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II. Les sources primaires

3) Mise en pratique

La compréhension de l’arme en mouvement au travers de l’expérimentation gestuelle a pu être démontrée par Barry Molloy308 qui pourtant travaillait dans un cadre dépourvu de l’avantage conséquent apporté par les sources martiales. L’intérêt de celles-ci a déjà été reconnu dans l’étude des armes et armures, qui les cite ainsi dans diverses publications tant anciennes que récentes, sans pour autant cependant avoir franchi le cap de l’exploration corporelle et de l’appréhension physique de ces savoir-faire ; l’exploitation de ces sources semble essentielle dans cette démarche liée à l’objet en mouvement qui est la notre.

Mais dans le cadre de cette même démarche heuristique, qui cherche à s’adresser à toutes les armes et à comprendre les divers modes de leurs fonctionnements, le recours à une source unique, aussi intéressante soit-elle, a semblé risquer devenir un facteur limitant.

Le parti pris a donc été de considérer toutes les sources disponibles, autant que faire se peut, pendant la période considérée ; il nous a en outre fallu le cas échéant faire appel des sources plus tardives qui pouvaient cependant apporter des éléments de réponse à nos questions, et que nous connaissions dans le cadre de nos pratiques personnelles des arts du combat non-médiévaux.

Les documents sur lesquels nous avons basés nos travaux et auxquels nous nous référeront dans la suite de notre discours sont les suivants :

- Royal Armouries Ms. I.33 Liber de Arte Dimicandi (ca. 1300-1320)309. 34 folios. Manuscrit traitant uniquement du combat à l’épée et à la bocle.

- Germanisches Nationalmuseum MS 3227a, après 1389310. 169 folios. L’ouvrage rassemble des parties diverses, incluant des formules magiques, des recettes alchimiques et métallurgiques, des textes astrologiques. Les parties nous intéressant sont aux folio 13v-65r :

308 MOLLOY Barry, op. cit..

309 CINATO Franck, SURPRENANT André, op. cit..

310 Cette datation est basée sur un calendrier placé au folio 83v, commençant en 1390. Mais elle semble peu

fol. 18-40, gloses sur le Bloßfechten (Combat sans armure) de Johannes Liechtenauer ; fol. 43-52v, épée longue d’après Andres Juden, Jobs von der Nyssen, Nicklass Prewßen et Hans Döbringer le « prêtre » ; fol 53-59, Roßfechten (Combat à cheval) de Johannes Liechtenauer ; fol. 60-62, Kampffechten (Combat en armure) de Johannes Liechtenauer ; fol. 64-65, résumé et commentaires sur Liechtenauer. Au folio 74 se trouve (théoriquement) un traité d’épée- bocle, mais il ne contient que deux lignes d’une brève introduction. Au folio 78 on a de courtes instructions de bâton, au folio 82 recto-verso des leçons de braquemart (Messer), au folio 85 recto-verso de la dague. Enfin au folio 86-89 de la lutte.

- Fiore Furlan dei Liberi da Premariaccio, Il Fior di Battaglia, New York, Morgan- Pierpoint library MS M.383 (ca. 1400). 20 folios.

- Fiore Furlan dei Liberi da Premariaccio, Il Fior di Battaglia, Los Angeles, Jean-Paul Getty Museum MS Ludwig XV.13 (ca. 1400). 49 folios.

- Codex Wallerstein, Universitätsbibliothek Augsburg Cod.I.6.4º.2, , ca. 1400/1470. 110 folios. Contient des passages récents de dague, braquemart, lutte et épée se rapprochant du groupe dit de Nuremberg311 et une section plus ancienne datant du tournant des XIVe-XVe siècles.

- Fiore Furlan dei Liberi da Premariaccio, Flos Duellatorum in Armis, Rome, collection Pisani-Dossi (1409). 36 folios312.

- Fiore Furlan dei Liberi da Premariaccio (d’après), Florius de Arte luctandi, Paris, BnF ms. lat. 11269. 44 folios.

- Gladiatoria, Vienne, Kunsthistorisches Museum MS KK5013 (1430-1440). 56 folios.

- Gladiatoria, Cracovie, Biblioteka Jagiello ska MS Germ.Quart.16 (1435-1440). 59 folios. Outre les leçons du Gladiatoria, contient également des passages anonymes sur le bouclier de duel, l’épée-bocle, le braquemart (Messer) et bouclier, et le bâton.

311 DÖRNHÖFFER Friedrich, « Albrecht Dürers Fechtbuch », in Jahrbuch der Kunsthistorischen Sammlungen

des allerhöchsten Kaiserhauses, Band XXVII, Heft 6, F. Jahrbuch der Kunsthistorischen Sammlungen in Wien, Kunsthistorisches Museum, 1883, Leipzing/Vienne : Tempsky/Freitag, 1909.

