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Chapitre 1 La compensation écologique un objet sociotechnique ?

I. La compensation écologique : Point de Passage Obligé pour atteindre la non perte nette de biodiversité ? 65

II. 6 Négociation autour de l’équivalence écologique

II.6.2 Définition de la compensation : approche surfacique ou fonctionnelle ?

L’emprise du projet est au départ mal défini : les zones de dépôts de déblais et autres matériaux lors

du chantier avaient été mal identifiées. La demande de dérogation espèce protégée et les arrêtés se

fondaient sur l’étude d’avant-projet sommaire et non sur l’étude d’avant-projet détaillée (qui

intervient après la DUP). Un différentiel de la surface d’emprise de 300 ha a été constaté entre les

deux documents, ce qui a demandé la constitution d’un arrêté EP complémentaire.

Les impacts sont déterminés pour ce qui concerne la phase chantier et la phase d’exploitation. Cela

déterminera les efforts de compensation à fournir. Là-encore on peut s’apercevoir que la

quantification des impacts peut poser problème pour déterminer l’effort de compensation :

« Leur gros travail de l’an dernier ça a été de revoir l’évaluation des impacts au regard du

déroulé du chantier, donc ils nous ont fait encore un gros dossier pour nous démontrer

que les impacts n’étaient pas aussi importants que ceux prévus initialement » DREAL

SEA.

On voit donc ici que la détermination des impacts peut être sujette à négociation.

Plus largement cela renforce l’idée que l’effort de compensation est en partie défini par les impacts

qui font eux même l’objet d’une négociation entre les services de l’Etat, l’aménageur et le CNPN,

parfois par manque de connaissance sur le fonctionnement des espèces.

« Et puis ils en sont revenus à reconsidérer les impacts sous l’emprise à partir d’une

démarche plus fine en considérant aussi les impacts plus diffus, notamment pour

l’outarde, en ne considérant plus seulement les 70 m de l’emprise mais davantage 500m

pour l’emprise impactant l’outarde (250 m de part et d’autre de la ligne). » DREAL CNM.

II.6.2 Définition de la compensation : approche surfacique ou fonctionnelle ?

II.6.2.1 Une approche “out-of-kind “:

On entend par « out-of-kind »24 (de nature différente) une approche de compensation qui considère

que des attributs différents de biodiversité sont équivalents entre eux (McKenney et al., 2010, p.

168). Une première tentative a consisté à identifier le milieu qui pouvait répondre à toutes les

contraintes pour respecter les obligations de compensation associées à différents cadres

réglementaires : Loi sur l’eau, EP et défrichement. L’objectif était aussi que les sites puissent contenir

un maximum d’espèces. Le MOA a donc soumis une proposition qui consistait notamment à

24 A l’inverse « Les compensations «in-kind » (« de même nature») désignent les mesures compensatoires qui

fournissent un habitat, des fonctions, des valeurs ou d'autres attributs similaires à ceux affectés par le projet,

tandis que les compensations (McKenney et al., 2010 p. 168).

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restaurer 1100 ha de forêt alluviale. Cette proposition a interpellé la DREAL et le CNPN car la forêt

alluviale n’est pas tellement présente sur les territoires traversés par la LGV.

« 1000 ha de forêt alluviale c’est très important, sauf que pour la région traversée en

terme d’impact on avait eu quelques dizaines d’ha de forêt alluviale traversée. On n’est

pas en Alsace, on a quelques ripisylves qui font 100 m de larges. On avait un impact sur

les forêts alluviales qui était relativement réduit, enfin par rapport à la somme des

impacts cela était relativement réduit et on ne comprenait pas comment on allait

compenser les impacts sur d’autres milieux grâce à de la forêt alluviale alors que ce type

de forêt existe très peu à l’état naturel chez nous. On ne savait pas comment on allait

recréer cela. Il faut pour cela des grandes vallées alluviales où on puisse l’implanter ».

DREAL SEA.

Il était impossible d’un point de vue écologique et pratique de recréer un milieu qui n’est que très

peu présent dans la région. Cet exemple est un peu extrême mais témoigne d’un risque qui est de

déconnecter la compensation écologique de la réalité écologique des territoires.

