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Chapitre 2 Vers un changement de rôles ? Quelles conséquences pour la NPN de biodiversité ?

IV. 3 Expertises et apport de connaissances

S’enrôler pour apporter sa connaissance sur la biodiversité locale et ses compétences en matière

d’inventaires, de diagnostics et de protocoles de suivis, tel a été le crédo de certaines APN. L’idée est

ici de mettre à profit ces compétences au service de la compensation écologique. Encore faut-il que

ces compétences et connaissances soient réellement prises en compte. Il ne suffit pas de participer

au dialogue pour que son expertise soit intégrée et prise en compte (Ollitrault, 2008). Si tel est le cas,

on peut s’interroger sur le fait que l’APN porte une simple caution à ce qui est en train de se passer.

Les APN qui se sont enrôlées ont donc joué leur rôle d’expert. Il semble difficile de jouer son rôle de

contre-pouvoir tant la dépendance à la fois à la puissance publique, de par l’octroi de subventions, et

au MOA, de par le financement d’une activité liée à la compensation, et le lien d’intérêt entre le

Préfet habilité à déclencher la procédure administrative et la caution portée au projet par le

gouvernement sont forts. Les autres associations n’ont pas tellement agit d’une autre façon. Le fait

d’avoir des APN enrôlées et d’autre non enrôlées brouille aussi les messages, sauf si leur stratégie est

d’être délibérément complémentaires dans leurs actions.

Cependant le contrôle de la mise en œuvre de la compensation écologique semble à moyen terme

indispensable pour que son application soit effective. Si le ministère de l’environnement n’en a pas

les moyens (Lascoumes, 1994; Ollitrault, 2008), ni l’indépendance pour contrôler la mise en œuvre

de la compensation, qui peut le faire, sinon les APN ? L’ONEMA, L’ONCFS ?

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Conclusion du chapitre

Il serait judicieux de clarifier les actions sur lesquelles les APN peuvent être présentes : en appui au

projet ? Comme expert extérieur ? Chargée de faire les suivis ? Cela leur permettrait de mieux

prendre en compte l’évolution de leur statut juridique et de même de conserver la marge de liberté

qui puisse leur permettre de continuer à jouer leur rôles. Tant que le ministère de l’écologie n’aura

pas réglé la question des moyens de sa politique (Lascoumes, 1994), les APN seront indispensables

pour contrôler et garantir l’application du droit de l’environnement.

Certaines associations comme la LPO semblent clairement vouloir se positionner sur le sujet,

d’autant plus qu’ils sont gestionnaires de nombreux espaces naturels. D’autres sentent qu’il y a un

sujet à creuser mais ne savent pas comment aborder cela, prises entre réduction budgétaire, volonté

d’apporter leurs connaissances, et d’améliorer le système de l’intérieur et volonté de remettre en

questions le système. La position des APN n’est pas évidente. Pourtant il est indispensable que leur

positionnement se clarifie afin qu’elles conservent les marges de manœuvre nécessaires à une

conservation proactive de la nature (Gordon et al., 2015).

Les CEN semblent avoir davantage clarifié leur position. La fédération réfléchit depuis plus de dix ans

à une stratégie pour les CEN. Il est vrai que la compensation apparaît comme assez similaire aux

actions menées par les CEN au niveau foncier. Pour les CEN leur cœur de métier semble bien

correspondre à ce qui peut se faire dans le cadre de la compensation : maitrise foncière de site

naturels ou semis naturels et leur valorisation par le biais d’action de restauration.

Cependant, dans le cadre de la compensation écologique, il est demandé de fournir une

additionnalité écologique par rapport à l’état initial du terrain sur lequel les mesures de

compensation sont mises en place. Il faut donc accepter que la valeur écologique du terrain ne soit

pas au départ d’un niveau élevé pour espérer augmenter cette valeur. Les Conseils scientifiques et

Techniques veillent à la possibilité de parvenir à une plus-value écologique sur ces terrains avant de

choisir de gérer le site et d’en obtenir la maitrise foncière.