312 Fac-simile dans NOVATI Francesco, Flos duellatorum : Il Fior di battaglia di maestro Fiore dei Liberi da

- Hans Talhoffer, Gotha, Forschungsbibliothek Erfurt/Gotha MS Chart.A.558 (1443). 151 folios.

- Hans Talhoffer, Königseggwald, Königsegg-Aulendorf Collection MS XIX.17-3 (1446-1459). 73 folios.

- Codex I.6.4°.3 de l’Universitätsbibliothek Augsburg (ca. 1450). 125 folios. Contient les gloses de Peter von Danzig sur Liechtenauer, les leçons de Martin Huntfelz, Andre Liegniczer, Ott Jud et les gloses de Jud Lew sur Liechtenauer.

- Hans Talhoffer, Berlin, Stiftung Preußischer Kulturbesitz MS 78.A.15 (ca. 1450). 77 folios.

- BnF manuscrit français 1996, Le Jeu de la Hache. 10 folios.

- Rome, Accademia Nazionale dei Lincei Cod.44.A.8de (ca. 1452). 113 folios. Contient les leçons de Johannes Liechtenauer glosées par le pseudo-Peter von Danzig313 ( Bloßfechten, Roßfechten et Kampffechten), le combat en armure, l’épée-bocle, la lutte et la dague de Andre Liegniczer, le combat en armure, la dague et le combat équestre de Martin Huntfelz, la lutte de Ott Jud et le combat en armure de Peter von Danzig zum Ingolstadt.

- Paulus Kal, Bologne, Biblioteca Universitaria di Bologna MS 1825 (ca.1458-1467). 44 folios.

- Hans Talhoffer, Alte Armatür und Ringkunst, Copenhague, Det Kongelige Bibliotek MS Thott.290.2º (1459). 150 folios. Contient en outre le Bellifortis de Conrad Kyeser, et le traité astorlogique de Jud Ebreesch.

- Hugo Wittenwiller, Bayerische Staatsbibliothek Cgm 558 (ca. 1462-1493). 160 folios. Les parties traitant d’escrime se trouvent aux fol. 125-136.

- Gladiatoria, Wölfenbüttel, Herzog-August Bibliothek Cod.Guelf.78.2.Aug.2° (1465- 1480). 158 folios. Les fol. 124-157v sont le Bellifortis de Conrad Kyeser.

- Hans Talhoffer, Munich, Bayerische Staatsbibliothek Cod.icon. 394a (1467). 137 folios.

- Paulus Kal, Bayerisches Staatsbibliothek Cgm. 1507 (avant 1474). 95 folios.

- Johannes Lecküchner, Kunst des Messerfechtens, Universitätsbibliothek Heidelberg Cod.Pal.Germ.430 (1478). 122 folios. Monographie sur le braquemart (Messer), œuvre préparatoire au Cgm 582.

- Hans Talhoffer, Vienne, Kunsthistorisches Museum MS KK5342 (copie d’après 1480 du MS XIX.17-3). 58 folios.

- Paulus Kal, Allerley Kampf zur Roß und Fueß in und an Harnisch, Vienne, Kunsthistorisches Museum MS KK5126 (ca. 1480). 173 folios.

- Johannes Lecküchner, Kunst des Messerfechtens, Bayerische Staatsbibliothek Cgm 582 (1482). 217 folios. Monographie sur le braquemart (Messer).

- Filippo Vadi, De Arte Gladiatoria Dimicandi, Biblioteca Nazionale Centrale di Roma Codex 1324 (1482-1487). 42 folios.

- Paris, Musée de Cluny MS CL23842 (1490-1500). 212 folios. Anonyme, mais à partir du fol. 195 contient des éléments du Gladiatoria.

- Peter Falkner, Vienne, Kunsthistorisches Museum MS KK5012 (ca. 1495). 73 folios. - MS Dresd.C.487 de la Sächsische Landesbibliothek, attribué à Sigmund Schining ein Ringeck (ca. 1500). 122 folios. Contient les gloses de Sigmund Schining ein Ringeck sur Liechtenauer, l’épée bocle de Liegniczer, la lutte de Ott Jud.

- Paulus Kal (copie), Soleure, Zentralbibliothek Cod.S.554 (ca. 1506-1514). 62 folios. - Albrecht Dürer, .Π0.1213453023 sive Armorvm Tractandorvm Meditatio Alberti Dvreri, Vienne, Albertina MS 26-232 (ca. 1512). 127 folios. Contient des éléments du groupe dit de Nuremberg, des gloses anonymes sur Leküchner et sur Liechtenauer par le pseudo- Peter von Danzig.

