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Expérience, expérimentation, archéologie et geste

II. Les sources primaires

1) Expérience, expérimentation, archéologie et geste

L’archéologie expérimentale représente une contribution somme toute récente à l’archéologie dans un ensemble plus vaste, encore que la réalisation de l’intérêt de l’imitation des objets ou structures, ou de la matérialisation des hypothèses dans le cadre des questionnements archéologiques soit un phénomène plus ancien.

Dans son sens le plus strict252 elle consiste en une approche scientifique de l’étude par l’expérimentation en vue de la compréhension de phénomènes observés dans la documentation archéologique, que ce soit des objets, matériels, processus, comportements ou systèmes253. Elle recourt fréquemment à des approches interdisciplinaires amenant chacune leurs méthodes propres, et suppose un cadre formel tant dans la préparation de sa mise en œuvre que de l’exécution pratique ou de l’exploitation des résultats, seul garant d’une réelle acuité scientifique. Elle implique la mise en place d’un système à travers lequel est possible

252 Donc selon l’acception « experimental » en anglais. La plupart du temps, les auteurs s’accordent à définir ce

qu’est l’archéologie expérimental e en listant ce qu’elle n’est pas. Voir a OUTRAM Alan K., « Introduction to experimental archaeology », in World Archaeology, Volume 40, n° 1, Routledge Journals, Taylor & Francis, 2008, p. 1-6. Ils lui opposent, justement, une « experiential archaeology » qui en français a la mêm e traduction. Ainsi JEFFREY Daniel, « Experiential and experimental archaeology with examples in iron processing », in Institute for archaeo-metallurgical studies newsletter n° 24, Institute of Archaeology, University College London, Londes, 2004, p. 13-16.

253 MILLER HEATHER Margaret-Louise, « Experimental Archaeology », in Archaeological Approaches to

l’étude d’un fait spécifique via des variables connues et contrôlées254, au travers d’un protocole défini et encadrant, garantissant la reproductibilité des expériences.

Cette volonté de légitimation de la discipline vis-à-vis du regard de leurs collègues et des sciences plus « dures » est semble-t-il un souci constant de la part des archéologues. La remise en cause de l’aspect trop restrictif de ce regard sur elle-même et sa portée, a cependant été récemment proposée. Ainsi, pour Ruth Fillery-Travis, l’archéologie expérimentale peut s’affranchir de cette quête de légitimité, et revendiquer des approches empiriques et suivant un modèle intégré dans lequel il est admis que l’archéologue-expérimentateur travaille au sein de domaines multiples et connexes qui au final contribuent à une compréhension plus approfondie, et plus complexe, des pratiques technologiques que pourrait le faire une approche individuelle255. De fait, ses réflexions rejoignent et incluent le second sens anglais couvert par le même mot français « expérimental » : « experiential ». Selon Daniel Jeffrey256, cette acception englobe l’archéologie qui s’intéresse à l’accomplissement de tâches selon la manière dont elles étaient effectuées par le passé. Et certes, il ne s’agit pas dans ces perspectives de pratiquer des expériences cadrées, mesurées et quantifiées. Mais, citant Peter Kelterborn257, dans l’optique stricte d’une expérience archéologique un des prés-requis qu’il cite est l’obligation du recours à l’expertise. Peter Kelterborn lui-même, dans la dernière version de ses recommandations, même s’il altère son propos et ne demande maintenant qu’une compétence « correcte, ni trop haute, ni trop faible »258, la notion d’expertise, d’expérience revient fréquemment. Or cette variabilité d’expérience ou d’expertise, si on souhaite pousser l’approche scientifique « dure » dans ses formes les plus abruptes, n’est-elle pas également un paramètre affectant l’ensemble ? C’est là certainement une remarque purement rhétorique, mais on remarquera que la modification du propos de Peter Ketelborn

254 SCHIFFER Michael Brian, SKIBO James M., BOELKE Tamara C., NEUPERT Mark A., « New

Perspectives on Experiment al Archaeology : Surface Treatments and Thermal Response of the Clay Cooking Pot. », in American Antiquity, Vol. 59, No. 2 (Apr., 1994) , Washington : Society for American Archaeology, 1994, p. 197-217.