II.6.2.2 Approches par ratios surfaciques d’espèces

Finalement, sur SEA, la compensation sera appréhendée à partir de l’impact sur chaque espèce et

d’un point de vue surfacique, en prenant en compte la patrimonialité de l’espèce et en attribuant un

ratio variant de 1 (écureuil roux par exemple) à 10 (Vison d’Europe). Sur ce projet plus de 220 EP ont

été répertoriées comme étant impactées. Les surfaces cumulées de chaque impact ont abouti à une

« dette compensatoire » d’environ 16 000 hectares. Une fois les ratios appliqués, l’effort de

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-(Source élaboré à partir des annexes 1 et 6 de l’Arrêté inter préfectoral Arrêté n° 20120.59-0013 86)

Figure 17 Impacts et compensation par ratios surfaciques par espèces

Une logique de mutualisation, basée sur 4 grands faciès d’habitats traversés par la ligne, a permis de

regrouper les espèces inféodées à un même faciès. Cela a réduit les surfaces compensatoires à 3500

ha. Ici la mutualisation est entendue comme étant la possibilité pour plusieurs espèces de vivre sur le

même espace, et non vraiment comme le rassemblement de plusieurs actions de compensation. On

a 4 grands « faciès » d’habitats qui se dégagent : les milieux ouverts et agricoles, les milieux humides,

les boisements matures et les milieux calcicoles.

Sur BPL, c’est l’ONF qui a travaillé à la mise en œuvre de l’équivalence écologique. Une méthode un

peu similaire à la précédente a été élaborée. En effet, la stratégie a été de rechercher « un maximum

de complémentarité » dans les mesures mises en œuvre.

L’ONF a d’abord cherché à classer les espèces impactées par types de milieux : agricoles, bocages et

forêts, milieux humides. Ces milieux correspondent finalement assez bien aux milieux traversés par la

LGV. Ensuite ils ont choisi de s’appuyer sur des espèces parapluies25 pour chacun de ces milieux, ce

qui a permis d’identifier trois grandes familles : les amphibiens, les insectes saproxyliques, les

chiroptères. Cela constituera la base du travail. Les surfaces impactées pour chaque espèce, ainsi que

leurs statuts de protection, seront pris en compte. Chaque espèce se verra attribué un coefficient de

25 Une espèce parapluie peut être définie comme une espèce ayant besoin d’un espace vital important.

295

2828

4331

2442

6

1

2626

101

1

43

16813

1414

2828

9107

4884

11

6

3932

468

8

171

22829

0 5000 10000 15000 20000 25000

Mammifères semi-aquatiques

Mammifères terrestres

Chiroptères

Oiseaux

Poissons

Reptiles

Amphibien

Papillons

Mollusque

Flore

Total

compensation impacts

surface en ha

88

compensation allant de 1 (Crapaud commun) à 8 (Pic prune). Pour chaque espèce sera quantifiée une

surface impactée et une surface mutualisée ou « fongible », correspondant à la possibilité pour des

espèces d’un même taxon de vivre sur le même espace. Ainsi pour les 24 espèces impactées on

arrive à un total de 267 ha, qui correspond à un effort de compensation de 570 ha en appliquant les

ratios. La « fongibilité » des espaces permet d’arriver à un effort de compensation à fournir de 450

ha (ERE, 2011, p. 46).

II.6.2.3 Sortir de l’approche surfacique et des ratios

- La méthode miroir

Sur CNM, l’approche adoptée cherche à mettre en correspondance les pratiques de restauration

(création, restauration/ réhabilitation, gestion, préservation) avec l’effort de compensation général à

fournir. C’est-à-dire qu’une création d’écosystèmes favorables à l’espèce impactée sera plus

bénéfique qu’une simple mesure de préservation. Un système d’unité a été mis en place pour

quantifier les gains de biodiversité (Quétier, et al., 2015).

- Une approche par le rétablissement des continuités : le cas du Vison d’Europe

Cette approche a eu lieu dans le cas du projet SEA. Les impacts résiduels de la LGV sur le Vison

d’Europe sont évalués à 72,22 ha et 2251 mètres linéaires de cours d’eau. Le Vison est une

espèce patrimoniale aux enjeux de conservation important. En effet d’après l’IUCN il est

considéré en danger critique d’extinction en Europe (Maran et al., 2011). Les ratios de

compensation se sont donc élevés à un ratio de 10 hectares compensés pour 1 hectare détruit,

amenant ainsi les efforts de compensation à une surface de 792,16 ha et de 20,6 km linéaires

de cours d’eau à restaurer. Suite au recalage de l’emprise de la ligne et à une réévaluation des

impacts, les efforts à fournir sont ramenés à 718,44 ha et environ 19 km de restauration de

cours d’eau. Au moins 200 ha devront être acquis à cette fin. Les mesures devront être mises

en œuvre en priorité au sein des 4 bassins versants impactés par la LGV, qui recoupent l’aire

de répartition du Vison d’Europe. La compensation a surtout été envisagée ici du point de vue

de la diminution surfacique de l’habitat du Vison dû aux impacts de la ligne.