- Achille Marozzo, Opera Nova, Modène, 1536.

- Paulus Hector Mair, Opus Amplissimum de Arte Athletica, Dresde, Sächsische Landesbibliothek Mscr.Dresd.C.93 & C.94 (1542). 2 volumes, 244 et 328 folios. Commandé par Paulus Hector Mair, illustré par Jörg Breu le jeune. Il s’agit d’une compilation rassemblant divers enseignements de diverses sources.

- Giacomo di Grassi, His True Arte of Defense, K.U.Leuven, Universiteitsbibliotheek, 4A 642, 1594 (traduction anglaise de la version italienne de 1570).

Ces sources sont aussi diverses que peut laisser entendre leur énumération. Certaines sont uniquement textuelles, d’autres associent mots et images, d’autres enfin sont illustrées mais dépourvues de tout commentaire écrit, que ce soit parce qu’elles sont incomplètes (comme le Gladiatoria de Wölfenbüttel), ou parce que ce ne semble pas avoir été jugé nécessaire (comme le manuscrit MS CL23842 de Cluny). D’autres enfin sont lacunaires (BnF ms. fr. 1996 : les illustrations manquent), ont été réarrangés (BnF ms. lat. 11269, ou Royal Armouries Ms. I.33 par exemple). Le Ms_Best 7020 de Cologne a probablement été perdu dans l’effondrement du bâtiment qui l’hébergeait en 2009.

Certaines ont également des points communs, peuvent être rapprochées : les produits du même auteur par exemple sont à même de livrer des informations parmi les plus pertinentes ; on distingue ainsi chez Talhoffer une réelle évolution de son exposé, contenant comme contenu. Les sources peuvent, et doivent, être regroupées selon les éléments qui les composent, : ainsi les glossateurs de Johannes Liechtenauer peuvent-ils être considérés avec leurs similitudes comme leurs différences comme appartenant à un même courant. De même, les parallèles entre diverses sources ont mis en évidence l’existence de liens certains entre elles, et suggéré la possibilité de choses encore à découvrir.

Face à leur diversité comme à leurs ressemblances, la manière de considérer chacune de ces sources doit donc être spécifique à leurs formes et éventuellement à leur histoire. Les images seules n’amèneront pas les mêmes questions que les textes illustrés. La connaissance, si possible, du contexte d’origine et de destination de ces documents est également un facteur pouvant influer sur l’interprétation et la considération du contenu. La mise en relation d’une source par rapport à l’autre peut également contribuer à éclairer ou compléter la compréhension de celles-ci.

Ces mécanismes nécessitent naturellement une approche pluridisciplinaire, et un travail complexe et de longue haleine. Une phase intellectuelle préalable d’analyse et de conceptualisation, d’abstraction de l’information perçue est alors nécessaire, avant toute autre chose. La prise en compte de tous les indices amenés par le support (texte, images, etc..) est indispensable. Cette phase peut être enrichie par la comparaison ou le travail simultané avec des éléments similaires issues du même document ou de documents proches par la destination, la circonstance, l’équipement. Le risque au moment de cette réflexion est d’y voir intervenir des phénomènes perturbants liés au statut particulier d’observateur et d’outil de travail : par exemple, de vouloir voir ou comprendre quelque chose qu’on souhaite, consciemment ou non, trouver dans la pièce considérée, et qui peut par exemple être issue d’une autre pratique martiale actuelle.

Cependant, cette phase immobile ne peut représenter l’unique partie de la démarche de compréhension de ces savoir-faire. L’étape physique est nécessaire. Le principal problème a surmonter alors est celui de l’homme et du non-dit. Car les auteurs de ces sources s’adressaient à un public dont les connaissances corporelles et probablement martiales même élémentaires n’étaient pas les mêmes que celles d’un homme de notre temps. Sans vouloir établir de mauvais parallèles, l’épée leur était aussi familière que pour nous une automobile. Les mécanismes de fonctionnement, ou plutôt l’appréhension implicite de l’objet par ses contemporains fait que ceux qui n’appartiennent pas au même temps, aux même Zeitgeist, n’ont pas les bases implicites de ce qu’ils essayent de comprendre, de ce qui leur est livré. Même si l’épée fait partie, de bien des manières, de notre culture, peu sont ceux qui savent intuitivement s’en servir, peu sont ceux à qui elle est naturellement familière.