255 FILLERY-TRAVIS Ruth, « Learning and teaching in experiment al archaeology. », 6t Experimental

Archaeology Conference, York. 7 janvier 2012. Résumé sur

http://experimentalarchaeology.org.uk/2012/01/07/6th-experimental-archaeology-conference-abstract-ruth- fillery-travis/ [consulté le 12 décembre 2012].

256 JEFFREY Daniel, op. cit..

257 KELTERBORN Peter, « Principles of experimental research in archaeology. », in Bulletin of Experimental

Archaeology vol. 8, Southampton, Department of Adult Education, University of Southampton, 1987, p. 11-12.

http://exarc.net/eurorea-2-2005/ea/principles-experimental-research-archaeology [consulté l e 27 décembre 2012]. Une version am endée et résumée de ses propositions est disponible à http://exarc.net/eurorea-2- 2005/ea/principles-experiment al-research-archaeology [consulté le 27 décembre 2012].

258 « Executed with the coorect maunal skill, not too high not too low », alors que dans sa version de 1987 il

demandait une « expert manual skill ». Les critères d’évaluation de ces nivaux de compétence demeure subjectifs.

sur ce sujet précis est significative. Un point qui est fréquemment omis ou rapidement traité, hormis l’évaluation des compétences de l’expert impliqué dans l’expérience, est le rapport entre observateur/chercheur et ce dernier : la relation entre eux, l’implication de l’expert repose sur un lien de confiance entre les objectifs de l’un et les savoir-faire de l’autre. Or l’interface chercheur/expert n’est-elle pas un lieu possible de perte ou de déformation de l’information, du contrôle des paramètres, de la supervision de l’expérience et de l’interprétation des résultats, voire de leur communication 259 ?

Heather M.-L. Miller260 mentionne également une « exploratory » experimental archaeology qui, basée sur le long terme, ne peut satisfaire au strict carcan d’un protocole fini, mais sait pourtant fournir des éléments et résultats exploitables pour l’accroissement des connaissances tout comme pour l’alimentation des outils d’observation. Ici, le contrôle des variables et la reproductibilité de l’expérience est impossible : d’une part en raison de la durée de l’activité, d’autre part en raison de l’évolution même du chercheur au sein de cette démarche, qui représente un paramètre en propre évolution.

Et qu’en est-il quand les variables sont trop nombreuses pour être mesurées, contrôlées et paramétrées, même pendant un temps court d’observation ? C’est le cas de l’utilisation de l’arme261, ne serait-ce que dans le cadre d’un usage simple comme donner un coup : l’estimation des propriétés mécaniques premières de l’arme a un rapport ténu avec ses capacités dynamiques complexifiées par un corps en mouvement. Et dans le combat, les choses sont compliquées exponentiellement : par la présence de l’adversaire, par les facteurs psychologiques (voir infra), et bien d’autres choses.

Qui plus est, lorsqu’il s’agit d’étudier un savoir-faire gestuel, comment appréhender sous un protocole strict des données dont l’estimation ne se traduit pas par une trace matérielle ? Comment effectuer la sélection et l’évaluation d’un expert dans des compétences comme les arts du combat européens où les « experts » font défaut puisque le savoir-faire est en cours de redécouverte ? Dans cette optique, le terme « expérimentation gestuelle » a été introduit pour distinguer ces approches des définitions plus strictes de l’archéologie expérimentale.

259 Ruth Fillery-Travis semble avoir réfléchi à ces questions, et propose ainsi quatre modes distincts : « self-

taught, advisory assistance, formal apprenticeships and informal participation » ; nos propres travaux semblent avoir pu participer de chacun, cependant. Voir infra.

260 MILLER Heather M.-L., op. cit..