Dès 2013, en lien avec les APN et le Groupe de Recherche et d’Etude pour la Gestion de

l’Environnement (GREGE bureau d’Etude expert des mammifères semi-aquatiques), le MOA

réfléchit à une nouvelle manière d’envisager les mesures de compensation concernant cette

espèce, en prenant en compte certains facteurs de cause de mortalité du Vison d’Europe. En

effet, il ressort qu’une des causes de mortalité du Vison sont les collisions routières

engendrées par le franchissement inadapté d’ouvrages hydrauliques : les individus sont obligés

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de remonter les berges et traverser la route afin de franchir les ouvrages. L’idée est donc

d’améliorer le franchissement, grâce à la mise en place d’aménagements appropriés

(encorbellement, ponton flottant, buse sèche). L’aménagement de ces ouvrages viendrait donc

changer la nature de l’effort compensatoire en transformant une équivalence surfacique par

une équivalence fonctionnelle grâce au rétablissement de la continuité des voies de

déplacement de l’espèce (cours d’eau). Cette approche a été à l’origine de deux difficultés qui

ont fait l’objet de nombreuses discussions, notamment entre le CNPN et le MOA. Il est apparu

que, dans l’état actuel des connaissances, il était impossible de trouver une méthodologie

permettant de comparer d’un point de vue écologique les effets de mesures surfaciques et les

effets de mesure de réaménagement d’ouvrages, en faveurs du Vison. Il a donc été envisagé

de traduire la quantité d’efforts surfaciques à fournir par la quantité d’ouvrages à requalifier

grâce au montant financier qu’auraient engendré la restauration et la gestion des habitats

dédiés au Vison jusqu’à la fin de la concession. Après un premier refus du CNPN (manque

d’argument écologique dans le choix des ouvrages, et non évocation des 19 km de cours d’eau

à restaurer) la conversion de 335 ha de restauration et de gestion d’habitat pour le Vison en 79

aménagements d’ouvrages hydrauliques sera acceptée et viendra modifier l’arrêté concernant

le Vison et la Loutre– seule espèce parmi les autres proposées par le MOA jugée comme

pouvant bénéficier des mêmes aménagements que le Vison et pouvant ainsi faire l’objet de

mesures mutualisées. La compensation pour ces deux espèces sera donc ramenée à 405,44 ha

pour le Vison et 246,71 ha pour la Loutre. Les linéaires de cours d’eau restent quant à eux

inchangés (MEEM, 2017).

La définition de l’équivalence a pu être perçue comme parfois arbitraire :

«On a le sentiment que cela reste assez arbitraire. On trouve des définitions assez

précises des ratios. Pour telle espèce ce sera tel ratio et pour telle autre espèce ce sera tel

autre ratio. Cela est fonction de la patrimonialité des espèces. On a quand même le

sentiment qu’il n’y a pas de méthode très précise et scientifique. C’est plus du dire

d’expert que réellement une discussion scientifique. Chose dont on peut s’étonner. »

MOA SEA.

A chaque fois la « mutualisation » ou la « fongibilité » sont recherchées, ce qui peut tendre à

augmenter la fonctionnalité des milieux si il y a une réelle adéquation entre le milieu pressenti et les

espèces, et si un espace suffisant (et non déjà saturé) est présent.

Ces différentes approches témoignent de différentes façons d’appréhender l’équivalence écologique

selon les projets, et parfois au sein d’un même projet. Ce sont souvent les approches surfaciques

avec des ratios de compensation qui sont mises en avant. Les ratios de compensation sont souvent

utilisés pour pallier aux incertitudes concernant la réussite des mesures de restauration entreprises,

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ainsi qu’aux pertes intermédiaires de biodiversité engendrées par le décalage temporel entre début

des impacts et obtention des gains écologiques (Bendor, 2009a; Moilanen, 2009). Ici, les ratios ont

été corrélés à la patrimonialité des espèces. Cependant, un débat existe actuellement sur les

approches surfaciques notamment quant à leur capacité à répondre aux besoins écologiques des

espèces (Bull, et al., 2016). Ces exemples montrent bien l’enjeu qui existe autour des métriques de

quantification de la biodiversité et plus précisément dans le cadre de la compensation sur

l’évaluation des pertes et des gains. Il n’existe pas d’indicateurs universels pour apprécier la

biodiversité, les indicateurs seront donc différents en fonction des attributs que l’on souhaite

compenser (Quétier et al., 2011), cette question des méthodes d’évaluation des perte et des gains

n’est pas nouvelle (Bezombes, et al., 2017; Bull, et al., 2013; Gardner, 2013; McKenney et al., 2010).

Nous montrons ici que les choix effectués en terme de compensation ont été différents ce qui

correspond à des intéressements différents de la biodiversité.