Or, pour les auteurs de ces documents, elle l’était. Et ils n’imaginaient pas qu’elle ne puisse pas l’être. Ces sources ne livrent pas les clés d’un apprentissage ex nihilo des arts du combat. C’est là un des principaux fossés qu’il faut franchir, ne serait-ce qu’intellectuellement : comprendre que dans ces sources tout n’est pas dit, que l’implicite représente un poids énorme de ces savoir-faire.

L’autre fossé est physique. Ces savoir-faire sont des savoir-faire corporels. Même si l’essai, même si la phase physique de validation ou au moins de matérialisation des hypothèses intellectuelles construites ne nécessite pas réellement, dans ses premières étapes,

d’aptitudes corporelles particulières314, celles-ci deviennent un outil permettant l’approfondissement non seulement de l’acquisition de ces savoir-faire, mais également de leur interprétation, leur conceptualisation à l’examen des sources.

Car la démarche qui est la notre, comme toute expérimentation gestuelle basée sur des sources documentaires, s’appuie sur un aller-retour constant entre le corps matériel et l’information contenue dans ces sources. Les progrès du corps nourrissent les progrès de l’esprit, tout autant que les lumières de l’esprit autorisent le corps à de nouvelles possibilités. L’intégration corporelle de ces savoir-faire, la perpétuelle remise en cause tant des interprétations des sources que du niveau de compétences du chercheur a par essence été un processus long, dont les résultats même s’ils semblent emprunts d’une certaine assurance ne demeurent que des propositions soumises à la possible révision induite par un progrès de l’esprit ou du corps. Une telle chose ne se fait pas sans peine et sans grands labeurs.

Nous avons entamé en 2000 notre voyage à travers ces sources des arts martiaux historiques européens ; ce n’est cependant qu’au cours des toutes dernières années que nous avons pu ressentir les réels apports d’une attention portée à l’acuité physique de l’expérimentateur – mais après tout, elle participe de l’expertise. L’intégration à nos séances de travail de phases plus poussées de préparation physique a mené à un progrès manifeste bien que difficilement quantifiable de nos aptitudes motrices et en conséquence directe, de notre appropriation corporelle de ces savoir-faire. Car le corps du combattant est un outil du combat, il intervient dans les paramètres de l’affrontement. Les fouilles de Towton ont montré la robustesse de certains des individus, et leur familiarité avec des exercices physiques intenses315.

Un autre faceur important dans l’acquisition de ces savoir-faire corporels : on ne peut apprendre ces arts seul. Le combat nécessite au moins deux adversaires . C’est dans cette optique que fut fondée dès 2003 l’association bourguignonne de recherche et de développement des arts martiaux historiques européens316, basée à Dijon sur le campus universitaire. Rapidement, bien au-delà de la seule possibilité de travail physique, de confrontation des hypothèses à la réalité des corps et des simulateurs (voir infra), les

314 Voir MOLLOY Barry, op. cit.. p. 131.

315 FIORATO Veronica, BOYLSTON Anthea, KNUSEL Christopher, op. cit.. 316 Son nom usuel est « De Taille et d’Estoc ».

principaux bénéfices se sont révélés, confirmant les maximes sur enseigner et apprendre. Le besoin de transmettre des informations à caractère tant conceptuel que physique nous a permis de progresser non seulement dans nos compréhensions des premiers et nos accomplissement des seconds, mais également dans notre capacité à percevoir, par kinesthésie, le mouvement des corps et de l’arme tant dans les phases physiques que dans les documents.

C’est d’ailleurs cette capacité d’observation kinesthésique qui peut faciliter le travail par procuration sur les sources martiales : complétée par de nécessaires échanges intellectuels, par des discussions sur les données conceptuelles, les interprétations, les méthodes, elle permet d’intégrer en partie à son propre travail, à son propre bagage, les résultats et les progrès des autres. Sans cette capacité à voir, à sentir dans le corps ce qui est vu et ressenti dans le corps des autres, notre connaissance, notre compréhension et notre acquisition des savoir-faire contenus dans ces sources aurait été grandement amoindrie.

Les échanges avec nos camarades, notre participation à de nombreux évènements, stages et autres rassemblements tant comme simple participant que comme intervenant ont contribué à cette dynamique. Les Rencontres Internationales d’Arts Martiaux Historiques Européens de Dijon ont chaque année depuis 2002 été l’occasion de constater les progrès faits tant dans la compréhension et l’acquisition de ces savoir-faire que dans la recherche sur les domaines associés, menant à une meilleure connaissance des cultures martiales européennes.

Nos interventions régulières aux Journées de Recherches et de Réflexions sur les Sports de Combat et les Arts Martiaux (JORRESCAM) depuis 2006 nous a également permis d’avoir des échanges fructueux avec des chercheurs et pratiquants autour des aspects physiques, mais également historiques et éthiques de ces pratiques martiales.

