• Aucun résultat trouvé

I. Les sources secondaires

1. Les sources iconographiques

Elles constituent une ressource majeure, par ailleurs largement exploitée et reconnue, pour l’étude de l’armement. Les principales informations fournies par ces sources concernent les aspects physiques de l’arme : les morphologies tant générales que détaillées ; mais on peut également y trouver des renseignements sur l’utilisation de l’arme, tant dans son efficacité que dans la représentation du combat où elle est employée.

Cependant il convient de procéder à l’analyse des documents iconographiques avec une certaine rigueur. Car cette documentation est soumise à de nombreuses influences

222 REVERSEAU Jean-Pierre, « Les sources écrites et figurées au regard de l’historien des armes anciennes », in

CONTAMINE Philippe et REVERSEAU Jean-Pierre (dir.), op. cit., p. 17-22

223 Sur la rareté desquelles il met l’emphase. 224 GAIER Claude, op. cit..

pouvant affecter la perception et la compréhension des informations qu’elle est susceptible de livrer. Les experts et historiens de l’art ne cessent de disputer la valeur, le rôle, la portée et le sens des objets qu’ils étudient. Et il est vrai que, pour la période médiévale, l’image en tant que sens comme en tant que support225 est liée à des contextes de production, à des objectifs et des principes de création également qui conditionnent sa place, sa perception et son existence même. Notre propos n’est pas d’analyser ces rapports entre une « image-objet » et le monde qui l’a créé ou auquel elle était destinée, aussi intéressante que puisse être une telle discussion, d’autant plus que nous serions confrontés à une variété de formes et de situations démultipliée à mesure de l’avancée du temps en raison de « l’ingéniosité figurative »226 du monde occidental.

Cependant, chaque support figuré ne peut être appréhendé et utilisé correctement dans l’ignorance totale de son contexte. Le rapport entre image, lieu de fabrication et destination de chaque « image-objet » est indéniable. De même, chaque support, chaque technique picturale ou figurative possède ses propres façons, ses propres procédés, ses propres voies d’exploitation du support, des formats, des matériaux ou des savoir-faire. Et donc, dans ce qui nous intéresse, des formes qu’elle peut donner à l’armement.

Face à ces images possédant parfois une profonde valeur symbolique et intrinsèque, quel regard le chercheur s’intéressant à l’histoire de l’armement et de son usage doit-il adopter ? Quelle confiance peut-il faire aux images, ou à sa propre perception et compréhension de celles-ci ? Cette forte charge interprétative que l’on voit dans la documentation figurée peut-elle affecter la représentation des armes, l’utilisation des informations qui les concernent ?

Une chose peut venir au secours du chercheur : l’idée que l’arme n’est pas, dans ce vaste corpus, le but et le centre de focalisation de la représentation. Elle est un moyen, certainement, d’instiller du sens à l’image, et son utilisation en tant qu’objet dans l’œuvre n’est pas innocente. L’importance des phénomènes génétiques et topiques dans la création de « l’image-objet » doit être prise en compte, lorsqu’une telle chose est pertinente. Mais l’arme en tant qu’arme, n’étant ni un motif, ni un thème, ni un sujet propre de l’iconographie médiévale, est la plupart du temps figurée pour ce qu’elle est sensée être. D’autant plus

225 Ce que Jérôme B aschet appelle « image-objet ». BASCHET Jérôme, L’iconographie médiévale, Folio

histoire, Gallimard, Paris, 2008, 468 pages.

qu’étant justement, dans la « vraie vie » un outil lui-même potentiellement chargé intrinsèquement de significations pragmatiques et symboliques, la déformation spécifique de sa représentation n’est nullement obligatoire.

A l’exception des occurrences où l’arme figurée est expressément chargée d’un sens lié non pas à sa valeur ou à sa fonction « réelle », mais au rôle qu’elle a dans l’image. Ainsi les représentations d’armes ou armures antiquisantes ou exotiques227 servent-elles un but de ce genre : créer chez le spectateur une image d’exotisme, d’ancienneté, de différence. La volonté de réalisme, l’idée même de fidélité à un modèle existant n’est pas de mise, c’est l’arme en tant que facteur de sens iconographique qui l’emporte. La détermination du caractère réaliste de telle ou telle arme peut être facilitée par la présence, dans la même image ou la même source, d’autres exemples d’objets indubitablement « exotiques », « fantaisistes » ou même « monstrueuses ». Mais à part ce cas précis, la représentation de l’arme semble fidèle à l’idée que les artistes et leur public pouvaient en avoir ; il est envisageable, il est possible, il est même faisable de regarder les armes dans les sources iconographiques pour ce qu’elles sont.