Cependant nous avons pu voir que cette activité de compensation risque de faire changer le statut

juridique actuel de certains CEN. Certains sont reconnus d’utilité ce qui ne les autorise pas à avoir

une activité lucrative (et à payer des impôts). Il est ainsi mentionné dans leur agrément qu’ils ne

peuvent pas exercer d’activité commerciale. Un rapport du Conseil Général de l'Environnement et du

Développement Durable de septembre 2017 mentionne également ces difficultés de statut

(Boisseaux et al., 2017). Plusieurs solutions semblent alors possibles :

1- Déclarer que la compensation écologique n’est pas une activité commerciale (ou du moins la

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ce qui permettrait d’être en compatibilité avec leurs critères d’agrément (Décret n°

2011-1251). Cela n’est pas sans poser des problèmes puisqu’il n’y a pas de CEN dans toutes les

régions et que d’autres acteurs semblent déjà positionnés sur le sujet comme la CDC

biodiversité par exemple ;

2- Reconnaitre l’activité commerciale des CEN, mais ils n’auraient plus le statut d’association à

but non lucratif et ne pourraient pas être reconnu d’utilité publique (ce qui semble poser

problèmes pour la création de la FRUP43). Ils pourraient conserver un statut associatif à but

lucratif.

Les CEN sont prêts à jouer un rôle important pour la compensation écologique mais des

aménagements concernant leur statut semblent nécessaires. De même, l’Etat semble assez disposé à

ce qu’ils deviennent opérateur de compensation. Le rapport Boisseaux, 2017 va même jusqu’à

mentionner qu’il serait possible « d’envisager de modifier l’article L.414-11 du code de

l’environnement, qui définit le rôle des conservatoires d’espaces naturels, en y introduisant la

possibilité pour les conservatoires d’être opérateurs de compensation » (Boisseaux et al., 2017, p. 5).

Si tel était le cas il faudrait alors sans doute qu’ils règlent de nombreuses questions comme le

financement de la gestion des mesures à long terme, le suivi de la responsabilité en cas de défaut, la

possibilité ou non pour eux de restaurer des sites qui auront vocation à devenir des sites naturels de

compensations (SNC), et les questions relatives au système de vente des unités. Mais cela viendrait à

nouveau remettre en question le statut « non commercial » nécessaire à l’agrément ainsi que le

caractère non concurrentiel puisqu’il est mentionné que « des personnes publiques ou privées »

peuvent mettre en place des SNC (LOI n° 2016-1087, art 69). Cette activité reviendrait également à

assumer que tout ou partie de l’activité dépende directement de la dégradation des écosystèmes. En

effet selon leur statut et leur capacité à recevoir de l’argent notamment public hors compensation

alors le financement d’actions proactives de conservation de la nature pourra continuer. De même,

comme on l’a vu, les modalités de financement conditionneront l’indépendance et la capacité des

CEN à agir librement. Le statut actuel des CEN est séduisant pour gérer des espaces naturels qui

doivent rester dans le domaine du patrimoine commun de la nation (Charte de l’environnement,

2005), mais la compatibilité de leur statut actuel avec une activité de compensation semble remise

en question.

Les CEN réfléchissent depuis plus de 10 ans à la compensation écologique et à leur positionnement

sur ce sujet. Ainsi en 2010, 2015 et 2018 ils ont publié et fait évoluer leur positionnement et le rôle

qu’ils souhaitent avoir concernant la compensation écologique.

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Pour certaines associations ce positionnement semble plus flou. Il semble pourtant important d’avoir

une vraie stratégie sur cette question afin de ne pas se laisser redéfinir trop largement par les autres

acteurs et de façon insidieuse.

Chapitre 3 Effets des compromis sociaux sur les attendus