Demeurent cependant d’autres problématiques, tant dans la validation des hypothèses issues du travail conceptuel sur les sources que dans le travail d’intégration corporelle des résultats esquissés : on ne peut pour d’évidentes raisons d’utiliser des armes réelles. Il faut donc faire appel à un faisceau de simulateurs possédant chacun leurs qualités et leurs limites, associés à diverses protections, et combiner les uns et les autres pour approcher au mieux un comportement physique réaliste, au moins selon certains paramètres. L’importance du « bon » simulateur est critique. La connaissance des paramètres correspondant ou divergeant, de ce que le « réel » est sensé être, combinée à l’emploi de simulateurs variés présentant chacun des propriétés différentes permet d’approcher le comportement recherché. En cela, nous profitons

des savoir-faire techniques et matériaux actuels qui nous offrent une gamme de plus en plus riche de simulateurs adaptés aux divers aspects de ces pratiques, liés principalement aux sources considérées, mais également des équipements de protection individuelle adaptés à chaque type de simulateur et garantissant les corps. Il demeure impératif cependant de faire varier les situations, les simulateurs, les équipements de protection pour ne pas tomber dans l’écueil d’une vision unique basée sur une unicité de matériel : le risque se profilerait de voir émerger des pratiques ou des compréhensions erronées tournant autour d’un outil actuel, devenu limitant317.

Les limites liées au matériel étant circonscrites, il demeure cependant un élément du combat qui ne peut se soumettre à aucune simulation, à aucun paramétrage. Car si le corps du combattant fait partie intégrante du combat, son esprit aussi entre en jeu : et il est tout aussi difficile de simuler les états psychologiques auxquels les combattants du Moyen Âge étaient soumis que de les estimer au préalable. Le combat pour la survie n’est certes pas un événement anodin, même lorsque les enjeux se placent davantage sur le plan social ; les conséquences sociales d’une mauvaise performance dans un pas d’armes, par exemple, ne sont pas à négliger, si l’on en croit les sources historiques. La gestion de la peur, non seulement de la défaite, mais de la blessure, n’est pas paramétrable ou quantifiable. La gestion de la victoire, du sang versé est également une chose à ne pas négliger. La considération de la peur et des effets psychologiques peut à la rigueur bénéficier des travaux récents abordant sans détour la psychologie du combat318 ou éventuellement des expériences personnelles ; mais ces dernières demeurent difficiles à transmettre.

Enfin, une lacune importante et reconnue dans notre démarche vers ces riches sources des arts du combat en Europe concerne le cheval et l’escrime équestre. Nous ne sommes pas cavalier, et nous ne nous sommes pas donné les moyens de le devenir. Car les problématiques liées au corps du combattant et à sa formation se voient compliquées lorsqu’on cherche à les

317 Un tel phénom ène peut trouver son parallèle dans l’histoire : des techniques, et même des pratiques

spéci fiques ont été développées pour satisfaire à un but précis en exploitant les capacités propres, mais non « simulatoires », des équipements utilisés. Voir notre communication lors du colloque Les Arts de Guerre et de Grâce, op. cit..

318 Voir ainsi GROSSMAN Dave, On Killing : The Psychological Cost of Learning to Kill in War and Society,

New York : Little, Brown and Co., 2009, 377 pages ; et GROSSMAN Dave, On Combat: The Psychology and Physiology of Deadly Conflict in War and in Peace, Belleville : PPCT Warrior Science Publ., 2008, 403 pages. Egalement MILLER Rory, Meditations on Violence : A Comparison of Martial Arts Training & Real World Violence, Wolfeboro : Ymaa Publication Center, 2008, 202 pages. Dans des considérations moins actuelles et plus proches des époques antiques, on peut ausssi regarder GROSSMAN Dave et MOLLOY Barry, « Why Can't Johnny Kill? The Psychology and Physiology of Interpersonal Combat », in MOLLOY Barry (ed.), The cutting edge : studies in ancient and medieval weaponry, Stroud : The History Press, 2007, 222 pages.

transposer au cheval. Nous pensons toutefois que les échanges et les dialogues que nous avons eu avec nos camarades plus expérimentés que nous dans ce domaine amèneront des apports pertinents dans le présent travail.

L’autre grand absent également, non pas par défaillance cette fois-ci, mais bien induit par les sources directes elles-mêmes, est le bouclier. L’iconographie, nous le verrons, atteste l’omniprésence de cette arme dans les combats du Xe jusqu’au XVe siècle où il se fait