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Chapitre 3 Effets des compromis sociaux sur les attendus spatio-temporels de la mise en œuvre de la

II. 2. 2 Mesures en conventionnement

IV.1 Des mesures de compensation anticipées ?

IV.1.2 Facteurs explicatifs

Outre les négociations qui ont eu lieu entre les propriétaires fonciers et les animateurs et qui ont pu

dans certains cas accélérer la procédure ou bien la ralentir, il existe d’autres facteurs qui ont pu

influencer la possible anticipation de la mise en œuvre de la compensation écologique par rapport au

début des impacts.

- Une organisation non adaptée à la temporalité du projet ?

Comme on vient de le voir, sur BPL, les accords passés avec la SAFER en 2008 ont permis d’allouer le

foncier, restant, à la suite des AF, pour les mesures de compensation écologique. Le recoupement

entre l’expertise écologique et les allocations des terres prévues par l’AF ont finalement permis

d’obtenir des sites sur lesquels les PAOG ont été établis. Les premiers PAOG ont été validés par les

services de l’Etat. Ensuite, Le MOA a fait un appel à manifestation d’intérêt afin de trouver des

agriculteurs volontaires pour mettre en place les cahiers des charges. Cela a été plutôt bien reçu et

plusieurs agriculteurs ont été candidats : « selon les sites il y avait de 1 à 7-8 candidats » MOA BPL.

Le MOA a donc choisi les agriculteurs. Il n’y a pas eu de négociations avec ces derniers dans le sens

où la proposition était à prendre ou à laisser. De plus les agriculteurs sont en quelque sorte « venus »

au MOA. Ce qui contraste avec ce que l’on a pu observer sur SEA.

En effet sur ce projet il n’y avait pas de tellement de réserves foncières disponibles au moment de la

signature du PPP. Cela n’a notamment pas permis d’avoir une maîtrise foncière des sites de

compensation pendant la construction de la ligne. Une organisation assez complexe afin de parvenir

notamment à la maîtrise foncière des sites a vu le jour. Cette organisation a été longue à élaborer.

« On a mis presque 2 ans à produire les documents, à avoir les échanges nécessaires afin

de commencer à produire les mesures compensatoires. » MOA SEA.

Comme on l’a vu de nombreux interlocuteurs sont engagés et plusieurs documents (pré-diagnostic,

diagnostic final, convention de gestion) doivent être produits et validés par les services de l’Etat.

Chaque document produit est assez conséquent. Il comporte un diagnostic écologique du site et de

son environnement. Pour les mesures en forêt une description des boisements est également incluse

dans le diagnostic. Tous ces documents sont validés par les services de l’Etat et sont sujets à

négociation entre APN, MOA, DREAL et contractant. Ce qui a pu ralentir et alourdir la procédure.

Plusieurs acteurs s’accordent pour dire que l’organisation mise en œuvre est lourde et chronophage.

« Le MOA a imaginé quelque chose qui est un peu compliqué. […] Est-ce qu’on va y

arriver avec cette configuration, je ne sais pas. » DREAL PC.

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« C’est une démarche trop complexe pour être mise en œuvre à aussi grande échelle et

en aussi peu de temps. […] Il y a beaucoup d’acteurs. C’est une grosse machine à mettre

en route, pour que tout le monde se coordonne. » MOA SEA.

Cette façon de fonctionner est sans doute trop chronophage pour les délais impartis, ce qui inciterait

d’autant la recherche de foncier.

- Des ressources humaines pas toujours disponibles ?

Au sein des services instructeurs le manque de personnel a pu être critique dans certains cas.

« On a du faire ce projet de façon prioritaire et dans des délais très courts car c’était un

projet stratégique au niveau national, mais on n’a pas eu d’augmentation de salaire. […]

On nous demande de supprimer 130 postes sur 1000, on veut bien faire des journées à

10h mais on ne peut pas faire ça tout le temps. […] [ndlr : Contrairement au MOA] nous

notre équipe n‘a pas été renforcée d’un iota. Or c’était peut-être le dossier en cours à

l’époque, le chantier le plus important de France avec des impacts partout. Le problème

de nos services c’est qu’autant on arrive à être résilient à s’adapter à des chantiers de

taille moyenne, autant quand vous avez un chantier comme la LGV SEA et qu’on ne vous

délègue pas des moyens spécifiques et bien c’est compliqué. A l’époque moi j’avais une

division et bien on a quasiment laissé tomber tous les autres dossiers de dérogations EP,

pour faire que de la LGV. Mais ensuite on a dû régulariser nos dossiers avec un an et

demi de retard. En termes d’organisation on tente de faire pour le mieux. […] Donc ce

n’est pas moi qui devais instruire ces dossiers mais donc j’en instruis un certain nombre

pour montrer au MOA qu’on continue d’avancer » DREAL SEA.

