le type d’écosystème perturbé, l’intensité de la

perturbation et les attributs des écosystèmes (faune/ flore, structure biogéochimique)

(Moreno-Mateos, et al., 2012) ;

- S’assurer que la compensation aura bien lieu – en effet bien souvent on est sûr que les impacts

auront lieu, par contre la mise en œuvre et les effets de la compensation sont beaucoup plus

incertains. L’anticipation permet également de pallier à cette incertitude qui peut être d’ordre

142

écologique et politique ou institutionnelle (Moilanen et al., 2009; Bull et al., 2013; McKenney

et al., 2010).

Il est donc préconisé d’anticiper la mise en œuvre de la compensation écologique afin que celle-ci

soit effective au moment des impacts (McKenney et al., 2010; Bull et al., 2013; Gardner, 2013; CGDD,

2012). Cela va de pair avec la pérennité des mesures dans le temps. Elle permet aux processus

écologiques de fournir des gains supplémentaires en continuant leur processus de reconstitution au

fil des années. Regarder si les impacts sont réversibles ou irréversibles, donne une bonne indication

sur la durée pendant laquelle il faut maintenir les mesures (Bull et al., 2013). Cela implique d’avoir

une gestion adaptée aux effets et aux objectifs de compensation, c’est-à-dire à l’état de l’écosystème

que l’on souhaite avoir, et implique un suivi des mesures (Gardner, 2013; Bull et al., 2013).

Les lignes directrices envisagent pour cela la pérennité soit par la maîtrise foncière, soit par la

maitrise des usages comme le rappel l’encadré 9.

Encadré 9 Lignes directrices concernant la temporalité des mesures de compensation

La pérennité s’exprime notamment par la maîtrise d’usage ou foncière des sites où elles sont

mises en œuvre. Elle peut être obtenue par :

- la contractualisation sur une durée suffisante avec les gestionnaires des surfaces concernées ;

- l’acquisition foncière et l’utilisation d’une maîtrise d’usage ou par l’acquisition pour le compte

d’un gestionnaire d’espace naturel ; le maître d’ouvrage doit prévoir le financement de la gestion

de cet espace quel qu’en soit son statut juridique final (CGDD, 2013, p. 12).

« L’antériorité de la mesure compensatoire par rapport à l’impact (i.e. au projet) est nécessaire

en particulier lorsque la qualité environnementale du milieu impacté est défavorable, lorsqu’un

décalage temporel entraînera une réduction des effectifs pour les populations d’une espèce

protégée, et lorsque la mesure compensatoire constituera un habitat refuge pour des espèces

qui verront leur milieu disparaître (ex. : une mare de substitution doit être opérationnelle avant

le comblement de la mare impactée). »

Pour Natura 2000

«En principe, la compensation doit être opérationnelle au moment où le dommage sur le site

concerné est effectif. Lorsque c’est impossible, une surcompensation peut être requise en

contrepartie des pertes survenant dans l’intervalle (pertes intermédiaires). » (Source : document

d’orientation concernant l’article 6, paragraphe 4, de la directive « Habitats, faune, flore » - 2012)

(CGDD, 2013 p.111).

Finalement trouver des sites de mesures de compensation nécessite la combinaison de quatre

caractéristiques : proximité fonctionnelle des composantes de la biodiversité (« in kind »), proximité

spatiale (« on site »), l’additionnalité, et une maîtrise foncière pérenne. C’est ce que nous résumons

de façon schématique dans la figure 21 :

143

Figure 21 Combinaison des principes de la compensation écologique permettant l’éligibilité des

sites de mesures de compensation

Nous faisons donc ici l’hypothèse que la combinaison des principes normatifs de la compensation

écologique a une incidence sur la capacité à trouver du foncier.

Nous allons tenter de comprendre quels ont été les facteurs prioritaires qui ont influencé l’éligibilité

des sites dans nos cas d’études. Dans une première partie nous verrons sur quels critères les aires de

prospections ont été définies, ainsi que les compromis sociaux qui ont pu influencer la localisation

des mesures de compensation. Dans une seconde partie nous tenterons de rendre compte de la

localisation effective des mesures de compensation. Dans une troisième partie nous évoquerons les

aspects temporels et enfin nous conclurons sur les effets spatio-temporels de l’action collective.

144

II La mobilisation des alliés un enjeu spatio-temporel ?