Il est toutefois évident qu’elles ont fait l’objet de conventions dans les canons de la représentation dont il faut également tenir compte. La gestion de la perspective, la non- proportionnalité des figures, variables selon les époques, et également les intentions de l’artiste ou l’existence de stéréotypes doivent ainsi être présentes à l’esprit lors de l’étude d’une œuvre.

D’autres considérations sont à envisager dans l’analyse d’une œuvre, notamment le lieu de production de la pièce. Les ateliers, les artistes témoignent souvent d’une influence locale au niveau des représentations de l’armement, à tel point qu’il est possible, grâce à l’iconographie, d’identifier des styles locaux de production d’armes et d’armures. Seule une analyse complète d’un corpus suffisamment dense est capable d’offrir à une telle recherche le matériel suffisant. Mais dans l’étude d’une œuvre isolée, il semble préférable de garder à l’esprit le lieu d’origine de la représentation considérée.

Peut-on dire la même chose de l’usage des armes, des représentations de combat ? Bien souvent les représentations figurées d’armes et de combats ont été considérées comme peu fiables. C'est là une appréciation qui est depuis quelques années amenée à être révisée.

Lors du séminaire d'ouverture de la Historical European Combat Guild, aux Royal Armouries de Leeds le 4 août 2001 la conférence donnée par M. Tobias Capwell a mis en valeur l'existence d'un grand réalisme dans les représentations de combat dans l'art du Moyen Age, en particulier au XVe siècle. Toutefois, certaines illustrations sont, tout comme les textes, à nuancer. Il existe de nombreuses représentations du XIIIe siècle qui montrent des grands heaumes fendus par des coups d’épée. Or les rares exemplaires conservés de cet équipement défensif sont d’une épaisseur considérable, où même la meilleure lame ne saurait mordre – à moins d’être une arme de légende évidemment. Des expériences ont été menées en utilisant des répliques modernes de lames faites d’un acier bien supérieur aux armes d’époque, sur d’authentiques fragments d’armure, et les résultats furent peu surprenants : le métal était au mieux tordu, au pire seulement rayé.

Cependant, la représentation du corps en mouvement est beaucoup plus affectée par les notions de style, de choix picturaux et artistiques, que ne peut l’être celle du mobilier. Seule l’expérience, l’habitude, l’accoutumance à ces formes d’art peut permettre de voir le corps, le mouvement au travers de ces filtres, associées à une connaissance personnelle du corps combattant.

Restait le problème de l’accessibilité au fonds documentaire, qui heureusement semble disparaître grâce aux progrès de la technologie, offrant une nouvelle ère pour l’étude de l’armement dans ces documents. Les sources iconographiques, qui représentaient parfois un patrimoine de valeur notamment en ce qui concerne les œuvres picturales, étaient conservées d’une manière qui restreignait leur étude, la résultante finale étant que les mêmes œuvres se retrouvaient copiées et répétées dans la littérature spécialisée. Évidemment, certains de ces exemples, si ce n’est tous, sont d'une grande pertinence. Mais à force de redondance, le risque de s'en contenter, de ne voir plus qu'eux, de leur accorder un crédit peut-être un peu trop grand se faisait sensible.

Il faut donc conserver une grande curiosité, rendue d’autant plus obligatoire par ce nouvel afflux de données que représente les numérisations actuelles, et qui rendent possible d’apporter de nouvelles pierres a l'édifice, d’agrandir la base de documentation ; ne serait-ce que pour offrir un peu de variété par rapport à ces images. Et aussi, qui sait, trouver des choses nouvelles à dire.

connues. Les nouvelles approches, les nouveaux angles de vision qu’on peut avoir de ces œuvres peuvent parfois permettre de faire dire à telle représentation qu'on croyait trop connue des secrets qu'on avait su y voir parce qu'on ne savait les y chercher. L’exemple des illustrations liées à la pratique de l’escrime à l’épée et la bocle* est en ce sens pertinent : Jean Wirth, quand il analyse les marges à drôleries des manuscrits gothiques, fait une méprise naturelle lors de l’interprétation de ces représentations, ce qui est dommage car les exemples qu’il donne sont intéressants228.

Nous ferons ainsi appel aux manuscrits illustrés des collections les ayant mis en ligne, ou publiés dans la littérature disponible, mais également aux peintures, sculptures, gravures, tapisseries, monuments funéraires, objet décoré ou tout autre type de source pouvant amener matière à notre propos. Si une source a été laissée de côté en apparence, c’est qu’elle n’apportait rien de plus à ce dont on disposait déjà.