D’autres acteurs ont pu hésiter à s’investir sur un tel projet car ils n’avaient pas la capacité

d’absorber tout le travail que cela représentait, ils ont parfois pu embaucher du personnel. C’est le

cas du CRPF qui a embauché 2 contractuels (de 2012 à 2018 et depuis 2015). De même certaines APN

ont embauché du personnel pour faire face à la masse de travail que cela représentait. La difficulté

est de pouvoir pérenniser les emplois derrières.

Les acteurs locaux ont leur fonctionnement, ou plutôt le projet de LGV n’était pas leur priorité ce qui

a pu perturber le MOA.

« Les acteurs locaux ont leur propre fonctionnement. Ce n’est pas le cas des bureaux

d’études. Les acteurs locaux ont une vision à très long terme. C’est leur territoire. Et en

même temps comme ils sont sur place ils ont tout leur temps. Ce qui est complétement

différent des bureaux d’études. Difficile de les mettre sur une dynamique de production »

MOA SEA.

« Ce qui est compliqué pour le MOA c’est qu’ils travaillent avec des gens qui ont d’autres

choses à faire, leur activité principale n’est pas de faire des mesures de compensation »

DREAL SEA

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Sur BPL les choses ont pu être faites dans le temps des arrêtés grâce notamment à l’existence du

stock de foncier, à une procédure par appel d’offre et par appel à manifestation d’intérêt, ce qui a

permis de faciliter la mobilisation des agriculteurs dans un temps relativement court avec des coûts

d’animation réduits (vu que les terrains étaient déjà connus). C’est aussi une organisation qui a moins

d’interlocuteurs et qui est moins sujette à négociation entre acteurs. Sur SEA la démarche entreprise

s’est apparentée à une démarche de concertation continuelle, ce qui a pu dans certains cas être

enrichissant pour les acteurs :

« Les discussions sont très riches et c’est un partenariat agréable, beaucoup d’échanges,

après ça prend beaucoup de temps. » CRPF.

Le travail de coordination des différents acteurs est conséquent et semble trop chronophage pour

être mis en place dans des délais aussi courts. Peut-être que la mise en place de réflexions, de

discussions et de concertation sur la compensation doit être portée à l’échelle territoriale et non à

l’échelle des projets, et doit être proposée en amont du démarrage des projets. Cette expérience

(SEA) aura peut-être permis une première mobilisation locale des acteurs et un début

d’apprentissage organisationnel à l’échelle territoriale qui pourra être réutilisée sur d’autres

aménagements (D’Aquino, 2015; Koenig, 2006).

IV.1.3 Conclusion intermédiaire

Nous avons vu notamment sur SEA que seulement 20 % des terres prospectées pour l’acquisition

seront finalement maîtrisées par le MOA pour la mise en place de la compensation écologique.

Concernant le conventionnement, ce sont 60 % des terres prospectées qui seront finalement

contractualisées. Sur BPL le stockage des terres en SAFER s’est fait sur plus d’une dizaine d’années et

sur une surface de près de 50 000 ha, ce qui a permis d’obtenir suffisamment de terres à la fois pour

l’emprise de la ligne, les AF, et 80 % des surfaces demandés par la compensation écologique.

Comme nous l’avons vu la question foncière est primordiale pour la mise en œuvre de la

compensation écologique et pour permettre d’anticiper l’effectivité des mesures de compensation

avant l’arrivée des impacts. Sur CNM et BPL la maîtrise foncière s’est avérée plus rapide que sur SEA,

engendrant moins de pertes intermédiaires de biodiversité. Plusieurs facteurs, ont pu jouer dans la

vitesse de cette maitrise foncière : une procédure d’AF suffisamment anticipée, l’intégration de la

recherche des sites de mesures de compensation au sein de cette procédure, la mobilisation de

personnes dédiées à l’animation foncière en nombre suffisant, et le temps de la procédure

d’éligibilité des terres.

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Le système de gestion du foncier en France est assez particulier et ne facilite pas l’accès à

l’acquisition de terres pour la mise en place de la compensation écologique comme on a pu le voir.

En effet les SAFER, à l’origine, ont été créées dans la loi agricole de 1960 pour permettre entre autre

une agriculture plus productive. En 1962 elles acquièrent le droit de préemption de terres. Le but est

notamment de rationaliser la taille des exploitations et d’installer des jeunes agriculteurs. L'accès aux

terres a évoluée au fil du temps en effet moins de 40 % des terres sont louées en 1930 tandis

qu’aujourd’hui plus de 70 % des terres sont en fermage (Levesque et al., 2011). R. Levesque et ses

collaborateurs (2011) ont constaté qu'en moyenne une parcelle de terrain change de mains tous les

55 ans en Bretagne, Sarthe, Gironde et Vienne, mais seulement tous les 100 ans ailleurs. On peut

aussi faire le constat de la rareté des terres par le biais des ventes de terres dans une région donnée.

Ainsi, en 2010, il y avait 5600 ha à vendre en Poitou-Charentes (ce qui correspond à 0.8% des terres

de la région en SAU), 7100 ha en Centre (0,8% de la SAU de la région), 4200 ha en Aquitaine (0,5% de

la SAU de la région), 8300 ha en Bretagne (1% de la SAU de la région), 8200 ha en Pays de Loire (1%

de la SAU de la région) et 2300 ha en Languedoc Roussillon (0,8% du SAU de la région) (Lefebvre et

al., 2011).

Les négociations du prix des ventes de terres ne sont pas toujours évident, malgré le fait que la

SAFER et France domaine soient sensé encadrer le prix du foncier, il existe cependant une

spéculation sur le prix des terres ce qui ne facilite pas toujours l’accès au foncier (Pech et al., 2013)

notamment dans le cadre de la compensation écologique.

Dans les années 1990 les missions des SAFER s’élargissent aux enjeux environnementaux (Pech, et

al., 2013). En 1999 elles acquièrent le droit de préemption des terres pour motif environnemental. A

partir de cette même époque les acteurs de la protection de la nature peuvent siéger dans les

Commission Départementale d’Orientation Agricole (commission notamment chargée d’attribuer les

terres préemptées aux candidats). Cette commission est composée d’élus, de représentant de la

profession agricole, des Conseil Départementaux) (Boinon, 2011). L’intégration des enjeux

environnementaux progresse. Aller vers une plus grande anticipation de la recherche du foncier

dédié à la compensation écologique semble évidente, certains acteurs que nous avons pu rencontrer

regrettent qu’il n’y ait pas d’outils juridiques pour faciliter l’accès à la terre dans ce cadre. Cependant

cette question n’est pas simple à résoudre. En effet on a vu sur les projets que la constitution de

réserves foncières pour la construction des LGV et la mise en place des AF ont été fait sur plusieurs

années. Sur BPL les stocks ont pu être important (et même supérieur aux besoins de la constriction et

des AF) et suffisant. Cela a moins été le cas sur la LGV SEA, les stocks fonciers n’ont pas toujours

permis un AF avec inclusion d’emprise. Cela témoigne que même pour les besoins de l’infrastructure

le foncier n’est pas toujours disponible (en dehors de l’expropriation). De plus cela peut avoir des

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effets conséquents pour la protection de la nature en général. En effet peu de structures ayant

vocation à protéger la nature ont un droit de préemption. Il y a notamment les départements dans le

cadre de la mise en place des Espace Naturels Sensibles (ENS), ils peuvent déléguer leurs droits au

Conservatoire du Littoral et aux CEN, entre autres57. Une telle proposition doit être mise en regard

avec les possibilités actuelles des acteurs de la protection de la nature tels que les CEN ou le

Conservatoire du Littoral par exemple qui mettent en place des stratégies foncières de longue

haleine afin de pouvoir récupérer quelques hectares ici et là quand la terre se vend. Si les procédures

foncières sont facilitées dans le cadre de la mise en place des mesures de compensation elles doivent

également l’être pour ce qui est des mesures de protection de la nature proactives.

On peut noter que la question du foncier et la difficulté de sa mobilisation semble être assez

particulière à la France. En effet le foncier est en propriété privée individuelle ou par groupement à

95 % de l’espace rural et 75 % des espaces forestiers en France, tandis que dans d’autre pays

européens tels les Pays-Bas et l’Allemagne environs 50% des terres appartiennent aux communes

(Pech et al., 2017).